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croulants de Saint-Jean d'Acre la fortune de Bonaparte. A la fin de sa vie il passait pour un saint de l'Islam, pour un prophète de Dieu, en même temps qu'auprès des tribus sauvages de la montagne il s'était fait la réputation d'un sorcier. Lorsqu'il mourut à l'âge de soixante-dix ans, en mai 1804, les négociants français de tout l'Orient se réjouirent, espérant que le monopole odieux qu'il exerçait sur le commerce de Syrie allait cesser. L'impression des musulmans fut tout autre ils pleurèrent la fin d'un héros et d'un saint-; on prétend que des miracles s'opérèrent sur sa tombe. Après lui son empire se démembra.

L'Égypte : Méhémet-Ali. -Ahmed le Boucher était un Slave; Méhémet-Ali, un Albanais. Il était né à Cavala, petit port près Salonique. Il s'y établit marchand de tabac. Lorsque, pour combattre l'invasion française en Égypte, la Porte ordonna une levée d'hommes à Cavala comme dans les autres petites villes musulmanes, Méhémet-Ali en fit partie, se distingua à la bataille d'Aboukir et monta rapidement en grade. Après l'évacuation par les Français, puis par les Anglais, l'Égypte fut en proie à deux armées celle des Mamelouks, toujours rebelles, celle de la Porte, dont le noyau était un corps de 4000 Albanais, où servait Méhémet-Ali. Le pacha ou vice-roi était alors Mohammed-Khozrew. Il reprit la lutte contre les Mamelouks, dont les deux principaux begs étaient alors Osman-Bardissy et Mohammed L'Elfy. Ses troupes furent battues. Accusant Méhémet-Ali de trahison, il l'appela chez lui pour le faire périr. Méhémet préféra s'entendre avec Bardissy, lui livra le Caire, marcha de concert avec lui contre Khozrew, bloqua celui-ci dans Damiette et l'amena prisonnier dans la capitale. Un second vice-roi envoyé par la Porte, Ali-Gézaïrli, fut massacré par la soldatesque. Puis les Mamelouks se divisèrent. Méhémet, en aidant tour à tour chacun des partis contre l'autre, repoussa L'Elfy dans la Haute-Égypte et chassa du Caire Bardissy. Appuyé sur le peuple et sur les oulémas, il se trouva le véritable maître de la Basse-Égypte. Il essaya d'abriter son autorité de fait sous l'ombre d'une autorité légitime. Il offrit la vice-royauté à Kourchid-Pacha, gouverneur d'Alexandrie, acceptant d'être son kaïmakan (lieutenant). La Porte agréa cet arrangement (1804).

Kourchid possédait l'autorité apparente; c'était celle qui attirait le plus de désagréments à son titulaire; en effet, c'était contre lui que se mutinaient les Albanais qui réclamaient leur solde éternellement arriérée. Le rôle de Méhémet était plus agréable et plus glorieux: il donnait la chasse aux Mamelouks, accroissant ainsi sa popularité auprès du peuple et du clergé si longtemps opprimés par eux. Kourchid crut pouvoir se débarrasser des Albanais en leur donnant l'ordre de retourner en Europe. Méhémet feignit de se soumettre; mais la nouvelle de son prochain départ excita une vive émotion parmi les cheikhs ou notables du Caire. Juste à ce moment les soldats turcs de Kourchid, guère mieux payés que les Albanais, s'étant permis de piller la ville, les cheikhs se réunirent, déposèrent Kourchid et conférèrent la vice-royauté à Méhémet. Il affecta d'abord de résister, ne céda qu'à des instances réitérées, puis travailla si bien le Divan qu'il fut confirmé dans sa nouvelle dignité (9 juillet 1805). Toutes les ambitions déçues se tournèrent alors contre lui. Mohammed L'Elfy, réconcilié avec Kourchid, offrit à la Porte sa soumission et son appui pour renverser Méhémet. A Constantinople, L'Elfy était soutenu par les agents de l'Angleterre, à laquelle il avait promis de livrer les ports de l'Égypte. La Porte, gagnée par ses présents, envoya en Égypte le capitan-pacha pour y opérer la restauration des Mamelouks, et, afin de débarrasser des Albanais le pays, offrit à Méhémet le pachalik de Salonique. Une fois de plus, il se déclara prêt à obéir; une fois de plus, les cheikhs et les soldats, auxquels se joignirent les Mamelouks du parti de Bardissy, s'opposèrent à son départ. Notre consul Drovetti recommandait sa cause à l'amiral turc, à l'ambassadeur de France auprès de la Porte; il détachait du parti de L'Elfy vingt-cinq Français qui servaient dans sa troupe. La Porte finit par se convaincre que les Mamelouks étaient trop divisés pour qu'on pût rien fonder sur eux. Un nouveau firman rétablit Méhémet dans sa viceroyauté, moyennant un présent de 7500 000 francs.

