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consentement mutuel le secret de leurs torts, et le souvenir de leurs injures.

307 Cependant si cette faculté du consentement mutuel a, dans le divorce, un but si nécessaire et si moral, pourquoi donc ne se retrouve-t-elle pas également parmi les moyens de la séparation de corps ? N'estce pas établir une choquante inégalité entre ceux dont les opinions religieuses supportent l'idée du divorce, et ceux à qui leur conscience ne permet d'autre voie pour rompre une société malheureuse, que celle de la séparation ?

Cette objection s'est élévée dans le tribunat, et il est convenable de vous dire par quels motifs on n'a pas dû s'y arrêter.

Ils sont puisés d'abord dans la nature même des choses; car, après tout, deux époux qui consentent mutuellement à se séparer ne peuvent-ils pas le faire sans l'intervention de la loi? Ils n'y trouvent aucun obstacle dans l'autorité publique, à moins que des déréglements notoires n'appellent sur eux la surveillance. Des formes authentiques n'ajouteraient donc rien aux effets d'une telle séparation, sinon d'opérer aussi la séparation de biens; or, il est aisé de voir que le consentement mutuel ainsi appliqué deviendrait, envers des créanciers, une trop facile occasion de fraude.

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Ensuite, en considérant la séparation sous le port des idées religieuses, on sait que ces idées ont leurs regles qui les dirigent, et que ces regles ne comprennent point le consentement mutuel parmi les causes qui légitiment, au fond des ames, la rupture de la société conjugale (1). Ce n'est donc point

(1) Dans les pays où il y a des cloîtres, il peut exister une séparation canonique par consentement mutuel, lorsque l'un des époux veut, ou que tous deux veulent faire profession monastique; mais on sent combien une séparation ainsi motivée différe de celle qui laisserait vivre les deux époux indé pendants au milieu du monde,

gêner les consciences, c'est respecter au contraire tous leurs scrupules, que de laisser subsister dans la loi les limites qu'elles reconnaissent elles-mêmes à leur propre indépendance.

Enfin, la séparation de biens par consentement mutuel deviendrait infiniment plus abusive que le divorce même, parce que dans la pratique elle serait incompatible avec les mêmes restrictions.

En effet, tant que les époux ne feraient que déroger aux clauses principales de leur contrat, sans dissoudre le contrat lui-même, il serait déraisonnable d'exiger d'eux ces conditions d'âge, et sentement des ascendants qui ajoute tant de poids à leur volonté, lorsqu'elle a le divorce pour objet.

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Il serait également déraisonnable que deux époux qui conservent encore tous leurs droits de famille fussent forcés d'abandonner une partie de leurs propriétés à leurs enfants; et, par cette seule différence, le consentement mutuel introduit dans le systême de la séparation de corps, y perdrait cette garantie principale qui en écarte les inconvénients et les abus dans le systême du divorce.

Il serait surtout déraisonnable d'interdire à ces époux la faculté de se réunir, puisque c'est cet espoir qui fait encore subsister le lien. Ainsi ils pourraient se jouer sans pudeur de la société qu'ils ont formée, la quitter et la reprendre au gré de leurs fantaisies; insultant également à la dignité du mariage par le scandale de leurs divisions, par les désordres de leur isolement, et par l'avilissement qui accompagnerait leur réconciliation même tandis qu'au contraire le divorce, soumis aux sages conditions que le projet de loi lui impose, rend une seconde union impossible entre ces mêmes époux; et tous deux prêts à consommer leur rupture, sont encore arrêtés par cette idée, qu'une telle rupture est irrévocable, et que leur adieu mutuel est un adieu pour toujours.

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Mais ce qui est digne surtout de considération, c'est qu'une certaine force de l'opinion publique et la salutaire influence des idées religieuses sont encore pour un grand nombre un contre-poids qui leur fait supporter la société conjugale, plutôt que de recourir au divorce, par lequel ils pourraient la dissoudre. Au contraire, la séparation de corps, qui concilierait tout à-la-fois les honneurs du mariage avec l'attrait d'une vie indépendante, qui laisserait subsister tous les droits d'époux sans imposer d'autres devoirs envers le mari que celui de porter son nom; qui permettrait de tirer vanité de la fidélité religieuse, lors même qu'il n'y aurait plus de fidélité conjugale; la séparation, dis-je, deviendrait bientôt une mode perverse, dont le torrent entraînerait tout ce qui est sur le penchant de la licence.

