Page images
PDF
EPUB

s'engager envers les alliés qui s'offraient à lui. Radu Voutchinitz ne vit jamais Napoléon. Il languit à Paris jusqu'en 1813, entretenant avec nos ministres une correspondance inutile.

:

Campagnes de Serbie de 1809 à 1811.- Quand les hostilités devinrent plus actives entre la Porte et la Russie, les espérances des Serbes se reportèrent sur celle-ci. Kara-Georges, en 1809, semble avoir entrevu l'idée d'une Grande-Serbie. Il résolut de porter la guerre dans les pays slaves de son voisinage. Il entra en Herzégovine, battit les musulmans à Souvodol, enleva Siénitza, s'établit à Novi-Bazar et prit contact avec les Monténégrins. Il fut tout à coup rappelé dans son pays par une double invasion ottomane à l'est, celle de Kourchid, pacha de Nisch; à l'ouest, celle d'Ibrahim, pacha de Bosnie. Il trouva la frontière de l'ouest entamée par la trahison de Miloé, la fuite de Dobriniatz, le désastre du voïévode Singélitch, qui se fit sauter à Kaménitsa. La Choumadia était envahie et Belgrade menacée. Kara-Georges courut d'abord à Alexinatz: il perdit 6000 hommes, une partie de son artillerie, et fut blessé. Du moins, à Iagodine, il fit une vive résistance et parvint à repousser l'invasion de l'est. Mais l'ouest, à son tour, était compromis, Pojarovatz pris, Chabatz menacé. Kara-Georges livra la sanglante bataille de Tchoupria, perdit encore 6000 hommes et 40 canons, et dut faire retraite sur la Choumadia. La terreur se répandit dans Belgrade: l'agent russe Rhodophinikine s'enfuit de la ville. Kara-Georges rassura tout le monde. Il comptait sur les discordes qui ne pouvaient manquer d'éclater entre les deux pachas victorieux. Il fut dégagé par la vigoureuse campagne que les Russes dirigèrent sur le Danube. La Serbie, après une si chaude alerte, se trouva de nouveau affranchie. Pendant la campagne de 1810, que les Russes rendirent si désastreuse pour les Turcs, les Serbes conquirent la Kraïna (territoire de Viddin), Alexinatz, Stoudénitsa, Parakine, Kroujévatz, et même des places de Bosnie. En 1811, après le succès des Russes à Slobodzié, un de leurs détachements, sous le colonel Bala, vint faire jonction avec les Serbes. Il trouva le pays en pleine révolution.

Le coup d'État de Kara-Georges (1811) essai de monarchie. - Depuis longtemps le parti de Kara-Georges

était en lutte ardente avec la faction des hospodars. C'est même en partie pour ce motif que certains hospodars avaient si mal défendu les frontières. Kara-Georges n'en apparut que mieux comme le sauveur du pays. Il profita de sa popularité reconquise pour faire décider, à la Skoupchtina de 1811, que tous les voïévodes seraient égaux sous son autorité suprême. C'était supprimer la puissance des hospodars. Il y eut de vives résistances. Miloch Obrénovitch s'insurgea. Il fut baltu, pris et traduit devant un tribunal. « Vous ne me condamnerez pas, dit-il aux juges, car le peuple m'aime. » Ainsi pour la première fois les deux futures dynasties, celle de Kara-Georges et celle des Obrénovitch, se trouvaient en présence. Miloch ne fut pas condamné, mais il promit d'obéir à Kara-Georges et au Sénat. D'autres chefs, Milenko, Dobriniatz, avaient été bannis. KaraGeorges apparut tout-puissant, presque un roi. Mais ces discussions avaient affaibli la Serbie, juste au moment où la défection des Russes, qui venaient de traiter à Bucarest, allait la laisser seule en présence de la Porte.