Peu de temps après, et presque simultanément, les deux chefs des Mamelouks, Bardissy et L'Elfy, moururent '1807). Les Anglais, qui essayèrent de prendre par force ce qué L'Elfy leur

avait promis, essuyèrent le sanglant échec que nous avons déjà exposé. Méhémet-Ali eût été paisible possesseur de l'Égypte, si la Porte ne lui avait enjoint d'envoyer une armée contre les Ouahabites et de leur reprendre les villes saintes. Le vice-roi comprit qu'il ne pouvait se lancer dans une si dangereuse expédition en laissant derrière lui les Mamelouks, qui venaient, en 1808, de faire une nouvelle prise d'armes. Il les invita, le 1er mars 1811, dans la citadelle du Caire, à l'investiture de son fils Toussoun, comme séraskier de l'expédition d'Arabie. Ils n'eurent garde de refuser une invitation qui les flattait. On vit cette magnifique cavalerie s'engager dans le chemin qui montait à la citadelle entre les hautes murailles crénelées. A un signal donné les portes se fermèrent derrière eux, les créneaux se garnirent des longs fusils albanais: pas un des Mamelouks n'échappa. Beaucoup furent ensuite massacrés dans les provinces. La milice qui, depuis le x siècle, exploitait et terrifiait l'Égypte avait vécu.

La guerre contre les Ouahabites fut longue, difficile, mêlée de succès et de revers. Méhémet dut faire en personne une campagne dans le Hedjaz. A la fin, la secte fut à demi domptée, les villes saintes libérées, les chemins rouverts aux caravanes de pèlerins. La Porte n'avait pas manqué, comme elle faisait pour presque tous les autres pachas, de susciter, même pendant qu'il combattait de sa personne dans la guerre sainte, des difficultés à Méhémet. Elle avait gagné une des créatures de celui-ci, Lathif-Pacha, et lui avait envoyé le firman d'investiture; mais le ministre de la guerre de Méhémet, resté fidèle à son maître, fit arrêter et décapiter ce conspirateur (décembre 1813). Dans la période suivante, nous retrouverons Méhémet réformateur de l'Égypte, créateur d'une armée régulière, conquérant du Soudan, intervenant dans les grandes affaires de l'Orient, en faveur du sultan, puis contre le sultan.

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Premier réveil de la Bulgarie. - Le Bulgare avait été pendant quatre cents ans le raïa type, le raïa modèle. Resté fidèle, pour la grande masse de la nation, à la religion orthodoxe, exclu des avantages que la conversion à l'islamisme assurait à certains cantons (tels que les Pomaks du Rhodope), voué à l'agriculture et formant un vrai peuple de paysans, il avait docilement supporté tout le système des impôts et toutes les charges de la domination ottomane. On pouvait croire que le sommeil de ce peuple qui avait eu pourtant, du ixo au xiva siècle, une belliqueuse aristocratie et de glorieux souverains, — le tsar Siméon, le tsar Samuel, le tsar Johannitsa, le tsar Sichman,

