Page images
PDF
EPUB

ses anciennes coutumes pour se conformer aux besoins de l'industrie et du commerce. Elle ne laissera plus subsister, dans nos bois, des arbres dépérissants et des valeurs improductives. On s'apercevera alors que la production de la France peut suffire à sa consommation. »

Sans partager sur ce dernier point l'optimisme de M. Viette, nous croyons, comme lui, que l'Administration forestière doit se décider enfin à abandonner des procédés de culture surannés, aussi contraires à l'intérêt des communes qu'au développement de notre domaine forestier.

Des Tentatives de Réforme du Code forestier, en ce qui a trait aux Bois des Communes.

Ainsi que nous le disions en débutant, les vices du régime forestier soulèvent, depuis longtemps, de nombreuses protestations. Nous avons vu qu'en 1789 un grand nombre de cahiers électoraux demandaient aux États généraux de placer l'exploitation des forêts communales sous la surveillance des assemblées provinciales qu'on parlait alors de créer.

Ces vœux en faveur de la décentralisation du service forestier devaient trouver un écho dans nos Conseils généraux.

Depuis plus d'un demi-siècle, ces assemblées font entendre des plaintes de plus en plus fréquentes et énergiques contre l'Administration forestière.

Dès l'année 1838, le Conseil général des Basses-Alpes demandait que les habitants pussent jouir des bois communaux, conformément aux usages locaux, et que les maires et les conseils municipaux fussent consultés sur l'aménagement de ces bois.

Dans l'Ain, le Doubs, l'Ariège, la Côte-d'Or, la Loire, le Jura, la HauteSaône, les Basses-Alpes et la Savoie, les assemblées départementales ne se lassent pas de réclamer pour les communes le droit de participer, d'une façon efficace, à l'aménagement de leurs bois, ainsi qu'aux opérations de martelage des coupes et à celles du balivage.

Le partage sur pied des bois résineux, la délivrance rapide des bois dépérissants et leur assimilation aux chablis, font l'objet de vœux sans cesse répétés.

Aucun de ces vœux n'ayant reçu satisfaction, les conflits entre le service forestier et les municipalités menaçaient d'arriver à l'état endémique. C'est alors que le Conseil général de l'Ain, dans sa session d'août de 1881, s'avisa d'une idée ingénieuse. Il demanda qu'en cas de désaccord entre l'Administration forestière et le Conseil municipal, la solution du différend fût confiée à une Commission de cinq membres présidée par le Préfet et composée de deux membres choisis par le Conseil général et de deux membres choisis par le Conservateur des forêts.

Cinq ans plus tard, en 1886, le Conseil général des Basses-Alpes émettait un vœu analogue.

Dans le même ordre d'idées, il faut citer les voeux de certaines assemblées départementales, tendant à attribuer aux Conseils généraux la solution des difficultés qui pourront s'élever au sujet de l'administration des forêts communales.

En présence des plaintes suscitées par l'Administration forestière, des propositions de lois émanées de l'initiative parlementaire ont, à diverses époques, tenté de modifier les dispositions du Code forestier relatives aux bois des communes et des établissements publics. Voici l'énumération des plus récentes :

Au mois de mai 1870, M. Ordinaire, député du Doubs, déposa sur le bureau du Corps législatif une propositiou de loi qui déférait au Conseil général la solution des contestations qui pourraient s'élever entre l'Administration forestière et les Conseils municipaux, au sujet, soit de l'aménagement, soit du mode d'exploitation des forêts communales.

La proposition de M. Ordinaire fut prise en considération et renvoyée à une Commission spéciale, mais les graves événements qui éclatèrent au mois de juillet suivant en empêchèrent l'examen.

