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cause d'utilité publique et l'art. 11 de la constitution qui, s'exprimant d'une manière plus générale, parle de la privation de sa propriété, et qui veut qu'une indemnité préalable soit accordée, dès qu'il y a privation de propriété, c'est-à-dire, soit qu'il y ait cession, abandon forcé ou simplement suppression de la propriété en tout ou en partie;

«Attendu que cet article s'applique tout aussi bien aux cas où il s'agit d'être privé de sa propriété pour cause d'utilité publique que pour cause de salubrité ou de sûreté publique, qui rentrent évidemment dans l'utilité publique, car sans cela il n'y aurait plus de garantie pour les propriétaires si, au moyen d'un échappatoire ou en faussant l'esprit de la loi de l'époque, on pouvait rendre leurs droits illusoires;

<< Attendu que les lois s'interprètent les unes par les autres et que les postérieures dérogent aux antérieures, lorsque celles-ci leur sont contraires;

« Attendu que l'injonction de combler ou de supprimer le puits d'absorption qu'avait fait construire le sieur Lehr antérieurement au règlement susdit qui en ordonne la suppression ou le comblement, et pour inobservation duquel il a été attrait devant le premier juge, constitue évidemment la privation d'une partie de bien ou de la propriété du contrevenant, puisque des auteurs recommandables enseignent«< que le comblement d'un puits existant est un acte particulier qui porte atteinte à des droits acquis, un trouble apporté à l'état de possession ; »

«Que par conséquent pour en être privé, le sieur Lehr aurait dù obtenir, aux termes desdites lois combinées, el après que les formalités voulues eussent été remplies, une indemnité préalable;

«Attendu que loin de lui donner une indemnité de ce chef, l'administration a trouvé convenable de fixer, par un premier règlement, en date du 11 nov. 1845, le taux à payer pour chaque riverain qui voudrait user d'un canal qu'elle faisait ouvrir pour l'évacuation de ses eaux, et en lui imposant l'obligation de combler son puits d'absorption (art. 8), et ensuite comme si elle avait voulu s'indemniser de ses travaux, cette administration a obligé indirectement les riverains à en faire usage, à peine d'être poursuivis par les tribunaux répressifs;

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opposer la loi 206, ff., de reg. jur. jure naturæ æquum est, neminem cum alterius detrimento et injuria fieri locupletiorem; car s'il est vrai que cette loi ne s'applique pas, lorsqu'il s'agit d'utilité publique, elle doit évidemment recevoir son application lorsqu'une administration agit comme un particulier, entrepreneur de travaux;

«Attendu que par une conséquence ultérieure des principes émis ci-dessus, enlever un droit de propriété acquis au sieur Lehr, au moyen d'un règlement public postérieurement à l'existence de ce droit, c'est évidemment donner un effet rétroactif au règlement qui a force de loi, effet rétroactif qui est prohibé par l'art. 2 du C. civ., qui déclare que la loi ne dispose que pour l'avenir, art. 2 qui est également postérieur aux lois des 1789, 1790 et 1791 précitées ; d'où il résulte encore que ces lois prédites ne peuvent recevoir leur exécution qu'en les mettant en rapport avec les art. 11 de la constitution et 2 du C. civ.;

«Attendu qu'aux termes de l'art. 107 de la constitution les Cours et tribunaux ne doivent appliquer les arrêtés et règlements. généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois;

« Vu les art. 74, 176 et 191 du C. d'inst. crim.;

« Vu les art. 5 et 7 de la loi du 1er mai 1849;

« Vu l'art. 118 de la loi du 30 mars 1836; « Vu le § 2 de l'art. 17 du règlement communal d'Ixelles, du 30 déc. 1845;

« Vu les art. 2, 557 et 544 du C. civ.;

Vu les art. 11 et 107 de la constitution, desquels articles M. le président donne lecture, ainsi conçus :

«Art. 174, etc., etc.;

«Par ces motifs, le tribunal siégeant en degré d'appel, met l'appel au néant, ordonne que le jugement à quo sortira ses pleins et entiers effets; charge M. le procureur du roi, etc., etc. »>

C'est contre ce jugement que le ministère public s'est pourvu en cassation.

