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que pour vous (il songea un instant au prince Eszterhazy)... Réunissez-vous en diète nationale, dans les champs de Rakos, à la manière de vos aïeux... » C'est signé Napoléon, et c'est bien du Napoléon, mais c'est aussi du Bacsanyi. Le vieux « jacobin » était sorti de sa retraite, à l'appel de Maret, son ancien compagnon dans la prison d'état de Kufstein; il ne fut pas seulement le traducteur, mais probablement l'inspirateur de cette pièce, étonnante de couleur locale plutôt qu'importante dans la pratique. En 1809, elle ne pouvait produire l'effet qu'elle aurait pu se promettre en 1805 ou en 1807. Les Magyars se battirent partout avec acharnement, excepté à Raab même, où se trahit l'inexpérience militaire de la noblesse, par la faute du gouvernement, qui s'en était toujours défié. Le comitat de Pest écrivit au roi : « Cela ne serait pas arrivé si Votre Majesté avait suivi les conseils de ses fidèles Magyars.

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La diète de 1811 et la fin des guerres. De 1808 à 1810, le malaise économique avait fait de terribles progrès. Pour trouver 100 florins d'argent, il fallait non plus 200 mais 1000 florins de papier! Et pendant que dans le royaume le mécontentement grandissait avec la détresse, à Vienne s'établissait l'absolutisme de Metternich. Son ministre des finances, le comte Wallis imagina un nouveau papier contre lequel l'ancien devait être échangé en subissant une perte des quatre cinquièmes. Les Magyars se soulevèrent, plus que les habitants des autres pays autrichiens, contre cette terrible mesure; et l'on dut se résigner à convoquer une nouvelle Diète, laquelle présente dans l'histoire un caractère spécialement financier. Le gouvernement y tint un langage d'une violence inaccoutumée et maladroite pour imposer à ses sujets une triple série de sacrifices pour la garantie du nouveau papier, pour un amortissement devant permettre de supprimer peu à peu le papier, enfin pour les préparatifs militaires. Le palatin Joseph, décidément patriote, obtint de son auguste parent un changement de ton avec quelques concessions, et de l'assemblée des subsides énormes. On se sépara en assez mauvais termes à la veille de

1. Voir ci-dessus, p. 590.

la lutte suprême, où les Magyars firent leur devoir de soldats sans froideur comme sans enthousiasme. Mème au début de 1814 le comitat de Pest, tout en se déclarant heureux de la revanche, revendiquait la légalité : « Si la loi interdit toute levéc de troupes sans un vole de la Diète, les patriotes sont autorisés à s'engager individuellement. » Ces chicanes ennuyaient François, qui, dans la victoire définitive, faisait à une députation magyare cette promesse plus paternelle que libérale : «Ayez toute confiance en un prince qui n'a d'autre but que votre bonheur. »

BIBLIOGRAPHIE

Pour la première période les principales sources sont législatives ou poétiques les Országgyülés naplójaï (Journal de la Diète) de 1790-91, de 1792, de 1796; les œuvres de Bacsànyi, de Berzsényi, de Csokonai, et, pour les moindres poètes, le recueil de Toldy. Parmi les historiens plus récents, surtout le tome VI et dernier de Horvath. Tous ces ouvrages en magyar. En français, Ed. Sayous, Histoire des Hongrois et de leur littérature politique, 1790-1815, Paris, 1872. Sur les jacobins » spécialement un manuscrit de Szirmay, Jacobinorum hungaricorum historia, et le chap. I d'A. de Gérando, L'esprit public en Hongrie, Paris, 1848.

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Ajouter pour la seconde période : les Országgyülés naplojaï de 1802, 1805, 1807, 1808, 1811 (ce dernier journal en 3 volumes); la Dessewffy levelezese (correspondance); les œuvres d'Al. Kisfaludy; la Notice de Csengery sur Nagy dans ses Magyar szónokok; la Correspondance de Napoléon.

CHAPITRE XXI

LA RUSSIE

De 1801 à 1812.

Mort de Paul Ier; avènement d'Alexandre (1801). — Paul Ier était assurément un esprit mal équilibré, peut-être déséquilibré par tout ce qu'il avait pu savoir ou deviner des événements qui, en 1762, avaient placé sa mère sur le trône; par l'espèce d'usurpation, prolongée pendant trente-quatre ans, commise par Catherine au détriment de l'héritier du trône; par l'antipathie et la défiance qu'il rencontrait chez elle et qu'il payait de retour; par le règne des favoris dont l'insolence ne l'épargnait pas. Il était violent, maniaque dans sa passion pour le militaire, méprisant l'humanité, au moins celle qui l'entourait, prompt aux disgrâces, peu sûr dans sa faveur, souvent cruel; mais on ne peut lui refuser des sentiments généreux et chevaleresques, un sincère désir d'améliorer le sort des petits, des paysans, des soldats. Il fut dur surtout pour l'aristocratie, les gens de cour, les hommes de Catherine, les gouverneurs qui opprimaient les provinces. Son règne se consuma en une lutte contre l'aristocratie, contre la « société », ouvertement ou sourdement hostile. Pour celle-ci, Paul était à la fois trop anti-français, lorsqu'en haine de la Révolution il s'en prenait aux modes