Sur la proposition de M. Paul Cottin, député de l'Ain, la loi des 19-29 août 1871, dans son article 50, modifia quelque peu le titre VI du Code forestier, en appelant les Conseils généraux à donner leur avis : 1o sur l'application des dispositions de l'article 90 de ce Code relatives à la soumission au régime forestier des bois, taillis ou futaiès appartenant aux communes et à la conversion en bois de terrains en pâturages; 2° sur les délibérations des Conseils municipaux relatives à l'aménagement, au mode d'exploitation, à l'aliénation et au défrichement des bois communaux.

Ces avis, cela va de soi, ne lient en aucune façon le service forestier. L'année suivante, M. Paul Cottin déposa une proposition de loi aux termes de laquelle l'Administration forestière devait inviter le maire à assister aux opérations de martelage des coupes et de balivage. En cas de contestation entre les agents forestiers et l'autorité municipale, le différend devait être porté devant le Conservateur des forêts. L'article 2 enjoignait aux agents forestiers de procéder, une fois par an, sur la demande des Conseils municipaux, à une visite générale des bois communaux, à l'effet de reconnaître et de marquer les bois rompus, secs ou dépérissants; ces bois devaient être vendus à la même époque que la coupe annuelle.

Quelque modérée que fût cette proposition de loi, la commission d'initiative chargée de son examen ne crut pas devoir la prendre en considération. En présence de l'engagement pris par le Gouvernement, à la tribune de la Chambre, de donner satisfaction aux vœux des communes forestières, M. Paul Cottin consentit à retirer sa proposition.

Au cours de la session de 1879, M. Lelièvre reprit, en les combinant, les propositions de loi de MM. Ordinaire et Paul Cottin; mais moins libéral ou plus timoré que le député du Doubs, c'est au Conseil de préfecture qu'il attribue la connaissance des difficultés qui pourront s'élever entre les Conseils municipaux et l'Administration, au sujet de la soumission au régime forestier, de l'aménagement, du mode d'exploitation, du martelage des coupes ou de la délivrance des bois morts ou dépérissants.

M. Loranchet se montra beaucoup plus radical dans le projet qu'il soumit, en 1884, à la Chambre des Députés. Ce projet attribuait aux communes la libre administration de leur domaine forestier. On ne voit pas qu'aucune suite lui ait été donnée, et il faut reconnaître qu'il allait bien au delà des vœux généralement exprimés par les communes propriétaires de forêts.

TOME X VIII AOUT 1892.

VI.- 8.

Au cours de la discussion du budget de 1887, M. Viette, rapporteur du ministère de l'Agriculture, reprit l'idée émise par le Conseil général de l'Ain quelques années auparavant :

‹ Permettez-moi,

disait-il à la Chambre, dans la séance du 3 février 1887, de vous soumettre un avis donné par la Commission du budget dans son rapport et qui intéresse au plus haut degré les dix mille communes forestières de France.

Nous pensons qu'il est urgent de créer un tribunal arbitral, fonctionnant gratuitement et sans frais, et chargé de départager les innombrables conflits qui s'élèvent entre l'Administration et les communes. (Très bien! à gauche.)

Lorsqu'en 1813 on a fait le recensement des forêts françaises et commencé à établir les consistances forestières, la France avait 5 millions et demi d'hectares en forêts: l'Etat en possédait 1 million, les communes 2 millions, les particuliers 2 millions et demi. Depuis, l'Etat et les communes sont restés absolument stationnaires et possèdent exactement la même superficie qu'en 1813, tandis que les particuliers ont élevé de 2 millions et demi à 6 millions et demi d'hectares leurs propriétés boisées. Ce sont eux qui ont défendu la France contre les inondations. (Très bien! à gauche.)

a

:

Pourquoi cette inertie du côté de l'État et cette activité du côté des particuliers? Je vais vous le dire c'est que les particuliers ne sont pas soumis, comme les communes, à une autorité qui ne devrait être que tutélaire et qui trop souvent devient tyrannique.