Le procureur général a conclu à la cassation par les motifs suivants :

La question que vous êtes appelés à résoudre pour la seconde fois dans la même affaire a pour objet les attributions des corps municipaux considérées dans leurs rapports avec les personnes et les biens.

Une disposition d'un règlement de police municipale enjoint aux propriétaires rive

rains des rues où se trouvent établis des aqueducs de supprimer dans leurs maisons les puits ou fosses d'absorption.

Le tribunal de Malines, dont le jugement est déféré à votre censure, a décidé que cette disposition est contraire aux lois, et a renvoyé en conséquence le défendeur de l'action dirigée contre lui pour avoir refusé d'accomplir ce qu'elle prescrit.

Déjà le tribunal de Bruxelles avait jugé dans le même sens, mais yous avez annulé son jugement; vous avez jugé que les lois qui déterminent les attributions des corps municipaux autorisent un pareil règlement, loin d'y être contraires, et qu'un tribunal ne peut refuser d'en assurer l'exécution sans contrevenir à ces lois.

Ce que vous avez fait alors, et ce que vous avez fait par de nombreux arrêts sur des questions analogues, nous pensons que vous devez encore le faire aujourd'hui, et nous le pensons par les mêmes motifs.

Les lois sur lesquelles repose votre premier arrêt sont formelles.

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De l'aveu de tous, elles attribuent aux corps municipaux le pouvoir de prendre et d'ordonner les mesures que réclame la salubrité publique ; l'article 78 de la loi communale du 30 mars 1836, l'article 50 de la loi du 14 décembre 1789, l'article 3, tit. XI, de la loi du 24 août 1790, enfin l'art. 15 du titre Ier de la loi des 19-22 juillet 1791 ne laissent aucun doute à cet égard, et la mesure dont il s'agit au procès est une mesure de salubrité publique de la plus haute importance. Elle n'a rien de commun avec les dispositions du Code civil sur les servitudes de particulier à particulier réglées par l'article 674 du C. civ.; elle tend à assurer la pureté des eaux et la pureté de l'air dans un

trop prolongée et trop multipliée des matières fécales dans les puits d'absorption a pour résultat nécessaire de l'altérer; elle tend à éviter ce mal là où il est possible de l'éviter à l'aide d'autres moyens d'écoulement, et à mesure que ces moyens auront été créés. Aussi rien de tout cela n'a été méconnu dans le jugement du tribunal de Bruxelles, non plus que dans celui de Malines, mais ces tribunaux ont cru voir, l'un dans les lois qui régissent les personnes, l'autre dans celles qui régissent la propriété, des dispositions limitatives des lois concernant la police municipale, quelque généraux qu'en fussent les termes. Suivant le tribunal de Bruxelles, les lois qui régissent les personnes ne permettent ni de défendre

ni de punir un fait posé antérieurement à la défense; ce fait échappe ainsi au pouvoir réglementaire en matière de police, et tel est le fait d'une fosse d'absorption existante lors du règlement qui en ordonne la suppression; suivant le tribunal de Malines, les lois qui régissent la propriété ne permettent pas de priver sans indemnité un propriétaire de la jouissance qu'il tirait licitement de ́sa chose; cette jouissance échappe donc également au pouvoir réglementaire en matière de police, et telle est celle d'une fosse d'absorption existante au moment du règlement qui en ordonne la suppression; ces opinions, quoique divergentes, ont le même point de départ, le passé devant lequel toutes deux arrêtent le pouvoir réglementaire, l'un quant aux personnes, l'autre quant aux biens; elles le placent dans l'article 2 du C. civ. combiné, pour les personnes, avec l'article 4 du C. pén., et pour les biens, avec l'article 11 de la constitution et l'article 545 du C. civ. Nous n'hésitons pas à dire que c'est là une fausse application de ces dispositions à l'espèce; qu'elle ne peut en être atteinte, et qu'à défaut de toute autre disposition légale qui l'y soustraie, elle a dû être régie par les dispositions claires, positives et générales des lois de 1856, de 1789, de 1790 et de 1791.