1. Voir ci-dessus, t. VIII, p. 458. 2. Voir ci-dessus, t. VII, p. 415.

et aux livres de France, et trop français lorsqu'il engagea la Russie, par soudaine sympathie pour Bonaparte, dans une guerre contre l'Angleterre. Il s'aliéna les propriétaires nobles, parce qu'il entravait leur commerce avec la GrandeBretagne et parce qu'il essaya d'adoucir la condition des serfs, réduisant à trois par semaine les jours de corvée; ceux qui s'étaient enrichis des dépouilles de la Pologne et y avaient obtenu par sa mère de vastes domaines; les officiers des gardes, qu'il astreignait à la rigueur du service et qui regrettaient le temps où les révolutions ou le règne d'une femme étaient si fertiles en faveurs. Dans le complot formé contre lui entrèrent les héritiers de ceux qui avaient conspiré contre son père (on y trouve comme en 1762 un Panine et un Talysine), des favoris de sa mère (les trois frères Zoubof), le baron livonien Pahlen et le général hanovrien Bennigsen, deux rudes Allemands, deux hommes de main. Ils s'assurèrent la complicité de l'héritier du trône, non certes pour le régicide, mais pour un changement de régime, car on lui fit craindre que Paul ne répudiat sa femme et déshéritât ses fils. Quand les conjurés se rendirent (nuit du 23 au 24 mars 1801) au Palais-Michel, où Paul vivait comme dans une forteresse, mais dont tous les accès étaient livrés d'avance par la trahison, Alexandre resta dans une attente pleine d'angoisse d'après l'issue du coup de main, c'était pour lui ou le trône ou la prison. Lorsque revint l'un des conjurés, et que d'une voix rauque, il eut prononcé ces mots « C'est fait »>, et qu'Alexandre s entendit traiter de Sire et de Majesté, il tomba dans un violent désespoir : il n'avait pas prévu que le changement de régime serait assuré par un tel crime. Pahlen survint et lui dit : « C'est assez pleurer comme un enfant; venez régner. » Par la présentation aux troupes, l'avènement fut un fait accompli. Le second des fils de Paul Ier, le grand-duc Constantin, laissa tomber un mot qui, en 1825, devait se révéler comme l'expression d'une résolution arrêtée pour la vie : « Après ce qui s'est passé, mon frère peut régner s'il veut; mais si le trône me revenait jamais, je ne l'accepterais pas. »

1. Voir ci-dessus, p. 54.

Les partisans du nouvel empereur eurent une seconde lutte à soutenir. Quand l'impératrice Maria Feodorovna apprit le meurtre de son mari, se souvenant des impératrices du xvin siècle, elle s'écria : « Eh bien, s'il n'y a plus d'empereur, et puisqu'il est tombé victime des traîtres, c'est moi qui suis votre légitime souveraine... Défendez-moi! Suivez-moi! » Bennigsen lui dit rudement : « On ne joue pas la comédie, madame. Après les funérailles, elle se retira à Pavlovsk, où elle s'entoura des reliques de Paul, dans la dignité tragique de son veuvage. Alexandre conserva toujours pour elle un respect fait de crainte et peut-être de remords, et les relations si délicates entre la mère et le fils expliquent bien la gravité que devait prendre un jour la question du mariage de Napoléon avec la grande-duchesse Anna.

La nuit terrible du 23-24 mars eut aussi d'autres conséquences sur le caractère et le moral d'Alexandre : il en garda, pour la vie, une ombrageuse méfiance, avec des tendances à un douloureux mysticisme.

La nouvelle de l'avènement d'Alexandre fut dans tout l'empire, suivant le témoignage de Karamzine, « un message de rédemption dans les maisons, dans les rues, les gens pleuraient; ils s'embrassaient comme à la fête de Pâques ». Mais Fon-Vizine remarque que « cet enthousiasme se manifesta surtout dans la noblesse; les autres classes prirent la nouvelle avec assez d'indifférence ». C'est surtout le sentiment de la « société » que Derjavine, le poète officiel, avec une apparente témérité qui s'explique par l'impunité certaine, exprime dans ces vers: « Le rauque rugissement du Nord s'est tu; l'œil menaçant, terrible, s'est fermé... Sur le visage des Russes brille la joie... Les soupirs du peuple, les ruisseaux de larmes, les prières des cœurs ulcérés, s'élèvent comme une colonne de vapeur et enfantent la foudre dans la nuée; elle luit et tombe à l'improviste sur les orgueilleux faîtes du palais... O pouvoirs forts, songez-y, et gardez-vous d'opprimer ceux dont le gouvernement vous fut confié. »

Alexandre laissa libre cours à ces manifestations d'une part, il avait beaucoup souffert et beaucoup redouté de son

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