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Il répond mieux aussi, du moins à notre avis, à l'esprit dont le législateur a dû être animé, lorsque, pour respecter l'inviolabilité du domicile auquel il rattachait les terrains clos attenant aux habitations, il a cru devoir y autoriser expressément des faits réputés délictueux dans les autres propriétés; il est naturel de penser que, désirant restreindre plutôt qu'étendre l'exercice d'un tel privilège concédé nécessairement à regret, il a entendu le subordonner à l'existence d'une clôture parfaite; c'est au surplus ce que paraît indiquer, de la manière la plus formelle, la définition qu'il en a donnée : une clôture continue faisant obstacle à toute communication.

Dans ces conditions, il est difficile de se contenter, comme le Tribunal de Beauvais, de pieux reliés par des fils de fer qui permettent de voir librement dans l'enclos, laissent passage à bien des animaux et à travers lesquels un homme se glisserait sans doute assez facilement en se bornant à les écarter pour un instant 1.

No 4. TRIBUNAL CIVIL DE BOURGES. 17 Février 1891.

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Forêt domaniale.

HACHE C. BARON ROGER ET L'ETAT.

-

Chasse. Location.

Lots contigus.

Grillage. Séparation. Modification à l'état des lieux. Action d'un des fermiers contre l'État. Appel de l'autre en garantie. - Rejet de la demande principale. Frais de l'instance en garantie.

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Lorsqu'une forêt a été divisée en plusieurs lots, en vue de la location de la chasse, et qu'elle se trouve, par suite de l'adjudication, partagée entre deux fermiers, le fait, par l'un d'eux, d'établir, sur la limite de ses lots, un grillage interrompu aux points d'intersection avec les routes forestières qu'il rencontre n'autorise pas l'autre fermier à prétendre que l'état de la chose louée a été modifié à son detriment et à exiger du propriétaire la suppression d'une clôture qui mettrait obstacle, suivant lui, à la libre circulation du gibier dans la totalité de la forêt.

Et la pose d'autres grillages en retour, bordant, sur 60 ou 80 mètres, les routes forestières laissées libres, ne saurait être considérée comme une fraude ou un artifice employé pour attirer le gibier du voisin et le retenir.

Lorsqu'une demande en garantie est rendue sans objet par le rejet de

1.

Voir à l'appui, outre l'arrêt de Rouen susrappelé: Aix, 26 février 1875 (Rép. de la R., 1878-79, p. 317); Rouen, 22 mars 1880 (Rép. de la R., 1884-85, p. 247); — Tribunal de Carpentras, 27 décembre 1866 (Rép. de la R., 1866-67, p. 298).

la demande principale, les frais de l'instance en garantie ne sauraient être supportés par le demandeur au principal.

.

Ils doivent être à la charge du garant éventuel, si l'intervention de ce dernier résulte d'une convention passée entre lui et le défendeur.

Les faits de la cause sont exposés assez complètement dans le jugement du Tribunal de Bourges pour qu'il suffise de le reproduire textuellement.

LE TRIBUNAL:

JUGEMENT

Après en avoir délibéré conformément à la loi, rapportant son jugement réservé à l'audience du 13 février et statuant en premier ressort et en matière ordinaire :

Attendu que, le 23 novembre 1889, l'État à mis en adjudication le droit de chasse à tir et à courre dans la forêt de Vierzon, divisée en 4 lots, pour neuf années commençant le 1er juillet 1890; que M. Hache a affermé les deux premiers lots, ayant 1.945 hectares d'étendue, et M. le baron Roger les deux autres, d'une contenance de 3.354 hectares;

Attendu que, par arrêté du 3 juin 1890, M. le préfet du Cher a autorisé M. Roger à établir un grillage sur la limite de ses lots, à la condition que la clôture fût interrompue aux points d'intersection avec les routes forestières; que M. Roger s'est, en outre, engagé à prendre fait et cause pour l'État dans le cas où une action en dommages-intérêts serait formée par suite de l'installation du grillage;

Attendu qu'en vertu de cette autorisation, M. Roger a fait placer à l'est de l'allée d'Orçay séparant ses lots de ceux amodiés à M. Hache un grillage en fil de fer à larges mailles de deux mètres de hauteur environ; qu'il a laissé libres les six routes forestières coupant l'allée d'Orçay, en ayant soin toutefois d'établir des grillages en retour bordant lesdites allées transversales sur une longueur de 60 à 80 mètres ;

Attendu que, par acte extra-judiciaire en date du 18 juillet 1890, M. Hache a protesté contre l'installation de cette clôture et a sommé l'Administration des forêts de lui livrer la forêt de Vierzon dans l'état où elle avait été adjugée ; que, le 18 août suivant, M. le baron Roger a déclaré à M. Hache qu'il prenait la responsabilité de l'établissement de la clôture et qu'il entendait la maintenir ;