L'erreur que les tribunaux de Bruxelles et de Malines ont commise en appliquant au débat la constitution, le Code civil et le Code pénal, provient de ce qu'ils ont confondu deux choses tout à fait distinctes.

Le tribunal de Bruxelles a confondu le fait défendu par le règlement, et à raison duquel l'action publique a été intentée, avec un fait antérieur auquel ce règlement et cette action sont absolument étrangers.

Le tribunal de Malines a confondu la privation de la propriété avec les limites essentielles de ce droit.

De là l'erreur de ces tribunaux, la fausse application qu'ils ont faite de la constitution, du Code civil et du Code pénal, et la contravention qui en est résultée aux lois syr les attributions des corps municipaux.

Nous nous arrêterons peu à la confusion dans laquelle est tombé le tribunal de Bruxelles, le jugement de Malines ne l'a point reproduite; le fait défendu par le règlement, et à raison duquel l'action publique a été intentée, est le fait de continuer à se servir d'une fosse d'absorption; le règlement ni l'action ne portent sur le fait d'avoir établi cette fosse et de s'en être servi; ces deux faits diffèrent entre eux précisé

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ment par ce qui soumet l'un à l'empire de la loi pénale et en rend l'autre indépendant; ils en diffèrent par le temps, l'un appartient à l'avenir et l'autre au passé; c'est pour n'avoir pas remarqué cette différence qu'on a pu voir dans le règlement, sous le rapport de la loi pénale combinée avec l'art. 2 du C. civ., une illégalité qui ne peut y être, limité comme il l'est; ce qu'a fait le défendeur avant le règlement en établissant une fosse d'aisance et en s'en servant était licite, l'axiome du droit pénal que ce qui n'est pas défendu est permis le couvrait; aussi le règlement n'ordonne nullement de le rechercher de ce chef, et il ne l'a pas été non plus; mais depuis le règlement l'axiome a cessé de le couvrir pour les faits d'usage postérieurs, et ce sont ces faits qu'il est ordonné de rechercher, et qui seuls l'ont été; aucune confusion n'est donc permise sous ce rapport; le règlement n'a donc atteint que ce qu'il pouvait atteindre, c'est-à-dire l'avenir, et par conséquent il n'a rien de contraire aux lois qui régissent les personnes.

Pour être d'une autre nature que la confusion dans laquelle le tribunal de Bruxelles était tombé sous le rapport des personnes, celle dans laquelle est tombé le tribunal de Malines, sous le rapport des biens, n'en est pas moins réelle; il a confondu la privation de la propriété avec les limites essentielles de ce droit.

Partant de la constitution qui reconnaît la propriété et en assure l'inviolabilité par ses articles 11 et 12, de même qu'elle reconnaît la liberté de la personne et en assure l'inviolabilité par ses articles 7, 8 et 9, ce tribunal a considéré la propriété comme un droit absolu qui n'admet d'autres limites que celles de la chose, et auquel par conséquent on ne peut en imposer aucune en cette chose sans y porter atteinte, sans en faire subir une privation, au moins partielle, au propriétaire, et sans donner naissance à l'obligation de l'indemnité préalable; de là son erreur et la confusion dans laquelle il est tombé.

