Page images
PDF
EPUB

matiques, et son père commença à le charger de préparer les réponses aux ambassadeurs sur les objets les plus importans.

:

Le pape Innocent xi étant mort le 12 août 1689, Torcy demanda et obtint la permission de retourner à Rome il désiroit vivement de voir un conclave, et de saisir autant que possible le fil des intrigues qui ont lieu pour une élection à laquelle tous les souverains de l'Europe sont intéressés. Il partit avec les cardinaux français, et avec le duc de Chaulnes, ambassadeur de France auprès du Saint-Siége. Le conclave dura six semaines : Ottoboni fut proclamé pape sous le nom d'Alexandre vin, et Torcy lui fut présenté en audience particulière. Avant de quitter Rome, il reçut la nouvelle que son père avoit obtenu pour lui la survivance de sa charge de secrétaire d'Etat.

Le Roi, lorsqu'il fut de retour, le fit venir dans son cabinet, et voulut qu'il lui rendît compte de ce qui l'avoit frappé, soit au conclave, soit à la cour de Rome, soit à l'audience qu'il avoit eue d'Alexandre VIII. Ses observations, aussi fines que justes, furent présentées avec autant de précision que de clarté; elles annonçoient une maturité et des connoissances bien rares dans un jeune homme de vingt-quatre ans. Louis xiv lui témoigna sa satisfaction, et Torcy se livra avec une nouvelle ardeur au travail.

En 1691 et 1692, il suivit Louis XIV à l'armée, et fit pour la première fois les fonctions de secrétaire d'Etat. Pendant les années suivantes, il aida le marquis de Croissy dans l'expédition des affaires de son département.

Après la mort de Louvois, le marquis de Pomponne avoit été rappelé à la cour, et étoit rentré au conseil à l'époque où le Dauphin et M. de Beauvilliers y furent admis. Pomponne, loin de marquer de l'éloignement à Croissy, qui l'avoit remplacé au ministère des affaires étrangères, étoit allé lui offrir son amitié. Dès ce moment, la liaison la plus franche et la plus intime s'établit entre ces deux hommes, qui étoient faits pour s'apprécier mutuellement. Quelques années plus tard, Louis xiv jugea utile à son service de resserrer les liens qui unissoient les deux familles, en faisant épouser à Torcy une des filles du marquis de Pomponne (1). Le marquis de Croissy, tourmenté depuis long-temps par de violens accès de goutte, étoit dans un état de santé qui donnoit de sérieuses inquiétudes. Torcy avoit la survivance de la charge de son père; mais le Roi le trouvant encore trop jeune pour lui confier des fonctions aussi importantes, avoit l'intention de le faire diriger par le marquis de Pomponne au moins pendant les premières années. L'alliance projetée prévenoit toutes difficultés; on la négocioit, lorsque le marquis de Croissy mourut le 28 juillet 1696. Louis XIV voulut que le mariage se fît sans aucun délai : il fut célébré le 13 août suivant. Torcy succéda à son père dans la charge de trésorier de l'ordre du Saint-Esprit (2), et dans celle de secrétaire d'Etat; mais il ne fut point encore ministre. Le Roi décida que Pomponne rapporte

(2) Par une distinc

(1) Catherine-Félicité Arnauld de Pomponne. tion singulière, et qui n'avoit pas encore eu d'exemple, il prêta serment pour sa charge de trésorier de l'ordre dès le 12 août, quatre mois avant l'expédition des provisions, et porta les marques de cette dignité.

roit les affaires au conseil, et que Torcy feroit les dépêches sous sa direction; que les ambassadeurs iroient chez Pomponne, qui leur donneroit audience en présence de Torcy ; et que le beau-père et le gendre occuperoient ensemble à Versailles le logement destiné au ministre des affaires étrangères. En 1698, Torcy eut entrée au conseil, mais seulement lorsqu'on y traitoit les affaires de son département; il se retiroit après avoir fait les rapports. Il n'y fut définitivement admis qu'en 1699, après la mort du marquis de Pomponné, dont il hérita de la surintendance des postes.