Attendu que, le 27 novembre, M. Hache a assigné devant le Tribunal M. le préfet du Cher pour voir dire que l'État sera tenu de faire disparaître la clôture établie le long de l'allée séparant les lots adjugés au demandeur du surplus de la forêt, ensemble les clôtures établies en retour le long des routes perpendiculaires à ladite allée; que, le 8 décembre, l'État a dénoncé cette assignation à M. le baron Roger et l'a appelé en garantie ;

Sur la demande principale:

Attendu que le cahier des charges, dressé pour l'adjudication du droit de chasse dans la forêt de Vierzon, ne saurait être invoqué ni par M. Hache, ni par l'État, qu'il est absolument muet sur la question en litige et qu'on ne

peut tirer par analogie ou par à contrario aucun argument des diverses conditions de la location; que notamment l'art 29, en réservant à l'Administra tion des forêts le droit de protéger à l'aide de clôtures les repeuplements naturels ou artificiels, a eu en vue une opération absolument différente de la séparation des lots amodiés;

Attendu que la demande de M. Hache doit donc être uniquem ent jugée d'après les principes généraux du contrat de louage énoncés dans les articles 1719 et 1723 du Code civil et que le Tribunal a à rechercher si l'État a rempli ses obligations de bailleur, c'est-à-dire a délivré la chose louée et l'a entretenue en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans en changer la forme;

Attendu que les deux lots affermés par M. Hache lui ont été livrés dans l'état où ils se trouvaient lors de l'adjudication; qu'aucun trouble n'a été apporté à la jouissance de son droit de chasse sur les terres amodiées;

Attendu que le demandeur prétend, il est vrai, que la forme de la chose louée a été modifiée d'une manière indirecte par l'établissement de la clôture; qu'en raison de l'état de la forêt au moment de l'adjudication il devait légitimement espérer qu'il pourrait chasser dans ses deux lots la totalité des animaux, parcourant librement la forêt entière;

Attendu que l'État n'a concédé à M. Hache aucun droit sur les 3 et 4° lots que, dans le silence du cahier des charges, il a donc conservé la faculté de modifier la situation matérielle de ces cantons;

Attendu qu'à l'époque de l'adjudication, M. flache pouvait espérer que le gibier des terres voisines de ses lots continuerait à y circuler; qu'il n'a cependant contesté aux propriétaires bordant la forêt le droit de se clore; que son bail ne lui donne pas plus de droit sur les cantons adjugés à M. Roger que sur les terres n'appartenant pas à l'État;

Attendu que, pour soutenir que la clôture litigieuse a modifié indirectement l'état de la chose louée, M. Hache devrait justifier que le grillage apporte un obstacle sérieux à l'exercice du droit de chasse affermé; qu'il appartiendrait donc au demandeur d'établir que le barrage de l'allée d'Orçay modifie les conditions de parcours du gibier d'une façon telle qu'il amènera avant la fin du bail le dépeuplement de la partie de forêt dont il a la jouissance; que cette preuve n'est aucunement rapportée; que le demandeur ne justifie pas que le gibier ne puisse se disséminer sur les 1.915 hectares à lui affermés et y trouver les productions nécessaires à sa subsistance; que d'ailleurs les animaux sauvages peuvent encore parcourir la totalité de la forêt, puisque six routes forestières mettent les deux lots en communication;

Attendu que M. Пlache prétend que l'égalité n'existe plus entre les deux fermiers de la chasse, parce que les grillages en retour établis par M.Roger sur les bordures des allées transversales empêchent le gibier entré dans ses cantons d'en sortir;

Attendu que M. Roger ne paraît pas avoir établi ses grillages dans le but de retenir le gibier venant des lots de son voisin; qu'il a sculement voulu faciliter l'exercice de la chasse à courre dans sa partie de forêt et empêcher l'animal poursuivi et la meute de s'aventurer sur un terrain où il n'a pas droit de chasse;

Attendu qu'on ne saurait, à aucun point de vue, considérer ces clôtures

en retour comme une fraude ou un artifice employé pour attirer dans le lot de M. Roger le gibier de son voisin; qu'elles ne constituent pas un obstacle sérieux à la circulation des animaux errant en liberté et ne nuisent pas à l'exercice du droit de chasse de M. Hache; qu'il appartient d'ailleurs à ce dernier de prendre toutes les mesures qu'il jugera utiles pour retenir le gibier parcourant la partie de forêt par lui louée;

Sur la demande en garantie:

Attendu que le rejet de la demande principale rend sans objet la demande en garantie formée contre l'État par M. le baron Roger;

Attendu qu'il n'existe aucun lien de droit entre ce dernier et M. Hache qui n'a pas conclu contre lui; que les frais de l'instance en garantie ne sauraient donc être supportés par le demandeur au principal;