La constitution reconnaît la propriété, il est vrai, et elle en assure l'inviolabilité, mais elle ne la définit pas, c'est-à-dire n'en règle ni l'étendue ni les limites, pas plus qu'elle ne définit, en la reconnaissant, la liberté individuelle, qui est à la personne ce que la propriété est aux biens. Elle a dû laisser et elle a laissé aux lois, aux règlements rendus pour l'exécution des lois, le soin de régler l'étendue et les limites de l'une et de l'autre. Aucun droit en effet n'est absolu dans ce monde; chaque homme avec ses droits vit

au milieu de ses semblables, qui ont aussi les leurs inhérents à l'existence de chacun; et tous vivent au sein de la société, sauvegarde de toutes ces existences et de tous ces droits individuels, et qui, elle aussi, a son existence propre et les droits sans lesquels cette existence serait impossible; telle est la condition humaine de laquelle naissent pour chacun dans sa vie et dans l'un des principaux éléments de sa vie, dans l'exercice de ses droits, des relations nécessaires, des points de contact en nombre infini sous un double rapport, d'une part, avec les autres hommes et les droits inhérents à leur existence individuelle, d'autre part, avec la société et les droits inhérents à son existence; de ces relations, de ces points de contact, naissent également, et aussi sous un double rapport, quant aux hommes individuellement, et quant à la société en corps, des oppositions, et, s'il m'est permis d'employer ce terme, des incompatibilités de droits non moins nombreuses; ces oppositions, ces incompatibilités arrêteraient tout droit comme toute existence, jetteraient le monde dans un état permanent de luttes, de violences et de désordres, si, par des mesures équitablement appropriées aux temps, aux lieux, aux circonstances, en un mot à toutes les nécessités qui se révèlent dans le cours des siècles, tous les droits, ceux de la personne et ceux des biens, n'étaient renfermés dans des limites qui les séparent, et qui, tout en les restreignant sans les détruire, leur donnent une force nouvelle ou plutôt leur donnent leur véritable force, celle-là seule qui peut les conserver, et leur enlèvent ce caractère absolu concevable seulement dans un état impossible d'isolement.

Mais ces limites, que déplacent sans cesse les besoins variables des temps et des lieux, les resserrant ou les étendant tour à tour selon les relations, les points de contact de l'homme à l'homme et à la société, sont par l'étendue, la variété et les changements continuels des choses qu'elles embrassent, l'œuvre de toute la législation d'un peuple; sa loi constitutionnelle n'y pourrait suffire; son œuvre à elle est d'établir les pouvoirs chargés de donner vie à cette législation en les constituant dans des conditions qui garantissent les droits de tous, et par conséquent elle ne peut que reconnaître ces droits sans en régler l'étendue et les limites.

C'est ce qu'a fait la constitution pour les biens comme pour les personnes, pour la propriété comme pour la liberté de l'individu; quoique rédigée dans des termes quelque peu différents de l'article 545 du C. civ.,

elle contient absolument la même disposition que cet article, et rien dans les circonstances qui en ont accompagné la rédaction, la proposition, la discussion et le vote, n'annonce qu'elle ait statué dans un autre sens ; le tribunal de Malines s'est trompé quand il a cru y voir une différence; elle a comme cet article reconnu la propriété de même qu'elle a reconnu la liberté, mais elle n'a pas plus défini, réglé l'étendue et les limites de l'une que de l'autre; elle a laissé ce soin à la législation, aux lois et aux règlements pris en exécution des lois; c'est là que nous devons les chercher, et quoiqu'au premier abord les considérations auxquelles nous venons de nous livrer semblent étrangères à cette recherche, elles doivent pourtant nous y conduire et nous y être un guide; nous en avons la preuve dès le premier pas que nous y faisons.

Si la constitution ne définit pas la propriété, la loi civile à laquelle elle nous renvoie par son silence doit la définir; tel est en effet l'objet de sa première disposition sur la propriété; l'article 544 du C. civ. en contient la définition, et cette définition, tout en lui enlevant le caractère d'un droit absolu, la rattache, pour son étendue et ses limites, à tout l'ensemble de la législation.

« La propriété, porte cet article, est le a droit de jouir et disposer des choses de la « manière la plus absolue, pourvu qu'on « n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

La disposition de cet article n'est pas nouvelle; elle est, avec ses restrictions mêmes, l'expression d'un principe qui de tout temps a régi la propriété; nous le retrouvons dans tous nos anciens jurisconsultes, qui définissent la propriété jus utendi et abutendi re suá, quatenus juris ratio patitur.

