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Charles-Jean, qui s'était borné à la neutralité bienveillante pendant la campagne de 1812, intervint militairement pendant celle de 1813 il débarqua en Allemagne avec une armée, et opéra de concert avec les alliés. Mais, après Leipzig (16 oct. 1813), il n'avait que faire de continuer à marcher en avant se consacrant à la réalisation du plan qu'il avait conçu, il remonta vers le nord avec ses Suédois, et quelques corps russes et prussiens, et entama sa campagne personnelle contre le Danemark en envahissant le Holstein. Les Danois furent battus. Des pourparlers s'engagèrent dès la fin de décembre, et, le 14 janvier 1814 était signé le traité de Kiel, dont l'article 4 stipulait la cession de la Norvège, en échange de la Pomeranie suédoise.

Ayant ainsi obtenu ce qu'il désirait, Charles-Jean rejoignit les alliés. Mais il laissa les troupes suédoises dans les Pays-Bas et vint seul à Paris, où la Suède signa la paix avec la France en même temps que les autres puissances. C'est à ce moment que se plaça un incident encore assez imparfaitement connu et sur lequel il n'y a d'ailleurs pas lieu de s'étendre ici : le projet de candidature du prince royal de Suède au trône de France. Il est plus que vraisemblable que Charles-Jean eût accueilli très volontiers une semblable proposition: il est plus difficile de déterminer jusqu'à quel point elle lui fut faite. En tout cas, l'affaire ne reçut aucune suite et le prince royal retourna dans sa nouvelle patrie, à laquelle il devait exclusivement se consacrer jusqu'à la fin de sa vie.

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L'union avec la Norvège. — De graves difficultés attendaient Charles-Jean dans le nord Les Norvégiens refusaient absolument de reconnaître le traité de Kiel, et réclamaient leur indépendance, malgré un parti favorable à la Suède et qui avait à sa tête le comte Wedel-Jarlsberg. Une assemblée constituante se réunit à Eidsvold, élabora une constitution (17 mai 1814), et proclama roi le gouverneur général, le prince Christian-Frédéric, cousin du roi de Danemark et qui, plus tard, fut roi lui-même sous le nom de Christian VIII. Charles-Jean envahit alors la Norvège, qui, sans armée très sérieuse, ne put se défendre. Dès le 14 août 1814 la convention de Moss mettait

fin aux hostilités : Christian-Frédéric renonçait définitivement à la couronne, et la Suède promettait d'envoyer des commissaires pour arrêter les conditions d'union personnelle entre les deux royaumes sur les bases de la constitution du 17 mai. Cette convention fut ratifiée par le Storting norvégien et, le 4 novembre 1814, l'union était un fait accompli : Charles XIII, roi de Suède, devenait roi de Norvège, et, comme tel, promulguait à nouveau la constitution du 17 mai très légèrement modifiée.

L'acte d'union stipulait que les deux royaumes, placés sur le pied de l'égalité la plus parfaite, seraient simplement réunis par le lien d'une union personnelle, n'ayant absolument en commun que le souverain et le ministère des affaires étrangères. Le roi pouvait déléguer son autorité en Norvège à un gouverneur général. Chacun des deux pays conservait intacte sa constitution intérieure la Suède la constitution de 1809; la Norvège la constitution de 1814, dont les principaux organes étaient un parlement, le Storting, nommé par le peuple à l'aide d'un système de suffrage à deux degrés et se divisant ensuite luimême en deux chambres, puis un conseil destiné à assister le roi et dont un des membres devait toujours se trouver auprès du souverain même lorsque celui-ci était en Suède.

Le résultat ainsi obtenu par Charles-Jean à la fin de l'année 1814 diffère assez sensiblement, on le voit, du but que le prince royal avait paru poursuivre tout d'abord. Les premiers traités parlaient tous de la cession de la Norvège à la Suède, et voici qu'il avait réalisé une union personnelle entre deux royaumes indépendants et distincts. Cette évolution s'accomplit lors de la signature du traité de Kiel, dont l'article 4 porte que les territoires norvégiens « appartiendront désormais en toute propriété et souveraineté à Sa Majesté le roi de Suède et formeront un royaume réuni à celui de Suède ». Chose très remarquable, les avant-projets suédois et danois stipulaient la cession pure et simple, et c'est le prince royal lui-même qui fit modifier la rédaction et introduire le principe d'une union. On s'est perdu en conjectures sur les motifs qui purent pousser CharlesJean à en agir ainsi et qui, plus tard, lors des négociations avec la Norvège, le rendirent si conciliant. On a prétendu, par

exemple, que le prince royal avait été contraint de se contenter d'une demi-mesure à la suite d'engagements internationaux pris notamment vis-à-vis de l'Angleterre. Cette opinion paraît démentie par certains des textes connus et ne s'appuie sur aucun des autres. On a dit également que Charles-Jean avait été poussé à en agir ainsi par crainte d'une révolution. Au cas où il se serait vu chassé de Suède, il aurait pu se réfugier auprès des Norvégiens, dont il aurait, par avance, gagné les sympathies. Certains traits de son caractère rendraient cette supposition admissible à la rigueur, mais il faudrait néanmoins la démontrer, ce qui semble bien difficile. Une chose, en tout cas, demeure certaine et doit être remarquée, car elle explique beaucoup des événements postérieurs c'est la contradiction qui se peut relever dans toute cette affaire. En même temps qu'ils négociaient l'union avec les Norvégiens, les Suédois et Charles-Jean tout le premier paraissaient convaincus que la Norvège se trouvait faire désormais partie intégrante de la Suède. Il est plus que probable, du reste, que Charles-Jean, intelligence supérieure, mais esprit légèrement nébuleux, ne prévit pas lui-même toutes les conséquences possibles de sa conduite et se dit en tout cas que s'il survenait des difficultés il saurait bien s'en tirer.