Nous avons dû entrer dans ces détails sur la jeunesse, sur les études, sur les voyages et sur les travaux du marquis de Torcy jusqu'à l'année 1699, parce qu'il n'en est fait aucune mention dans ses Mémoires, et qu'il nous a paru utile de faire remarquer combien il avoit acquis de connoissances positives et d'expérience avant d'être chargé du maniement des affaires. En effet, dès son enfance ses études avoient eu un but déterminé; au sortir du collége, la lecture des dépêches diplomatiques l'avoit mis au courant des formes et de la marche des négociations; dans ses voyages, il avoit vu la plupart des hommes avec lesquels il devoit avoir à traiter par la suite. Quinze ans de travaux assidus, sous la direction de son père et du marquis de Pomponne, l'avoient instruit à fond des intérêts opposés des puissances, de leurs forces, de leurs projets, ainsi que des moyens à employer, soit pour les maintenir dans notre alliance, soit pour rompre les ligues qui se formoient contre le royaume. Peu d'hommes sont arrivés au ministère avec de pareils avantages; et jamais la France, dans la position

critique où elle se trouva bientôt, n'eut plus besoin d'un ministre qui, comme le marquis de Torcy, réunissoit à un dévouement sans bornes un esprit fin, délié, fécond en ressources, et une grande habitude des affaires.

Les Mémoires du marquis de Torcy contiennent la relation des négociations auxquelles il a pris une part plus ou moins active, depuis 1698 jusqu'à la paix générale de 1714. Non-seulement l'auteur n'y a omis aucun fait important, mais il s'est étendu avec une sorte de complaisance sur les détails les plus minutieux. Pendant ce laps de temps, si fécond en événemens mémorables, son existence entière ayant été consacrée aux affaires de l'Etat, nous n'essaierons pas de reproduire sommairement dans cette Notice ce qui est présenté avec de longs développemens dans les Mémoires : il suffira de rappeler que la France, parvenue au plus haut degré de splendeur, éprouva pendant la guerre de la succession des revers qui la réduisirent aux dernières extrémités, et qu'au moment où toutes ses ressources sembloient épuisées, où le triomphe de ses ennemis paroissoit le plus assuré, le succès des négociations qui lui rendirent sa prépondérance en Europe fut principalement dû aux soins et à l'habileté du marquis de Torcy.

Il ne jouit pas long-temps du fruit de ses travaux. La France, épuisée par une guerre longue et désastreuse, commençoit à réparer ses pertes, lorsque Louis xiv mourut, s'étant montré peut-être encore plus grand dans la mauvaise fortune que dans la prospérité. Le Roi, dans son testament, avoit nommé Torcy membre du conseil de régence : il y fut maintenu par le duc

d'Orléans après que le testament eut été cassé; mais dès le commencement de la régence la direction des affaires des divers départemens ayant été attribuée à des conseils, Torcy se défit de sa charge de secrétaire d'Etat. Pour le dédommager, on érigea en charge la surintendance des postes, qu'il n'exerçoit que par commission: cette charge lui donnoit un travail particulier avec le Régent, qui, ne voulant pas se priver des lumières et de l'expérience d'un ministre aussi habile, lui confia en outre le soin de ses correspondances avec les cours étrangères.

Torcy étoit sans ambition personnelle; il n'avoit en vue que les intérêts de la France, et vivoit éloigné de toute intrigue : mais on savoit qu'il n'hésitoit jamais à dire la vérité au prince. Les audiences secrètes et assez fréquentes qu'il avoit pour son travail donnèrent de l'ombrage: quelques courtisans, qui redoutoient son influence dans les affaires, se liguèrent contre lui; le Régent eut la foiblesse de céder à leurs sollicitations, et lui envoya demander sa démission au mois de septembre 1721. A la majorité du Roi en 1723, le conseil de régence fut dissout, et Torcy n'exerça plus aucune fonction publique : il n'avoit alors que cinquante-huit ans, et ses services auroient pu pendant long-temps encore être utiles à la France. En rentrant dans la vie privée, épreuve fatale pour ceux qui n'ont dû une considération passagère qu'aux postes éminens qu'ils ont occupés, il soutint sa nouvelle position avec autant de dignité qu'il avoit soutenu le poids des grandeurs et des affaires. Tous ses amis lui restèrent fidèles; ils étoient attachés à sa personne, et non à sa fortune.

« PreviousContinue »