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marquée; car on étoit disposé à la maintenir. Outre la différence de costume dont nous avons parle et celle des places, on avoit affecté une porte particuliere pour les députés des communes; ils devoient passer par une porté de derriere abritée par un lngar, où ils furent entassés pendant plusieurs heures, pendant que le roi, la cour et les députés de l'église et de la noblesse passoient par la grande porte. Après la cérémonie d'un appel long et ennuyeux, qui lassa la patience des députés des communes, ils furent introduits aux places qui leur étoient destinées dans cette belle salle des menus, dont les hommes et les femmes de la cour remplissoient les tribunes.

Le discours paternel du roi annonçoit les dispositions bienfaisantes qu'il avoit dans le cœur, et cet amour pour les peuples, non la seule mais la premiere vertu des monarques, et qui, souvent, leur a tenu lieu de toutes les autres. Celui du garde des sceaux ne fut point entendu, et ne fit, par conséquent, aucune impression. Mais on entendit et l'on écouta avec la plus grande attention celui de M. Necker. C'étoit en effet un moment bien intéressant que celui où le ministre, organe du roi eg

de son conseil, alloit, par une grande publi cité, faire connoître à tant d'hommes attentifs les véritables sentiments de la cour; car c'étoit là ce qu'attendoient sur-tout les députés des communes. On ne doit pas oublier que chaque ordre étoit arrivé avec ses prétentions, et que la lutte avoit commencé, même avant leur réunion à Versailles. Trop occupés chacun des intérêts dont ils étoient chargés, ils n'examinoient pas si le discours du ministre étoit purement son ouvrage; si, gêné par une place dans laquelle néanmoins personne n'auroit voulu voir un autre que lui, il devoit et pouvoit substituer ses opinions particulieres à celles du conseil; si déjà la cour ne l'accusoit pas de vouloir diminuer l'autorité royale; s'il appartenoit à personne de décider les grandes questions qui déja divisoient tous les esprits; et si en prononçant même selon les vœux des communes, le ministre ne pouvoit pas craindre que les deux premiers ordres ne fissent à l'instant une scission aux suítes de laquelle la France n'étoit pas encore préparée.

Les deux premiers ordres, qui savoient à quoi s'en tenir sur les dispositions de la cour, ne témoignerent pas de mécontentement de

discours de M. NECKER, quelle que fùt leur haine pour lui; mais les députés des communes le reçurent avec la plus grande froideur.

Assis sur leurs bancs reculés et dans un silence conforme à la sévérité de leur costume, ils attendoient à chaque moment des paroles qui répondissent aux idées élevées dont ils étoient remplis, et qu'ils ont depuis exécutées. Egalité et liberté : ces deux mots étoient déja le ralliement des François. Le peuple et ses représentants avoient été conduits par les évènements à desirer une réforme générale, que le conseil ne leur promettoit pas, et que les fautés de la cour et des deux premiers ordres accélérerent.

Dès ce moment commença la lutte. Le soir même les députés des communes, rassemblés par provinces, convinrent qu'ils se réuniroient dans la salle des états-généraux, qu'ils la regarderoient comme la salle nationale, et qu'ils y attendroient les autres ordres pour délibérer en commun: ils ne s'écarterent plus de cette conduite. En effet à quoi auroit servi au tiersétat d'obtenir la moitié des suffrages aux étatsgénéraux, si, par la séparation en trois chambres, il n'en avoit réellement que le tiers? Le endemain les deux premiers ordres se as

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semblerent chacun dans des chambres séparées, et ceux des communes se rendirent à la salle. nationale. Ils y attendirent inutilement ceux du clergé et de la noblesse; et ne se regardant que comme des députés présumés, dont les pouvoirs n'étoient pas encore vérifiés, ils ne s'ocsuperent que de l'ordre de leur assemblée, sans se permettre aucune délibération. Dans les deux autres chambres on commença à s'occuper de la vérification des pouvoirs, chacun dans son ordre. C'étoit annoncer tacitement que l'on ne se réuniroit point avec les députés du tiers-état.

Ainsi la dispute à laquelle on s'étoit préparé sur le vote par ordre ou par tête, s'engagea d'abord sur la vérification des pouvoirs en commun. Les députés du peuple disoient que, lors même que les ordres devroient délibérer séparément, ce que les communes ne pensoient pas, les pouvoirs devroient être vérifiés en commun; et que chaque ordre devant délibérer sur les propositions générales, il convenoit à chacun de savoir si les députés des autres étoient légalement nommés. Le roi auroit pu exiger, dès les commencements, que les députés vérifassent leurs pouvoirs en sa présence; cette

dispute n'auroit pas eu lieu. On l'a reproché à la cour comme une faute : mais la querelle auroit commencé sur la question de la séparation des chambres, et elle se seroit terminée de même par la victoire du tiers-état, qui ne pouvoit jamais entendre à n'avoir qu'un tiers des suffrages. Cependant ceux des communes invirerent plusieurs fois les autres ordres à se réumir dans la salle nationale pour y procéder ensemble à la vérification commune. La noblesse, sans s'embarrasser de leurs observations, et se livrant à la hauteur de son caractere, continua de vérifier ses pouvoirs dans sa chambre. Mais ceux du clergé suspendirent cette opération; et quoique la noblesse signifiât, le 13 mai, aux députés des communes qu'elle se déclaroit légalement constituée, ceux-ci n'en tinrent aucun compte, et ne s'écarterent pas de leur systême d'inertie. Cependant le clergé, divisé dans ses opinions, et couvrant ses prétentions de l'amour de la paix, qui devroit en effet être son caractere, proposa aux autres ordres de nommer des commissaires conciliateurs qui pussent rapprocher les esprits. La noblesse y ayant consenti, les communes y accéderent à leur tour. Elles crurent que la modération con

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