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finances, n'avoit devant les yeux que la per. spective décourageante de la banqueroute.

La tyrannie sur les fortunes ne va jamais sans la tyrannie sur les personnes; et, pour s'emparer des biens des peuples, il faut commencer par les asservir. Depuis que les rois de l'Europe, à l'exemple de ceux d'Asie, ont eu des troupes à leurs ordres, ils ont été les maîtres des biens et de la vie des hommes, qui sont devenus leurs su jets. Cette institution, imaginée par les rois pour affoiblir la puissance excessive des seigneurs, et pour se passer de leurs services qu'ils faisoient payer trop chèrement, marqua l'époque du despotisme en Europe. Les guerres, dont les rois ont toujours paru ne pouvoir se passer, et qu'on a toujours prises cependant pour la folie des peuples, fournissoient le prétexte de lever des soldats, et les levées de soldats fournis soient des

prétextes et des moyens à de nouvelles guerres. Nul despote n'a marché qu'avec des satellites ; et par-tout où vous verrez une armée soudoyée par le maître, dites que là il y a un tyran, ou un homme qui va le devenir, ce qui est la même chose pour la liberté. Nos rois, qui ne faisoient jadis exécuter les loix que du consentement des peuples, ne les consulterent plus ; leur volonté

fut la loi suprême. Alors la monarchie fut déna turée; elle fut chez nous ce que les Grecs appeloient tyrannie, le gouvernement arbitraire d'un seul. L'étendue de la monarchie ne permettant: pas au prince de voir tout par lui-même, les rois de France furent obligés de consulter les ministres; et ceux-ci finirent par tout gouverner. Un despote peut quelquefois songer à rendie ses. peuples heureux et son empire florissant, parce qu'ils sont le patrimoine de sa famille; les ministres ne peuvent manquer de s'occuper principa lement de leur intérêt et de leur pouvoir. Le visirat est en France une des époques du despotisme, et les peuples y ont été plus ou moins esclaves, selon que les ministres ont été plus ou moins absolus. C'est d'eux que sont venues les commissions extraordinaires nommées pour satisfaire leurs vengeances personnelles, et les Jettres de cachet, et les enlevements arbitraires des citoyens, et ces créations burs ales, ces ventes de charges et d'offices, qui, en grossissant le trésor du roi, servoient à accroître le leur ou à payer leurs créatures.

Tous les peuples soumis à la volonté d'un seul homme ont plus ou moins souffert de son despoțiĝme, mais nulle nation n'a été plus dédaię

gneusement opprimée par ses maîtres que la nation françoise Depuis le cardinal de Richelieu, jusqu'aux premiers jours des états-généraux de 1789, les sujets du roi, c'est ainsi qu'on les appeloit, ont été constamment soumis à un régime oppressif, d'an'ant plus humiliant, que ce peuple étoit doué de ce don de la nature que l'on appelle esprit, et que dans ces derniers temps il avoit des lumieres. Les conseils des rois se jouoient des ju sements du peuple et de ses satyres ; et quand enfin, les lumieres croissant toujours, il s'est formé une opinion publique imposante, qui n'étoit, après tout, que l'expression de la volonté générale, les ministres ont persévé é dans leurs formes impératives et leur dédain insultant. Cet oubli des convenances les a perdus. On ne sauroit trop redire que les pouvoirs 'usurpés ne tombent que parcequ'ils n'ont pas vu qu'ils devoient finir.

Pourquoi ne reprocherions nous pas au pouvoi arbitraire cette multitude de vexations dont les peuples ont été accablés, et ces guerres presque toujours injustes, et ces impôts progressifs, iniquités féroces que nos neveux bén:ront an jour, parcequ'ils leur devront la liberté?

Au regne barbaré de l'impérieuse Médicis, de cette étrangere coupable qui fit couler à torrents le sang des François, succéda le regne de Richelieu, c'est-à-dire du despotisme en personne. Ses maximes nous ont toujours gouvernés depuis. Opprimés avec dureté par Richelieu, les François le furent avec astuce par Mazarin; il corrompit ceux que cet autre prêtre son prédécesseur n'avoit fait qu'épouvanter er avilir. Elles avoient passé, ces ames fieres et indépendantes, qui, au sein des guerres civiles, avoient déployé un genre de grandeur que le brave Henri n'eut pas le temps de tourner contre les ennemis de la France. Tous rampoient sous un maître ; car Richelieu leur avoit appris à flatter.

C'est sur ces hommes, fiers avec bassesse et corrompus avec orgueil, que Louis XIV alloit régner. On a tout dit sur Louis XIV, et la postérité s'est vengée peut-être avec excès des mensonges adulateurs de ses sujets. Mais si ce roi protégea les arts qui lui donnoient de la gloire, s'il vit éclore les fruits que Richelieu avoit semés, s'il étonna par un air de grandeur qui fait le caractere de son regne, par combien de calamités ces biens factices n'ont-ils pas été compensés! San goût

pour les conquêtes faciles, lui fit prodiguer l'or et le sang de ses sujets; son faste arrogant lui attira l'inimitié de toute l'Europe; son despo tisme sur la pensée ensanglanta ses états et les dépeupla. Louis XI n'avoit ouvert qu'un cachot, et il couchoit sur la voûte sous laquelle gémissoient ses victimes. Louis XIV en ouvrit mille, et, sourd aux cris de ses sujets malheureux, il se livroit à toutes les voluptés d'une cour galante et fastueuse. C'est lui qui à préparé la chûte de la noblesse, en la tirant de ses châteaux pour l'amuser et l'avilir avec des cordons, des rubans et des tabourets : et quand une fois ce titre de gloire a été vénal, et qu'on est devenu illustre avec de l'argent, l'opinion a été formée, et la noblesse de France a été jugée dans toute l'Europe comine elle l'a été parmt

nous.

Les fruits du regne de Louis XIV ont été, d'un côté, la conquête de quelques provinces, la perfection des beaux arts, un théâtre supérieur à celui d'Athenes, un goût et une urbanité qui ont servi de modele à toutes les cours, et surtout la réunion de toutes les parties, auparavant incohérentes, du gouvernement et de l'empire d'un autre côté, la perte de cinq ou six cents

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