Dans cette définition se rencontrent deux éléments distincts: d'abord le droit de jouir ét de disposer, puis la chose, objet du droit; cette chose est pour les immeubles la terre, la maison ou l'édifice, en tout ou en partie.

Ces deux éléments y sont traités fort différemment; le second, c'est-à-dire la chose, reste entier aussi longtemps que dure la propriété; l'expropriation seule peut l'enlever ou la réduire; le premier au contraire, c'est-à-dire le droit de jouir et de disposer, a plus ou moins d'étendue selon les lois et les règlements, quoique la chose et la propriété subsistent. En règle générale cette jouissance et cette disposition sont absolues, mais à côté de la règle vient se placer l'exception portant sur tout usage interdit par PASIC., 1852. Ire PARTIE.

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une disposition légale ou réglementaire. Ainsi nous trouvons ici pour les choses ce que nous trouvons ailleurs pour les personnes; les unes sont, quant à la propriété, placées sur la même ligne que les autres quant à la liberté.

Affectées du droit de propriété, les choses sont propres à la personne de l'homme, et de là vient qu'il en jouit et en dispose ou, pour nous servir d'un mot qui comprend la il use de sa liberté; il en use absolument, jouissance et la disposition, il en use comme mais sauf les lois et règlements qui peuvent lui en interdire tel ou tel usage en la laissant entière, comme les lois et les règlements peuvent lui interdire tel ou tel usage de sa liberté en ne touchant pas à sa personne. « Il faut des lois, dit Portalis, sur l'art. 544 « du C. civ., pour diriger les actions rela«tives à l'usage des biens comme il en est « pour diriger celles relatives à l'usage des « facultés personnelles; on doit être libre « avec les lois et jamais contre elles; de lå, << en reconnaissant dans le propriétaire le « droit de jouir et de disposer de sa propriété de la manière la plus absolue, nous " avons ajouté, pourvu qu'il n'en fasse pas « un usage prohibé par les lois ou par les «< règlements.

(

<< Quand le législateur publie des règle«ments sur les propriétés particulières, il << n'intervient pas comme maître, mais uni"quement comme arbitre, comme régula«<leur, pour le maintien du bon ordre et de « la paix (1). »

Telle est donc la propriété que reconnaît et garantit la constitution et que définit la loi civile en termes clairs, formels et géné raux une chose attachée à la personne de l'homme et se confondant avec elle dans l'empire que lui donne sur lui-même son libre arbitre; la jouissance et la disposition de cette chose dans la limite des restrictions qu'y apportent les lois et les règlements pris en exécution des lois.

Ce pouvoir de la loi sur l'usage ne peut pas plus se séparer de la chose que de la personne de l'homme; il se coordonne donc complétement avec la propriété. Elle reste intacte, quelle que défense qu'il fasse, pourvu que la chose n'en soit pas atteinte.

Certes ce pouvoir ne peut être arbitraire; la justice en est le principe, et la forme sous laquelle il s'exerce est une sùre garantie

(1) Voy. Locré, Législation du Code civil, article 544, VI, 5, 6.

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qu'il saura toujours la respecter ou que tout oubli à cet égard ne serait que passager; mais si ce pouvoir ne peut être arbitraire, si la justice lui commande de tenir la liberté d'usage pour la règle et la restriction pour l'exception; si elle lui commande de ne voir de cause légitime à cette exception que dans l'harmonie nécessaire de tous les droits et privés et publics, il n'en conserve pas moins toute sa plénitude d'action sur l'usage des choses; il est inséparable de la propriété ; elle subsiste pourvu que la chose reste attachée à la personne et que celle-ci conserve privativement le droit d'en jouir et d'en disposer dans les limites de la loi et du règlement; elle ne disparaît en tout ou en partie, le propriétaire n'en subit la privation qu'autant que la chose lui soit enlevée en tout ou en partie; l'usage peut en être altéré par les lois ou par les règlements, mais ce n'est là qu'une des conditions mêmes de son existence, et cette altération, loin d'en causer la privation, ne fait qu'en attester et en assurer la réalité sur le chef du propriétaire. Qu'on ne dise pas que nous employons ici à tort le mot usage comme synonyme de la jouissance et de la disposition; qu'il faut distinguer, comme l'a fait le tribunal de Malines, la jouissance de l'usage pour la soustraire au pouvoir de la loi; cette distinction est impossible; tout usage d'une chose en est nécessairement une jouissance; avec une pareille distinction la limite du droit disparaîtrait; si le mot usage peut se distinguer de la jouissance, ce n'est que dans ce sens qu'il a plus d'étendue et embrasse avec elle la disposition de la chose, objet du droit; aussi ce mot usage est-il mis dans l'article 544 du C. civ. en regard du droit de jouir et de disposer comme le corrélatif de ces deux mots.

