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trerait un homme armé d'un fusil allant faire un mauvais coup ou en revenant; interrogé, il répondrait : « Je viens de chasser. »

Les embuscades se feraient au bord des routes et des accidents arriveraient. La cachette de Vospré était placée de telle sorte que son coup de fusil devait traverser la route pour atteindre les animaux de l'autre côté.

On ne peut arguer que le propriétaire ou locataire d'un terrain a seul le droit de chasser, comme locataire il serait toujours facile de se procurer un coin, avec un bail vrai ou faux, pour y exercer la chasse ou pour en avoir le prétexte.

Quel contrôle y aurait-il ? Celui qui chasserait la nuit serait-il escorté d'un garde ou d'un gendarme constatant sur quelle espèce d'animal il a tiré ?

Quelle est la situation du garde ou du gendarme? La nuit il entend un coup de fusil, il court et tombe sur un braconnier qui lui dit tranquillement : « J'ai tiré sur un animal malfaisant. >>

Il n'y a pas de surveillance possible; je puis citer le fait arrivé chez moi pendant les jours qui ont suivi l'arrêt du Tribunal de Dreux. Mes gardes voient la nuit un petit propriétaire braconnier aller se mettre à l'affût, ils se cachent en face de lui et sont obligés d'attendre pour voir quel animal il tirera. Rien n'est venu, il est allé se coucher après les avoir fait poser quatre heures. Il y a là préjudice considérable causé aux propriétaires de chasses et aux locataires de l'État, car en peu de temps on dépeuplerait un pays ; la nuit le gibier folâtre et ne craint pas l'homme on le tire à bout portant. Est-ce ce que veut la loi ?

Il est à remarquer que l'arrêté préfectoral d'Eure-et-Loir, du 31 décembre 1880, qui a trait aux animaux malfaisants, porte: « qu'on peut les détruire sans permis de chasse. » Si l'interprétation du Tribunal de Dreux était maintenue, il arriverait ce fait bizarre que, le jour, chasseraient ceux qui auraient des permis de chasse, la nuit ceux qui n'en auraient pas.

Il ya huit ans, j'ai été assez heureux, de concert avec le marquis de Chambray, pour faire fixer la législation, par le Conseil d'État, en matière de battues administratives. Je suis persuadé qu'un procès comme celui fait à Vospré, étant porté devant ce même tribunal pour savoir si oui ou non la chasse de nuit, sous quelque forme que ce soit, est autorisée, un jugement serait rendu et confirmerait la saine application de la loi.

Espérons que, sans y être ainsi ramenés, messieurs les préfets don

neront satisfaction aux locataires des forêts et aux propriétaires de bois.

Maison de Chasse de Fresnaye, 15 Décembre 1891.

L. DELAMARRE.

N° 14. LES GARDES PARTICULIERS

DEVANT LE SÉNAT.

Les gardes particuliers ont été l'objet de deux grandes discussions au Sénat, le 16 février et le 7 mars derniers. On sait qu'ils doivent être agréés par le préfet avant d'être admis à prêter serment devant le tribunal; mais ensuite ils restent soustraits à l'action administrative et ne peuvent être révoqués que par le propriétaire qui les paie. Quelques-uns de ces gardes ayant commis des actes répréhensibles, la modification de leur inamovibilité parait nécessaire.

Le 7 mars, le Sénat a voté le projet de loi suivant, qui doit être soumis à la Chambre des députés.

ART. PREMIER. Les préfets pourront, par décision motivée, le propriétaire et le garde entendus, ou dûment appelés, rapporter les arrêtés agréant les gardes particuliers.

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ART. 2. La demande tendant à faire agréer les gardes particuliers sera déposée à la préfecture. Il en sera donné un récépissé. Après l'expiration du délai d'un mois, le propriétaire qui n'aura pas obtenu de réponse pourra se pourvoir devant le Ministre.

Cette question des gardes particuliers, attaqués et défendus avec chaleur, a été notamment éclairée par M. le sénateur Le Breton. Son discours, dont nous donnons un extrait, expose les faits les plus importants de la situation.

Les gardes particuliers sont-ils nécessaires à la conservation de la propriété rurale? Cela ne peut plus se discuter aujourd'hui. Leur suppression, à la fin du siècle dernier, avait été tellement désastreuse pour les campagnes, elle avait été suivie de tant de destructions de récoltes, de tant de dévastations de forêts et d'attentats contre les personnes, que, trois ans à peine après l'abolition de la royauté, on n'hésita pas à les rétablir.

Le décret du 20 messidor an Ill, en prescrivant l'établissement obligatoire de gardes champêtres dans toutes les communes de France, reconnaissait à tout propriétaire de biens ruraux le droit d'avoir des gardes particuliers pour leur défense. Ces deux mesures sont, en effet, le complément, le corollaire l'une de l'autre, car le garde particulier n'est pas utile seulement à

celui qui l'emploie, mais en déchargeant le garde champêtre de la commune d'une partie de sa tâche, il lui permet d'exercer une surveillance plus attentive sur le reste de la commune, et il contribue ainsi à assurer à tous les habitants une protection plus efficace sans leur imposer aucune charge.