Ne voyez pas, Messieurs, dans la création d'un tribunal arbitral une déclaration de guerre à l'Administration des forêts! Non, loin de là; il faut y voir une mesure féconde et utile, une œuvre d'apaisement et de conciliation qui mettrait fin aux conflits qui s'élèvent entre l'Administration et les Conseils municipaux, dont la situation tend à devenir intolérable. »

Conformément à l'avis de la Commission du budget, M. Viette déposa une proposition de loi qui créait une commission arbitrale chargée de prononcer sur les difficultés auxquelles pourraient donner lieu « la culture, l'exploitation et la jouissance des forêts communales (art. 1 et 3).

Aux termes de l'article 2, la soumission au régime forestier des terrains communaux ne devait plus être prononcée que sur l'avis conforme du Conseil municipal et du Conseil général.

Votée par la Chambre, le 15 novembre 1887, après déclaration d'urgence, cette proposition de loi fut présentée au Sénat le surlendemain. Malheureusement, elle est devenue caduque, la Commission chargée de l'examiner ayant laissé expirer la législature de 1885 sans avoir déposé son rapport.

Le 22 mai 1890, l'auteur du présent rapport déposa sur le bureau de la Chambre une proposition de loi qui modifiait, dans son ensemble, le titre VI du Code forestier.

Renvoyée à une Commission spéciale, cette proposition y fut l'objet d'un examen approfondi qui aboutit à l'adoption des dispositions législatives dont il nous reste à vous exposer l'économie.

Examen de la Proposition de Loi.

L'article 90 modifié dispose qu'à l'avenir la soumission au régime forestier des bois taillis ou futaies appartenant aux départements, aux communes

et aux établissements publics, ne pourra plus être prononcée que sur l'avis conforme du Conseil général, du Conseil municipal ou des. administrateurs des établissements publics.

Sous le régime actuel, au contraire, la soumission au régime forestier ne dépend que du bon plaisir de l'Administration; sans doute, on prend l'avis des intéressés, mais cet avis ne lie en aucune façon le service forestier, qui est toujours libre de prononcer la soumission quand bon lui semble. C'est là une situation intolérable.

L'attribution au service forestier de la gestion des bois appartenant à une collectivité entraîne une diminution notable du droit de propriété. Que si l'on veut y voir une expropriation pour cause d'utilité publique, cette expropriation, d'après les principes généraux de notre droit, devrait avoir pour corollaire le payement d'une juste et préalable indemnité.

Toute idée d'indemnité étant écartée, la soumission au régime forestier ne peut plus être considérée que comme la conséquence d'un contrat librement intervenu entre l'Etat et les personnes morales propriétaires de forêts.

C'est au reste la solution à laquelle s'est arrêté le projet de Code forestier déposé le 16 juillet 1888, sur le bureau du Sénat, par M. Viette, alors ministre de l'Agriculture, projet qui a été retiré depuis lors. Que si le Code actuel. en décide autrement, c'est qu'en 1827, comme à l'époque où Colbert fit rendre l'ordonnance sur les eaux et forêts, à laquelle son nom est resté attaché, on considérait que la soumission au régime forestier était commandée par la nécessité d'assurer les approvisionnements de l'Etat en bois de construction ou de marine, pour le cas où les forêts domaniales ne lui en fourniraient pas en quantité suffisante.

De nos jours, ces préoccupations ont disparu : le fer tend de plus en plus à remplacer le bois dans les constructions d'édifices; et, quant aux bois de marine, les approvisionnements de l'État en sont depuis longtemps assurés, indépendamment de toute réglementation.

Cela est si vrai que l'ordonnance du 14 décembre 1838 a supprimé dans les bois soumis au régime forestier l'exercice du droit de martelage pour le service de la marine. Un peu plus d'un an auparavant, le 1er août 1837, les bois des particuliers avaient été affranchis du service de la surveillance des fournitures de bois de marine.

L'intérêt de l'État n'étant plus en jeu, la soumission au régime forestier n'a plus d'autre raison d'être que l'intérêt des communes. Or, cet intérêt, nul n'en saurait être meilleur juge que le propriétaire lui-même.