Qu'on ne dise pas non plus qu'il faut distinguer entre un usage qui a déjà été fait de la chose et un usage qui n'en a pas été fait encore; que le premier doit échapper à l'empire des lois et des règlements postérieurs, que le dernier peut seul être régi par eux; cette distinction n'est pas moins impossible que la précédente; la loi qui définit la propriété ne distingue pas et ne pouvait distinguer.

En faisant de la prohibition légale ou réglementaire de tel ou tel usage d'une chose la condition essentielle de la propriété de cette chose, elle ne permet évidemment pas de frapper l'usage qu'on en aurait fait dans le passé, ce serait vouloir atteindre ce qui est juridiquement et physiquement hors de sa portée, mais elle frappe le même usage

dans l'avenir; ses termes sont généraux et ne comportent pas de distinction sous ce rapport; ils se réfèrent, pour nous servir de l'expression de Portalis, aux actions relatives à l'usage des biens qu'ils soumetlent à la direction des lois; cet usage, cette jouissance, est en effet un fait qui se renouvelle sans cesse, qui se continue, et en se continuant produit même des effets tout différents; il peut donc être aujourd'hui libre de toute entrave et demain arrêté par la règle qu'il ne connaissait pas auparavant; par cela même qu'il est distinct de la chose, celle-ci reste entière et avec elle la propriété, malgré cette règle dont elle ne peut se séparer.

Comment d'ailleurs admettre la possibilité d'une distinction entre l'usage qu'on n'a pas encore fait et celui qu'on a déjà fait de la chose? ce serait renverser cette condition essentielle de la propriété en la rendant illusoire; ce serait admettre, non-seulement qu'on peut acquérir des droits contre l'ordre public, ce qui serait absurde, mais qu'on peut même en acquérir avant que ses besoins ne se soient révélés, ce qui serait plus absurde encore; car, nous venons de le dire, grande est souvent la différence entre les effets d'un usage qui commence et les effets d'un usage qui se continue; aujourd'hui inoffensif, parce que ces effets sont faibles ou parce qu'ils se produisent dans des circonstances qui éloignent tout mal ou tout danger, il devient plus tard une cause puissante de désordres moraux ou physiques, soit parce qu'avec le temps ses effets s'accroissent, et de faibles qu'ils étaient dans l'origine, prennent une extension qui le rend inconciliable avec les droits privés et sociaux et les intérêts qui se rattachent à ces droits; soit parce qu'après sa naissance surviennent des circonstances qui lui impriment ce caractère de désaccord qu'il n'avait pas d'abord, et appellent impérieusement l'intervention des lois et des règlements.

Cette distinction entre un usage commencé et un usage non commencé n'est donc pas plus dans la nature des choses, dans le principe de la condition essentielle de la propriété, comme de tout droit, qu'elle n'est dans les termes de la loi qui exprime ce principe; sa disposition est générale, elle comprend l'un et l'autre et ne distingue que les faits d'usage, laissant à l'abri de toute atteinte ceux qui appartiennent au passé, et ne s'adressant qu'à ceux qui appartiennent à l'avenir. Celui qui fait un usage déterminé de sa chose sait que cet usage peut être prohibé un jour, et qu'il ne le fait que sous le régime de la loi qui autorise cette

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