Attendu que M. le baron Roger avait pris l'engagement formel d'intervenir pour prendre le fait et cause de l'Etat, si celui-ci était l'objet d'une action par suite de l'installation des grillages; qu'en raison de l'obligation par lui contractée, il doit donc supporter les frais de la demande en garantie; que, dans la commune intention des parties, l'État devait demeurer absolument indemne, quel quel fût le résultat des procès à lui intentés;

Par ces motifs,

Déclare M. Hache mal fondé dans ses demandes en suppression des clôtures établies par M. le baron Roger et en dommages-intérêts; l'en déboute et le condamne aux dépens de l'instance principale; condamne M. le baron Roger aux dépens de l'instance en garantie devenue sans objet ;fait distraction desdits dépens au profit de M. Morin, avoué, qui l'a requise aux offres de droit ;

Ainsi fait, jugé et prononcé par le Tribunal civil de première instance de Bourges (Cher) en son audience publique et civile du jeudi 19 février 1891, où étaient et siégeaient MM. Bona-Christave, président; Simon et Riché, juges; Chautemps, substitut du procureur de la République, et Robinet, greffier.

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OBSERVATIONS. Les deux articles du Code civil, 1719, 1723, auxquels le Tribunal s'est reporté pour statuer sur la demande de M. Hache, le premier, obligations du bailleur en ce qui concerne la délivrance de la chose amodiée et l'entretien de cette chose en état de servir à l'u

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sage pour lequel elle a été louée ne pouvait évidemment justifier

l'action intentée à l'État. Le demandeur avait été mis et était demeuré en possession des deux lots qu'il avait soumissionnés et la chasse n'avait pas cessé d'y être possible. Mais l'établissement, par M. Roger, du grillage qui les séparait du surplus de la forêt de Vierzon changeaitil l'état des lieux à ce point que M. Hache pût reprocher à l'État une contravention aux prohibitions de l'article 1723, qui défend au bailleur de modifier pendant le bail la forme de la chose louée ? C'est ce que les juges avaient à décider.

L'application de cet article est toujours subordonnée à des questions de fait appréciées souverainement par les tribunaux.

L'argument tiré par celui de Bourges, pour déclarer la demande mal fondée, de ce que M. Hache n'avait « pas contesté aux propriétaires bordant la forêt le droit de se clore» et sur ce que son bail ne lui donnait << pas plus de droit sur les cantons adjugés à M. Roger que sur les terres n'appartenant pas à l'État » n'était peut-être pas toutefois irréfutable. Il a été plusieurs fois décidé que l'interdiction par le bailleur de changer l'état de la chose louée n'est pas restreinte à l'objet principal mentionné dans l'acte de bail; - que le bailleur, par exemple, ne peut pas, par des modifications apportées aux parties de sa propriété non comprises dans le bail, nuire à la jouissance du locataire, en diminuant l'air, le jour, la vue ou les autres avantages inhérents à la location et dont la considération a pu déterminer le locataire à accepter le bail (Code civil annoté de Sirey et Gilbert, Supplément, art. 1723, n° 2; Paris, 26 mars 1857; Aix, 21 janvier 1864); qu'ainsi, lorsqu'au moment de la location, l'appartement avait une vue assez étendue, le propriétaire ne peut élever en face des constructions interceptant cette vue et privant l'appartement en partie sculement de l'air et de la lumière qu'il recevait auparavant (ibidem).

Mais, pour qu'un locataire ait le droit de se plaindre des changements apportés par le bailleur aux autres parties de sa propriété, il faut qu'ils lui causent un dommage sérieux.

Il n'en était pas ainsi dans l'espèce, puisqu'en réalité le grillage retenait le gibier de M. Hache, aussi bien que celui de M. le baron Roger, dans les lots respectifs des deux fermiers. Il pouvait se faire que, malgré le maintien d'un certain nombre de communications entre les deux parties de la forêt de Vierzon, la jouissance, qui précédemment avait été jusqu'à un certain point commune, [fût dorénavant séparée; mais l'un et l'autre devaient trouver dans cette séparation les mêmes inconvénients compensés par les mêmes avantages.

Quant à la mise des dépens de l'instance en garantie à la charge du garanti ou du garant, elle peut être équitable, si le rejet de la demande principale paraît assez certain pour que les frais occasionnés par la mise en cause du garant soient en quelque sorte frustratoires.

Mais ce n'est pas une règle générale.

Il a plusieurs fois été reconnu par la Cour de cassation que le demandeur principal peut être condamné aux dépens des demandes en garantie que son action a nécessitées. (Code de procédure civil annoté de Sirey et Gilbert, art. 130, no 23, 26 juillet 1832, rej.). Encore bien que le garant n'ait pas comparu en première instance et en appel

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