C'est en vertu de considérations analogues que nous avons cru devoir décider, contrairement à la législation actuelle, que la conversion en bois des terrains en pâturages ne pourrait plus avoir lieu que sur la demande expresse des départements, des communes ou des établissements publics.

Quant aux questions touchant à l'aménagement ou au mode d'exploitation des bois soumis au régime forestier, l'Administration devra les régler contradictoirement avec les parties intéressées dûment appelées.

De même, le martelage des coupes et les opérations de balivage ne pourront plus avoir lieu qu'en présence et avec la participation des représentants de la collectivité propriétaire.

De même encore, les intéressés devront être invités à assister aux visites

qui seront faites par les agents du service forestier, à l'effet de reconnaître les bois morts, abattus ou dépérissants susceptibles d'être vendus avec la coupe anuuelle.

Nous n'ignorons pas que, depuis un certain nombre d'années, le service forestier ne se livre à ces diverses opérations qu'après avoir invité les intéressés à s'y faire représenter.

Mais outre que ce n'est là qu'une simple faculté qu'il nous a paru expédient de convertir en obligation légale, nous avons voulu transformer le rôle purement passif des représentants de la collectivité propriétaire en une participation effective aux opérations qui se font sur le terrain.

En cas de contestation, procès-verbal sera dressé des difficultés survenues. Ce procès-verbal sera signé des deux parties qui pourront, l'une et l'autre, y faire insérer leurs dits et contredits.

Sous l'empire du Code de 1827, les communes ont deux sortes de recours contre les décisions de l'Administration forestière, tous deux, d'ailleurs, également illusoires.

Elles peuvent s'adresser, soit à la juridiction contentieuse des Conseils de préfecture, soit à la juridiction gracieuse au ministre de l'Agriculture. L'une et l'autre juridiction sont en contradiction avec l'un des principes les mieux assurés de notre droit, celui d'après lequel les contestations relatives aux droits réels sont la compétence des tribunaux civils.

Quant aux Conseils de préfecture, qu'il faille l'attribuer à la conviction où l'on est généralement de leur incompétence en matière forestière, ou que ce soit la crainte d'affronter les lenteurs de la procédure administrative, toujours est-il qu'en fait les communes n'usent pas de la voie de recours qui leur est ouverte par les articles 90, 112 et 65 du Code forestier.

Les collectivités propriétaires de bois peuvent recourir à la juridiction du ministre de l'Agriculture, et c'est là le procédé qu'elles suivent le plus souvent. Mais comme le ministre est dans l'impossibilité absolue d'apprécier par lui-même des faits qui varient suivant les cas et suivant les lieux, comme la solution des questions sylvicoles exige une connaissance approfondie et de la qualité du sol et de la nature du climat, force lui est bien de s'en rapporter aux agents locaux du service forestier, qui se trouvent ainsi appelės à juger leur propre cause.

Sans doute, si la décision du ministre ne leur agrée pas, les communes peuvent se pourvoir au Conseil d'État.

Mais le Conseil d'État, à quelle source va-t-il puiser les éléments de sa décision? Dans les renseignements qui lui sont fournis par la Direction des forêts, qui elle-même s'inspire de l'avis de ses agents.

On le voit, c'est toujours l'Administration qui se contrôle elle-même, si bien que les malheureuses communes propriétaires de forêts, qui voient leur patrimoine compromis par le gérant irresponsable que la loi leur impose, n'ont que deux partis à prendre souffrir sans se plaindre, ou se résoudre à engager contre l'Administration forestière la lutte célèbre du pot de terre contre le pot de fer.

Nous ne faisons pas difficulté de reconnaître que, depuis un certain nombre d'années, grâce surtout à l'esprit conciliant de M. le Directeur des forêts, cette situation s'est grandement améliorée. Ce haut fonctionnaire a compris que le

« PreviousContinue »