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1.

Les Communes jouissent-elles, dans la gestion de leur domaine boisé, d'un droit de contrôle sur les actes des mandataires que la loi leur impose, » et notamment ont-elles « le droit de participer d'une façon efficace à l'aménagement de leurs bois, ainsi qu'aux opérations de martelage des coupes et à celles des balivages » ?

Le rapporteur de la Commission se prononce pour la négative et développe longuement les doléances et réclamations des conseils géné raux à cet égard, depuis 1838 et même 1789. Or nous sommes en 1892 et depuis longtemps satisfaction a été donnée auxcommunes. Dès 1827, l'ordonnance réglementaire du 1er août, rendue pour l'exécution du code forestier, oblige l'Administration à consulter les maires ou les conseils municipaux sur un grand nombre d'objets, parmi lesquels nous citerons seulement: la soumission au régime forestier (art. 128); les délimitations (art. 130 à 132); les aménagements (art. 135); les travaux d'amélioration ou d'entretien, tels que recepages, repeuplements, clôtures, routes, construction de loges, etc. (art. 135); les adjudications de glandée et de panage (art. 139); les réserves à faire sur les coupes pour délivrances de bois nécessaires au chauffage, aux constructions et réparations des édifices municipaux (art. 141); l'estimation des coupes délivrés en nature (ordonnance du 5 février 1846), etc., etc.

Les menus produits ne sont pas concédés, quelque minimes qu'ils soient, sans l'autorisation formelle du maire (ordonnance du 4 décembre 1844). Les concessions de carrière et de passage temporaire ne se délivrent jamais sans que le maire ou le conseil municipal ait donné son assentiment et fixé l'indemnité à percevoir; un simpleélagage le long d'un chemin ou de la lisière d'un bois communal ne peut être effectué qu'après consultation des autorités municipales (circulaire n° 568).

Les représentants des communes ont parfaitement le droit d'assister aux opérations de martelage et de balivage; l'exercice de ce droit, qui ne leur a jamais été contesté, a été rappelé et mis en relief par une décision ministérielle du 23 juillet 1872; il a pour corollaire évident la présentation et la discussion de toutes observations utiles ou réclamations fondées.

Pour renforcer encore les délibérations des conseils municipaux, la loi du 10 août 1871 soumet au contrôle des conseils généraux (art. 59) les questions relatives à la soumission au régime forestier, à la conversion en bois des terrains en pâturage, à l'aménagement, au mode d'exploitation, à l'aliénation et au défrichement des bois communaux.

Ajoutons que toutes les questions concernant la gestion des forêts communales, depuis les aménagements et les coupes extraordinaires

jusqu'à la délivrance des chablis et des menus produits de toute nature, passent sous les yeux du Préfet qui donne son avis sur celles dont la décision, vu leur importance, appartient au ministre ou même au Président de la République, et qui pour les autres autorise, approuve ou rejette les avis du Conservateur, après que les maires et conseils municipaux ont exposé leurs demandes, désirs, objections et réclamations.

Aujourd'hui donc, et depuis de nombreuses années, les Communes ont une large part dans la gestion de leurs bois, et particulière ment pour l'aménagement de ceux-ci les demandes et observations présentées par elles sont prises en très sérieuse considération, et sont sanctionnées toutes les fois qu'elles ne sont pas évidemment contraires aux intérêts essentiels de la forêt et par conséquent de la commune elle-même. Aller plus loin encore dans cette voie, ce serait établir la prépondérance absolue des communes, non seulement sur l'administration forestière, ce qui existe déjà dans beaucoup de cas, mais encore sur l'autorité du Préfet et sur les pouvoirs même de l'État; ce serait en un mot décréter l'autonomie complète des communes, et leur laisser la libre administration de leurs bois, ce qu'elles ne réclament pas », d'après M. le rapporteur, et ce qui d'ailleurs serait bien malheureux en général pour la simple conservation de leurs richesses forestières.

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Le « jeune forestier » n'est pas « réduit à ses seules lumières »<, comme le dit le rapport dont il s'agit; il est guidé par ses chefs plus âgés, l'Inspecteur et le Conservateur, et se forme peu à peu au contact de leur expérience des « exigences locales ». Rien du reste ne l'empêche de profiter et de « tenir compte des conseils et des observations d'hommes qu'une longue pratique a rendus familiers avec la sylviculture du pays », quand toutefois il est assez heureux pour en rencontrer (en dehors de ses chefs) qui ne sacrifient pas à la routine. ou au parti pris, et qui savent mettre des connaissances raisonnées au-dessus des tendances à la jouissance égoïste et immédiate, tendances si fréquentes dans les campagnes et quelquefois ailleurs.