La Suède ne prit qu'une part tout à fait accessoire aux délibérations du congrès de Vienne où elle fut cependant représentée. Charles-Jean, qui la gouvernait, était personnellement assez mal vu par bon nombre de souverains légitimes ». Cependant l'œuvre accomplie en 1814 fut à peu près intégralement maintenue. C'est ainsi que la Suède sortit de la période troublée de la Révolution et de l'Empire singulièrement plus grande et plus prospère.

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Christian VII et Frédéric VI. En 1789, tandis qu'éclatait la Révolution française, le Danemark avait pour roi. Christian VII, monté sur le trône en 1766. Mais, en 1784, à la

HISTOIRE GÉNÉRALE. IX.

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suite d'événements que nous avons rapportés, le prince héritier, Frédéric, plus tard Frédéric VI, s'était emparé du pouvoir. Christian VII n'ayant, à aucun moment de son règne, gouverné personnellement, c'est donc en réalité le prince Frédéric qui est roi en 1789, avant de l'être définitivement en 1808. Il en résulte que nous n'aurons à étudier, de 1789 à 1815, que l'administration d'un seul homme.

Dans ces vingt-six années, l'histoire du Danemark présente deux phases bien différentes une première période de prospérité, correspondant à une politique de neutralité absolue, et une seconde période où, des complications ayant été amenées par cette politique même, le Danemark est jeté dans la lutte, et, ballotté entre les partis, se trouve, en 1815, appauvri et ruiné. La période de paix: Bernstorff. Régent depuis 1784, Frédéric VI s'entoura de ministres éminents; le plus fameux d'entre eux, celui qui eut le plus d'influence sur les destinées du Danemark, fut le comte André-Pierre Bernstorff. L'influence de Bernstorf se fit sentir dans toutes les branches du gouvernement et son activité aborda tous les sujets. L'impulsion qu'il imprima à la conduite des affaires fut si forte qu'à sa mort, survenue en 1797, le Danemark ne s'arrêta point dans la voie où il l'avait engagé. Il y eut bien quelques légères tentatives de réaction, néanmoins la marche en avant ne s'arrêta pas, et la prospérité du pays resta la même; les années qui suivirent virent même mettre à exécution les plans que Bernstorff n'avait pu que concevoir, notamment en faveur de l'enseignement.

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Deux traits caractérisent la politique que préconisait Bernstorff une grande prudence dans les relations extérieures qui permit au Danemark de maintenir sa neutralité et de développer librement son commerce, et, d'autre part, au point de vue purement intérieur, des tendances nettement libérales. Nous avons déjà mentionné, à propos de la Suède, le traité signé par le Danemark en 1794 pour la protection de son commerce. Celui-ci prit à cette époque, gràce à la politique de Bernstorff, une importance très grande, non seulement dans

1. Voir ci-dessus, t. VII, p. 1032.

le nord de l'Europe, mais dans le monde tout entier. C'est ainsi que le fret pour la Méditerranée rapportait aux marchands de Copenhague des sommes considérables et que les importations d'Extrême-Orient s'élevaient en moyenne à cinq millions. de rigsdaler par an.

A l'intérieur Bernstorff et le régent s'occupèrent d'abord des paysans, qui, malgré les tentatives faites pour leur rendre la pleine liberté pendant le xvir° siècle, sous Frédéric IV, Christian VI, Frédéric V et sous le gouvernement de Struensee, avaient toujours vu, après chaque essai, diminuer cette liberté par des restrictions presque immédiates1. En somme on peut dire que le servage existait encore dans toute sa rigueur. Dès 1787, une ordonnance détermina avec précision les droits du fermier et du propriétaire; en 1788, une autre ordonnance abolit le domicile forcé. On ne s'arrêta pas là et Bernstorff transforma la corvée et la prestation de la dime en nature, en supprimant la corvée indéterminée et en autorisant la perception d'une redevance pécuniaire au lieu et place de la dime en nature. Dans le Slesvig et le Holstein, le droit de servage, qui faisait de la femme, comme de l'homme, la propriété du seigneur, fut aboli par l'ordonnance du 19 décembre 1804, qui donna à 20 000 familles serves la liberté et la prospérité. D'autre part, Bernstorff abolit un certain nombre de privilèges appartenant aux nobles, ce qui équivalait à augmenter indirectement la liberté des paysans.

Les paysans ne furent pas les seuls à bénéficier de ces tendances libérales : Bernstorff s'efforça aussi de régulariser la situation des Juifs, auxquels étaient fermées la plupart des professions mais ce ne fut qu'après sa mort qu'une loi du 29 mars 1814 leur reconnut « la même faculté qu'aux autres sujets d'exercer toute profession autorisée par la loi ».

La même période fut encore marquée par des améliorations apportées dans l'administration de la justice. L'armée fut réorganisée et devint réellement nationale par l'expulsion définitive des éléments étrangers et mercenaires. On fonda des écoles et

1. Voir ci-dessus, t VII, p. 1026 et suiv.

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