Le législateur de l'an III a parfaitement compris que, loin d'être un agent de persécution des petits par les gros, des paysans par les propriétaires fonciers, le garde particulier est, au contraire, dans la généralité des cas, le protecteur des petits, des faibles, des gens paisibles contre les pillards, les maraudeurs, les vagabonds qui ne respectent pas plus la propriété du pauvre que celle du riche.

Toujours est-il que, depuis un siècle, sous tous les régimes, sous la République comme sous l'Empire et sous la Monarchie, les pouvoirs publics se sont constamment appliqués à maintenir et à fortifier cette institution des gardes particuliers.

Le décret du 3 brumaire an IV, la loi du 28 pluviôse an VIII, la loi sur le régime forestier de 1827, la loi sur la chasse de 1844, l'ordonnance royale de 1845 ont confirmé le droit du propriétaire d'avoir un garde pour la défense de ses fruits, de ses récoltes, de ses bois, de son gibier.

Ces gardes ne sont pas des fonctionnaires, ils ne sont pas non plus de simples domestiques, car ils doivent avoir un domicile distinct de celui de leurs mandants. Ce sont des agents d'une nature toute spéciale, absolument unique dans notre législation.

Ils ont reçu des attributions toutes spéciales aussi, mais nécessaires pour l'accomplissement de leur mission. Ils peuvent dresser des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve contraire pour constater les délits commis sur les terres confiées à leur surveillance. Ils peuvent suivre les objets enlevés et les mettre sous séquestre. Enfin, le Code d'instruction criminelle leur enjoint d'une façon impérative d'arrêter tout individu qu'ils surprendront en flagrant délit ou qui leur sera dénoncé par la clameur publique comme coupable d'un délit entraînant la peine de l'emprisonnement ou une peine plus forte.

Notre législation tout entière s'est inspirée de cette double nécessité de mettre le garde particulier en situation de défendre, mieux que ne pourrait le faire le propriétaire lui-même, les biens ruraux qui, par leur nature, sont plus exposés que d'autres aux déprédations des malfaiteurs et en même temps de faire du garde particulier un auxiliaire de la justice, dans l'intérêt de l'ordre et de la sécurité publique.

Dequis quelque temps cependant le recrutement de ces agents si utiles rencontre des difficultés singulières. Dans plusieurs départements les préfets opposent une fin de non-recevoir absolue lorsque certains propriétaires les prient d'agréer de nouveaux gardes. Tantôt ils s'abstiennent de répondre aux demandes qui leur sont adressées; tantôt, invités à désigner euxmêmes un garde de leur choix, puisqu'ils refusent tous ceux qu'on leur présente, ils répondent que, dorénavant, ils n'agréeront plus aucun garde particulier, parce qu'à leur avis le garde champêtre communal suffit, — réponse peu rassurante pour des propriétaires qui savent pertinemment que ce garde champêtre communal, soit par négligence, soit en vertu d'une consigne, ne constate jamais les malversations commises sur leurs terres. S'il en était

ainsi partout, il ne resterait bientôt plus un seul garde particulier en France et les campagnes ne tarderaient pas à retomber dans la situation lamentable où elles étaient en l'an III de la première République.

Ces procédés administratifs, je le reconnais, datent d'une époque assez récente. C'est ce qui explique que l'on n'ait pas réclamé plus tôt la réforme d'une législation susceptible de donner lieu à de tels abus, abus d'autant plus intolérables que ceux qui en sont victimes n'ont aucun moyen d'y mettre un

terme.

En effet, comment un particulier pourrait-il vaincre la résistance d'un préfet refusant d'agréer tous les gardes qu'on lui présente ? Par un recours au ministre? Mais, vous le savez, il n'est pas dans les habitudes du ministère de l'intérieur de donner tort à ses préfets, surtout lorsque ceux-ci, comme dans les circonstances auxquelles je fais allusion, peuvent alléguer comme prétexte de leur conduite un intérêt électoral.

Par voie d'interpellation devant la Chambre ? Mais qui donc s'aviserait d'occuper une grande Assemblée parlementaire de questions aussi personnelles, aussi locales? Et qui pourrait se flatter d'obtenir un ordre du jour de blâme contre un ministre dont le subordonné, le préfet, aurait montré trop de zèle contre un adversaire politique?

Ce n'est pas un blâme ; c'est de l'avancement que ce fonctionnaire aurait chance d'obtenir surtout aux époques de luttes vives où l'on n'admire, où l'on ne réclame que des fonctionnaires énergiques...