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3. La réglementation en matière de forêts, loin de développer le domaine boisé de la France et l'abondance des produits ligneux, aurait provoqué dès le règne de Louis XV, dit encore le rapport, un résultat tout contraire. En Lorraine, en Alsace, en Franche-Comté, après deux siècles de réglementation à outrance, « la pénurie du bois est telle que

peuple n'en peut trouver pour son usage; les usines absorbent tout »; il ajoute un peu plus loin: « la rareté et la cherté du bois est telle

que l'on parle de supprimer les usines et les forges, ou du moins de diminuer le nombre de leurs feux. »

D'abord il aurait fallu prouver que la rareté et le renchérissement des bois tenaient à la diminution réelle des produits exploités et non point à l'augmentation des usines et au développement de l'industrie, ou à l'accroissement de la population, car il y a là des causes qui peuvent produire exactement le même effet. Ainsi aujourd'hui et depuis plus de dix ans un phénomène inverse se manifeste presque partout dans l'Est de la France; les forges n'emploient plus de bois, ou à peu près, et les communes voient souvent leurs coupes invendues, ou ne s'en défont qu'à vil prix. Faut-il en conclure que c'est aussi la réglementation qui a provoqué cette surabondance et l'avilissement des prix ? Nous n'ignorons pas qu'on a essayé d'insinuer, il y a peu d'années, que la baisse sensible du revenu des forêts domaniales et communales était le résultat des procédés de l'Administration forestière, d'où venait tout le mal.

Elle n'a pourtant aucune action sur les bois particuliers, dont le rendement pécuniaire était tout aussi fortement atteint.

Il faudrait aussi établir que la pénurie du bois dont on se plaignait, dans les siècles précédents, n'était pas due au défrichement et à la disparition de grandes étendues de forêts; ce serait sans doute difficile. car il est de notoriété publique que l'étendue du sol forestier a été constamment en se restreignant.

Enfin si la « réglementation à outrance » a causé tous les maux énumérés, si elle jetait dans la consommation publique des quantités notablement insuffisantes de produits, il serait peut-être juste de rechercher si elle a eu quelque contre-partie avantageuse, telle que le rétablissement ou le maintien en bon état de richesse et de rendement des forêts confiées à l'Administration, ou bien si au contraire la disette était tout bonnement due à la difficulté de trouver des ressources dans les forêts épuisées. Ce point important reste dans l'ombre. Nous n'essaierons pas non plus de soulever ce voile pour les siècles passés; mais; revenant au présent, nous n'hésiterons pas à en appeler à tous ceux qui visitent les forêts gérées par l'Administration, qu'ils soient indigènes ou étrangers, ruraux ou citadins; il leur suffira d'ouvrir les yeux dans leurs promenades à travers bois pour constater leur excellent état d'entretien, et sur les quelques points où la possibilité a été dépassée on pourra s'assurer que l'Administration a eu la main forcée.

4.- Une des conséquences de la soumission au régime forestier, toujours d'après le rapport susmentionné, se manifeste dans la compa

raison des augmentations et des diminutions d'étendue des forêts domaniales, communalés et particulières. Le domaine forestier de l'État a diminué de 3.20 0/0 de 1823 à 1882; celui des communes a augmenté de 17 0/0, et celui des particuliers se serait accru de 105 0/0. Tel serait le résultat des réglementations et tracasseries sans nombre de l'Administration des Eaux et forêts ».

Quoique d'autres personnes, plus autorisées, aient déjà réfuté ces assertions, qu'il nous soit permis de dire une fois de plus que l'augmentation des bois particuliers ne repose que sur des chiffres sans base solide et certaine, et qu'il est incontestable au contraire, que pendant les époques troublées, comme à la fin du siècle dernier, il y a eu des abus énormes d'exploitations et de défrichements. Nous ne dirons pas, comme le rapport le prétend pour soutenir sa thèse, que c'est là « le résultat du régime de liberté inauguré par la loi de 1791 », car nous avons une haute conception des effets heureux d'une sage liberté; mais nous ne craignons pas d'affirmer que c'est la conséquence presque inévitable de l'absence de toute règle et de la licence sans bornes, qu'il ne faut pas confondre avec la vraie liberté, dont elle est même l'ennemie la plus redoutable.