Les désastres de 1813: fuite de Kara-Georges. Le traité de Bucarest (article 8) prononçait que « les Serbes se soumettront aux Turcs »; moyennant quoi, il stipulait en leur faveur l'amnistie plénière et une administration autonome. Kara-Georges ne voulait pas de soumission et les garanties offertes lui parurent dérisoires. Dans un discours qu'il prononça à la Noël de 1812, il énuméra les ressources dont disposait la Serbie 150 pièces de canon, 7 forteresses solidement construites, 40 redoutes, etc., mais il terminait par cette prière pleine de pressentiments : « O Dieu! mets la force et le courage au cœur de tous les enfants de la Serbie. O Dieu! brise la puissance de nos ennemis qui viennent anéantir la vraie foi. » Il avait essayé de négocier avec la Porte: il offrait d'accepter un pacha et une garnison turque à Belgrade; en cas de guerre seulement, des garnisons dans les autres forteresses. Le sultan renvoya ses députés au pacha Kourchid. Celui-ci annonça qu'une conférence se réunirait à Nisch, en janvier 1813. La Porte se trouvait alors débarrassée à la fois des Russes, de Pasvan-Oghlou, des Ouahabites, et son armée était fière de sa longue résistance

à l'invasion russe. Kourchid, l'ennemi des Serbes, venait d'être fait grand-vizir. Aux conférences de Nisch, il leur fut signifié qu'ils auraient à livrer toutes leurs forteresses, toutes leurs armes et munitions, et à subir la rentrée des Turcs (y compris sans doute les janissaires) dans leur pays. Kara-Georges céda sur le premier point, résista sur les autres. La guerre allait donc recommencer, et, presque en même temps, s'accomplir une double tragédie, la grande et la petite, celle de Kara-Georges et celle de Napoléon. Kourchid commandait en personne les armées turques celle de Nisch, celle de Bosnie, celle de Viddin, en tout 240 000 hommes.

Kara-Georges avait pensé d'abord à raser toutes les forteresses, qui allaient immobiliser tant de ses guerriers, et à se retirer soit dans la Choumadia, soit même au Monténégro, comme en des places d'armes naturelles. Son conseiller Mladen s'y opposa. De ses lieutenants, le haïdouk Véliko fut attaqué le premier à Négotine, où il gardait la frontière de l'est, il fut assailli par 18 000 hommes. Mladen dédaigna de courir à son secours; Kara-Georges, pressé par Kourchid, ne put envoyer de renforts. Véliko tué par un boulet, la panique se mit dans sa troupe, qui évacua en désordre Négotine. La même panique vida les redoutes de Bersa-Palanka, GrossOstrova, Kladovo. La frontière de l'ouest était également franchie par les Turcs Miloch Obrénovitch résista quinze jours dans Ravani. La cause des Serbes semblait perdue sur tous les points. Kara-Georges, le 2 octobre, visita les camps du centre, au confluent des deux Morava, recommandant à ses troupes de tenir jusqu'à la mort. Le lendemain se répandit dans tout le pays la nouvelle qu'il avait passé en Autriche avec ses trésors. La Serbie était trahie par le libérateur de 1804!

:

Rétablissement partiel du régime ottoman : Miloch Obrénovitch. - L'invasion turque s'étendit sur tout le pays comme une tempête de feu. Il se commit d'horribles cruautés. Un des chefs des Serbes, Mathieu Nénadovitch, retranché avec trente hommes sur le mont Voutchak, imagina de faire porter une lettre de soumission au grand-vizir. Son messager mit la lettre au bout d'une perche et, arrivé en vue du camp

musulman, se prosterna, puis, se relevant et se prosternant toujours, parvint aux avant-postes. Kourchid se fit apporter ia lettre, la lut et ordonna d'arrêter le carnage. Mais avec qui négocier? Les chefs s'étaient enfuis en Autriche 1. On ne put trouver qu'un seul knèze, Miloch Obrénovitch.