Cette licence, législateurs, va tarir, par le projet qui vous est soumis, l'une de ces sources les plus fécondes. Heureux les époux, si toutes les précautions dont vous allez environner le divorce, les avertit assez qu'il est moins une faculté qu'un remede, et que tout remede suppose toujours un mal lorsqu'il n'en est pas un lui-même! Plus heureux si, voyant dans la loi le tableau des écarts qui portent atteinte à la société conjugale, ils en conçoivent assez d'aversion pour entretenir avec constance l'union à laquelle ils ont attaché leur commune existence.

Le tribunat a voté pour l'adoption de ce projet.

N 24.

SECOND DISCOURS prononcé par le conseiller d'état TREILHARD, sur la loi relative au divorce. (Tome I, page 43.)

LÉGISLATEURS,

Séance du 23 ventôse an XI.

Quelqu'impression qu'ait dû faire sur vos esprits le discours de l'orateur qui vient de vous présenter le vœu du tribunat pour l'admission du projet de loi sur le divorce, quoiqu'il ne puisse rester aucun doute sur la nécessité de sanctionner ce projet par votre suffrage, je me permettrai cependant encore quelques observations sommaires, mais qui me pa

raissent décisives.

Et d'abord je remarquerai que vous venez, par une loi récente, de placer le divorce au nombre des causes qui peuvent dissoudre le mariage. Nous n'avons donc plus à examiner s'il faut ou non admettre le divorce la loi a parlé, et le divorce est admis. Ainsi s'écartent, en un mot, tous les raisonnements vagues qui frappent, non sur quelque disposition particuliere du projet (seul objet qui puisse être mis en discussion), mais sur l'institution en ellemême, dont la nation a déja reconnu la nécessité par l'organe du corps législatif.

Il ne doit plus être question devant vous de systêmes, de théorie et de tous ces lieux communs sur le mariage et sur le divorce, dont on pourrait peutêtre, sans inconvénient, grossir des ouvrages de philosophie et de morale, mais qui peuvent être fort dangereux quand on s'occupe de lois, non pour un

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monde imaginaire, mais pour les hommes tels que les a formés la nature.

Je dois donc me circonscrire rigoureusement dans l'examen du petit nombre d'objections que la publicité du projet a fait éclore sur quelques-uns de ses articles.

Tout ce qu'on a pu dire frappe nécessairement sur les causes du divorce, sur ses effets, ou sur l'instruction de la procédure.

Je ne dirai rien sur ce dernier article, celui de la procédure. On n'a pas prouvé, on n'a pas même prétendu que la marche n'en fut pas assez lente, as embarrassée, telle enfin que doit être marche d'une action toujours admise avec regret, mais admissible cependant quand elle est nécessaire.a

Quant aux causes du divorce, il paraît que celles de l'adultere et du consentement mutuel ont été combattues.

On ne voudrait pas que l'adultere fût placé au nombre des causes du divorce, non qu'on mécon→ naisse la légitimité de cette cause, mais on craint le scandale d'une discussion, et l'on trouve plus moral et moins dangereux de supprimer dans ce cas l'action, que de l'admettre: on propose d'imiter la sagesse des Romains, qui n'avaient pas prononcé de peines contre certains crimes, parce qu'ils les regardaient comme impossibles.

Je conviendrai sans détour que si l'adultere était aussi inoui parmi nous que le parricide chez les Romains, à l'époque dont on parle, leur exemple serait d'un grand poids.

Mais ce n'est pas avec l'imagination qu'on fait de bonnes lois, c'est avec la raison. Les législateurs ne sauraient fermer les yeux sur tout ce qui les entoure; ils ne peuvent pas supposer que des maux trop réels n'existeront plus, parce qu'ils auront affecté de ne pas les apercevoir. Quelles fatales conséquences pourraient résulter de la suppression de

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