Nous ne pouvons que répéter également, après bien d'autres, que si les forêts domaniales n'ont pas pris plus d'accroissement en étendue, la faute ne saurait en être imputée au régime forestier ni à l'Administration forestière, attendu que les lois et le simple bon sens n'autorisent pas celle-ci à transformer les bois, les champs ou les prés, ni même les terrains incultes appartenant aux simples citoyens en propriétés de l'État, et que pour les acquérir à prix d'argent il faut des crédits accordés par le Parlement, qui détient les cordons de la bourse et n'a pas jugé à propos jusqu'ici de les abandonner à ladite Administration. Tout ce qu'elle peut faire, c'est de combattre les projets irréfléchis de défrichement et d'aliénation, et c'est à coup sûr malgré eile et seulement sur les injonctions des pouvoirs publics qu'ont pu être aliénés les 352.644 hectares qui ont été vendus de 1814 à 1870 !

Quant à l'argument tiré de l'extension plus grande des bois communaux non soumis au régime forestier relativement à ceux qui y sont astreints,10,13 0/0 contro 3,97 il ne supporte pas davantage l'examen impartial des faits. Non seulement l'Administration ne saurait procurer à prix d'argent des terrains boisés aux communes, pas plus qu'à l'État, mais elle ne peut même ajouter à leur domaine actuel, par voie de soumission au régime forestier, la moindre parcelle communale, peuplée d'arbres ou d'abrisseaux, qu'autant qu'elle est sus

ceptible d'aménagement ou d'une exploitation régulière, et d'après l'avis des conseils municipaux (art. 90 du Code forestier), lesquels n'y consentent pas toujours. Au contraire, aux bois non soumis les communes peuvent adjoindre à leur guise tous les terrains communaux qu'elles veulent ensemencer ou emplanter; à cette catégorie de bois s'ajoutent même naturellement et forcément les terrains vagues qui peu å peu se repeuplent d'eux-mêmes, sans aucune participation des habitants ou des autorités municipales, phénomène qui se produit journellement sous nos yeux dès que le sol cesse d'être cultivé, labouré, sarclé, et que le bétail ne s'y rend plus pour en détruire la végétation arborescente.

5-Le rapport de la commission donne un tableaude la production forestière moyenne par hectare tiré de la Statistique agricole de France et en conclut que les bois soumis au régime forestier produisent moins que les autres. On pourrait se demander d'abord pourquoi on a choisi la Statistique agricole et non la Statistique forestière pour apprécier le rendement des bois. Il semble en outre que dans un travail aussi important que celui dont on examine ici quelques passages, il eût été assez naturel et même convenable de comparer au moins et de contrôler les uns par les autres les renseignements tirés de ces divers documents.

La Statistique forestière de 1878 a été rédigée par un homme jouissant d'une grande autorité, Auguste Mathieu, l'éminent professeur et ancien sous-directeur de l'École forestière, avec la collaboration d'un grand nombre d'agents forestiers choisis parmi les plus distingués; les chiffres donnés sont le résumé des sommiers et des calepins d'opérations tenus chaque année par tous les agents forestiers, en ce qui concerne les forêts domaniales, communales et d'Établissements publics. Ils ont donc une valeur incontestable. Or ils sont bien différents, comme on va le voir un peu plus loin, de ceux qui ont été extraits de la Statistique agricole, et nous n'hésiterons pas à affirmer que celle-ci est absolument inexacte et fantaisiste pour ce qui est relatif aux bois. Bien loin de nous la pensée d'attaquer la sincérité des auteurs de la statistique agricole; nous voulons seulement mettre en évidence les erreurs qu'ils ont commises, et pour les expliquer il suffira de faire observer avec Auguste Mathieu (page 103 de la Statistique forestière de 1878), que rien n'est plus difficile que la constatation du rendement moyen annuel de toutes les forêts d'un grand pays comme la France; cette difficulté est inhérente à la constitution même de la propriété forestière, et n'existe pas ou ne se rencontre qu'à un bien moindre degré

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