Ce Miloch avait eu pour père un simple valet de ferme. Sa mère, après avoir perdu son premier mari, un paysan aisé nommé Obren, qui avait laissé deux fils, épousa en secondes noces un pauvre diable. Le fils issu du second mariage, Miloch, entra au service d'un de ses frères utérins et prit comme lui le patronymique Obrénovitch. Il se distingua par son audace dans la guerre contre les Turcs. Après la fuite de KaraGeorges, il se trouva le seul « prince » du pays. Kourchid l'appela auprès de lui à Takovo. Miloch, en arrivant devant le grand-vizir, déposa toutes ses armes et se prosterna. Kourchid le nomma ober-knèse de Roudnik, et le chargea de parcourir les villages pour rassurer et rappeler les habitants. La Serbie n'en retombait pas moins sous l'ancien joug. Les guerriers serbes durent livrer leurs armes, revêtir leurs anciens habits de rustres. Même la femme de Miloch, Lioubitsa, dut se vêtir en paysanne. Dans cette Serbie, si durement opprimée, le rôle du « prince Miloch ressemble beaucoup à celui qu'avaient joué autrefois les princes russes sous le joug des khans mongols. Il lui fallut tout supporter, tout endurer, sourire aux oppresseurs, prècher autour de lui la patience et la résignation, parfois se faire, contre les impatients et les indisciplinés, le bourreau des Turcs. A l'automne de 1814, une rixe éclata au monastère de Tirnovo entre des Turcs et des Serbes mal assouplis au joug. Une insurrection s'ensuivit. Les chefs députèrent à Miloch pour qu'il se mit à leur tête. Blàmant leur folie, il ressembla ses gens, courut sur le lieu du désordre, calma les plus sages, dispersa

1. Ils y furent d'ailleurs internés : Kara-Georges à Gratz, Mladen à Bude, Jacob Nenadovitch à Tsilli. Les policiers autrichiens dépouillèrent de ses vètements, de ses bijoux et de son argent la femme de Kara-Georges, disant : « Voilà quel affront vous fait votre Russie! »

Pendant ce temps, les chefs serbes qui avaient pu échapper au sabre turc ou à l'internement autrichien essayaient d'intéresser en faveur de leur pays les diplomates du congrès de Vienne et en particulier les Russes. D'abord personne ne les écouta.

de force les récalcitrants, monta le premier à l'assaut de Kragoujévatz dont les rebelles s'étaient emparés. Il croyait ainsi avoir acquis le droit de plaider auprès du pacha la cause de ces imprudents. Le pacha Soliman ne se tint pas pour satisfait. Il fit saisir quelques centaines de prisonniers, et, le jour de la SaintSava, la grande fèle nationale des Serbes, il en fit décapiter 114 et empaler 38.

L'insurrection de 1814 la pacification. Miloch comprit l'erreur qu'il avait commise en comptant sur la loyauté et l'humanité du pacha. Il se sentait responsable de tant de sang généreux versé dans les supplices. Il courut à Belgrade pour tâcher de sauver les Serbes prisonniers. Les soldats turcs, pour le terrifier, lui montrèrent la tête du haïdouk Glavasch clouée à la porte de la ville et lui dirent : « Maintenant c'est ton tour. » Il leur répondit : « Il y a longtemps que j'ai mis ma tête dans le sac; celle que je porte n'est pas à moi. » Bien accueilli du pacha, il délivra 60 prisonniers, dont il paya la rançon. Bientôt, ne se sentant pas en sûreté dans Belgrade, il s'en évada, et arriva au galop dans la profonde forêt de Tsernoucha. Il y trouva une foule de Serbes qui l'y attendaient, des knèzes qui avaient dù fuir leurs maisons parce qu'ils avaient assommé les percepteurs ou les policiers turcs, des bandes entières prêtes à s'insurger. Il fut proclamé chef suprême dans l'église de Takovo, de ce même village qui l'avait vu jeter son sabre aux pieds du grand-vizir. La guerre qui allait recommencer apparaissait aux Serbes à la fois nécessaire et effroyable. Beaucoup parlaient de tuer leurs femmes avant de marcher à l'ennemi. Celle de Miloch fit jurer à son vieil écuyer Stitarets de l'égorger avant qu'elle tombat au pouvoir des Turcs. C'est pourtant cette guerre de désespérés qui allait réussir. Commencée partout à la fois, elle surprit les Turcs et désorganisa la résistance. La première victoire fut remportéc sur les spalis de Palish: elle donna aux Serbes leur premier canon. D'ailleurs Miloch montrait tant d'humanité aux vaincus, aux blessés, aux femmes musulmanes, traitées par lui « comme des mères et des sœurs », que les Turcs de Pojarovalz et de Karnovatz n'hésitèrent pas à se rendre dès qu'ils

« PreviousContinue »