L'agrément exigé de l'autorité administrative pour l'entrée en fonctions des gardes particuliers, au lieu d'être une garantie du bon choix de ces agents, devient donc, dans certaines circonstances, un obstacle insurmontable à leur recrutement ce n'est plus une arme de défense sociale, c'est une arme politique, une menace pour la propriété privée.

Or, quelles que soient, Messieurs, l'ardeur et la divergence de nos opinions politiques, j'espère que le Sénat ne voudra pas que la défense de la propriété privée puisse jamais devenir l'enjeu des luttes électorales, le gage du concours accordé, ou tout au moins de la neutralité promise, à tel ou tel candidat.

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C'est cependant ce qui pourrait arriver, c'est ce qui arriverait inévitablement, si non seulement la nomination des gardes particuliers, mais encore leur maintien en fonctions, dépendaient du pouvoir discrétionnaire d'un fonctionnaire politique, obligé par sa situation même, souvent contre son désir personnel, de tenir compte des exigences, des réclamations de ses amis politiques et de repousser les demandes, même les plus légitimes, de leurs adversaires.

Voilà, Messieurs, un premier motif de modifier la législation actuelle.

Mais il y en a un second : c'est qu'en donnant aux préfets le droit d'agréer les gardes particuliers qui ne sont pas sous leur dépendance, qui n'ont d'ordres à recevoir que du propriétaire par lequel ils sont nommés et payés, mais qui sont placés sous la surveillance du parquet, la législation actuelle établit une confusion de pouvoirs entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire.

Cette confusion ne pouvait manquer d'amener des conflits, et elle en a amené de très nombreux, de très vifs.

Ainsi, le Tribunal des Andelys avait refusé de recevoir le serment d'un garde qu'il avait lui-même condamné à six jours de prison et 50 fr. d'amende pour avoir chassé, pendant la nuit, sur les terres d'autrui. La Cour de cassation a cassé ce jugement. Le Tribunal de Château-Thierry avait fait de même pour un garde qu'il avait lui-même condamné pour coups et blessures. La Cour de cassation a également annulé ce jugement et a contraint le tribunal à recevoir le serment du garde qu'il avait condamné.

N'est-il pas étrange d'obliger un tribunal à accepter le concours, comme officier de police judiciaire, d'un homme que ce tribunal a lui-même frappé de condamnations flétrissantes ?

Or, cette cause de conflits, elle subsiste avec le système de M. Bozérian; le préfet restera toujours en situation d'imposer à un tribunal l'obligation d'accepter, comme officier de police judiciaire, un homme que ce tribunal aura déjà condamné.

N'est-ce pas la preuve de ce vice fondamental de cette organisation judiciaire si bien signalée par Faustin-Hélie dans une page dont l'honorable M. Bozérian n'a cité qu'une partie dans son rapport et dont je vous demande de vous lire quelques lignes de plus seulement, car ces lignes sont décisives dans la matière.

« Le vice principal de notre organisation judiciaire, dit M. Faustin-Hélie dans son Traité de l'instruction criminelle, tome IV, p. 76, c'est que la plupart de ses agents, quelque capables et zélés qu'ils soient, sont indépendants et placés en dehors de l'autorité judiciaire. Ainsi, non seulement les gardes forestiers et champêtres, mais les maires et adjoints, les commissaires de police, les officiers de gendarmerie, sont des agents de l'ordre administratif, dont les supérieurs hiérarchiques appartiennent aux diverses branches de l'administration. Il en résulte que leur service judiciaire, s'il aboutit à un centre commun, ne trouve dans ce centre aucune autorité qui soit fortifiée d'une sanction sérieuse; ils n'ont à craindre aucune mesure qui puisse inquiéter leur position administrative; ils ne sont retenus par aucun lien. De là de déplorables conflits et des difficultés sans cesse renaissantes. >>

M. Bozérian s'est arrêté à ces mots, je ne m'en étonne pas, car la conclusion de M. Faustin-Hélie est la condamnation formelle de son système et, je crois, la justification complète du nôtre.

<«< Il importe essentiellement à l'intérêt de la justice que ces entraves soient aplanies, et le seul moyen est d'attribuer au pouvoir judiciaire une autorité réelle et efficace sur les officiers de police. Cette autorité ne peut résulter que d'une sanction que la loi doit attacher aux ordres qui émanent des magistrats, aux mesures qu'ils prescrivent. Qu'ils aient le pouvoir de prononcer des peines disciplinaires, et le service de la police judiciaire sera désormais assuré; qu'ils puissent, comme à l'égard des membres de l'ordre judiciaire, infliger, non seulement les avertissements et les réprimandes, mais la suspension dans certaines limites, et ils trouveront dans des agents aujourd'hui indifférents les auxiliaires les plus utiles. >>

C'est ce que nous demandons.

Le remède, pour les gardes particuliers, est bien facile à trouver : il consiste tout simplement à attribuer à l'autorité judiciaire une autorité réelle, efficace, sur ces agents; mais la première précaution à prendre pour établir

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