durerait éternellement. La Bulgarie fut cependant troublée par les campagnes que, de 1788 à 1792, les Russes menèrent sur son territoire contre l'oppresseur ottoman. Beaucoup de paysans, sous les noms de haïdouks, hadjoutes, momtchéti, prirent du service dans les armées chrétiennes; beaucoup, après la paix de Iassy, émigrèrent sur le territoire russe, et de là ne cessèrent de maintenir dans leur patrie d'origine une certaine agitation. Pourtant le vrai réveil de la Bulgarie fut dù non aux armées chrétiennes, ni aux exploits des paysans bulgares transformés en soldats ou en brigands, mais bien à un Slave musulman, devenu pacha au service de la Porte.

Pasvan-Oghlou: il se rend maître de Viddin. Le grand-père de Pasvan Oghlou était un Bosniaque converti, comme tant d'autres, à l'islamisme, mais qui alternait ses visites à la mosquée avec ses visites à l'église orthodoxe du village de Tousla, ou même à la chapelle catholique des Franciscains. Il ne sut jamais s'il était un soldat de la Porte ou un brigand; mais enfin ses brigandages le firent empaler à Prichtina. Le père de Pasvan-Oghlou, Omar, fut plutôt un soldat; il reçut en récompense un fief composé de deux villages, non loin de Viddin; il parvint même à la dignité de baraïktar (porte-étendard) du pacha de cette ville. Puis, en butte à l'hostilité du

pacha, accusé d'avoir blasphémé le Prophète, condamné par les oulémas, assiégé dans son château, il fut pris et décapité. Pasvan-Oghlou (né vers 1758), contraint de fuir, se réfugia en Albanie, y mena d'abord la vie de brigand; puis entra au service du pacha de Petch, prit part à la campagne de 1789 contre les Autrichiens, obtint de la Porte restitution d'une partie des biens paternels et reprit le reste de vive force, à l'aide d'une bande qu'il s'organisa, moitié janissaires et moitié brigands. Rejeton d'une famille tragique, il n'oublia jamais le serment que lui avait fait prêter son père, en butte aux persécutions du pacha de Viddin. Ce serment d'Annibal explique toute sa carrière. A l'époque où la Turquie fut ébranlée par les réformes de Sélim III, Pasvan-Oghlou se déclara contre les réformes et devint le chef du parti musulman qui, en Bulgarie, les repoussait. Il battit le pacha de Viddin, se rendit maître de cette ville, la fortifia à l'aide d'ingénieurs polonais, l'entoura d'un fossé de quarante pieds de profondeur où coulaient les eaux du Danube. Il affectait d'être un fidèle serviteur du sultan et de ne faire la guerre qu'à ses mauvais conseillers. Successivement il s'empara de Nicopolis, Plévna, Sofia, Nisch (1797), Sistova, Rouchtchouk, Négotine, et se trouva maître de la Bulgarie et même de la Serbie orientate. Indifférent en matière de religion, il protégeait également les chrétiens et les musulmans. Il se forma une armée de 16 000 hommes, où se rencontraient des Turcs, des Albanais, surtout des Bulgares, même des chefs de haïdouks. Comme s'il se fût rendu indépendant de la Porte, il battait monnaie à son propre chiffre, et ses pièces s'appelaient des pasvantchéti. Il rêvait de marcher sur Constantinople, d'y renverser le sultan, de refaire l'ancien empire grec, mais avec un tsar bulgare à sa tête.

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Lutte de Pasvan-Oghlou et des Bulgares contre les Turcs (1798-1807). En 1798, la Porte résolut de détruire le rebelle. Le vaillant capitan-pacha Koutchouk-Housseïn bloqua Viddin avec près de 120 000 hommes. A l'approche de l'orage, Pasvan avait licencié une partie de son armée, évacué tout le pays; il s'était réfugié dans Viddin avec 10 000 hommes. La place, bien fortifiée, pourvue de vivres pour deux ans, pro

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