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cette autorité, c'est d'attribuer aux tribunaux le droit de décider si ces gardes choisis par le propriétaire sont véritablement dignes de remplir leurs fonctions.

Si, après examen du casier judiciaire et de toutes les autres pièces qui seront mises à sa disposition, le ministère public ne trouve aucune objection à présenter contre le choix du propriétaire, le garde sera immédiatement requis de prêter serment; si, au contraire, le ministère public croit avoir des rẻserves à faire, le garde pourra être entendu par le tribunal, il pourra même être assisté du propriétaire ou de son représentant, et le tribunal statuera immédiatement. C'est une procédure aussi simple qu'expéditive, pour laquelle on pourrait même fixer un délai de quinze jours ou d'un mois à partir de la demande présentée par le propriétaire.

Ces observations, Messieurs, justifient, je crois, la première partie de notre contre-projet; je n'ai plus que quelques mots à ajouter pour expliquer la seconde, qui n'est que l'application du principe si nettement posé par M. Faustin-Hélie dans le passage dont je viens de vous donner lecture.

Voilà un garde qui a été choisi par le propriétaire, agréé par l'autorité publique, assermenté devant les tribunaux et qui, contrairement à toutes les prévisions, devient indigne ou incapable d'exercer ses fonctions. C'est bien là, je crois, l'hypothèse visée par l'honorable M. Bozérian, car je ne me permettrai pas de supposer un seul instant qu'il veuille révoquer des gardes dont le seul tort serait d'être redoutés des maraudeurs ou des braconniers, ces braconniers, fussent-ils les meilleurs électeurs des candidats qui lui sont les plus chers.

Je ne le suppose pas; je dis que vous avez visé uniquement le cas où des gardes particuliers, véritablement indignes, conserveraient néanmoins à ce point la confiance de leur mandant que celui-ci s'obstinerait à les maintenir à son service.

Vous conviendrez, dans tous les cas, que c'est là une situation tout à fait exceptionnelle. Je ne suppose pas que M. Bozérian connaisse beaucoup de propriétaires assez mal inspirés, méconnaissant assez leurs propres intérêts, pour conserver à leur service des gens convaincus de mauvaise foi, de brutalité, d'ivrognerie, plus nuisibles cent fois à la considération de celui qui les emploies qu'utiles à la conservation de son gibier.

J'ajoute que, dans tous les cas, il ne faut pas s'exagérer l'importance d'une pareille situation. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un jurisconsulte dont vous ne mettrez pas en doute l'autorité, M. Levasseur de Précourt, qui, parlant au Conseil d'État dans l'une des affaires auxquelles M. Bozérian a fait allusion dans son rapport, s'exprimait ainsi :

Le danger de voir maintenir en fonctions un garde indigne n'est pas bien grave, car les procès-verbaux du garde ne faisant foi que jusqu'à preuve contraire, le propriétaire sera le premier intéressé à changer un garde dont les procès-verbaux n'auraient plus d'autorité devant les tribunaux. »

C'est l'évidence même. C'est cependant pour ce cas tout à fait exceptionnel, dont il ne faut pas, je le répète, s'exagérer l'importance, que M. Bozérian a rédigé sa proposition de loi. Il vous demande, en effet, comme solution la violation la plus flagrante du principe fondamental de la législation française, c'est-à-dire celui de la séparation des pouvoirs judiciaires et des pou

voirs administratifs..., car, il ne faut pas se le dissimuler, lorsque vous voulez donner aux préfets le droit de rapporter un décret agréant des gardes particuliers, en réalité, vous voulez que le préfet soit le maître d'empêcher ces gardes particuliers d'exercer leurs fonctions.

Vous voulez que le préfet ait un droit équivalent à celui de révocation. Le droit de révocation ne peut avoir que deux sources. Il peut être la conséquence du droit de nomination ou bien le résultat d'une condamnation, l'application d'une peine. En effet, le préfet ne nomme pas les gardes particuliers; c'est le propriétaire qui les nomme; le préfet ne fait qu'agréer la nomination faite par le propriétaire; par conséquent, lorsque vous demandez que le préfet puisse révoquer un garde particulier, vous voulez faire de ce préfet un magistrat de l'ordre judiciaire et un juge sans appel.

Je dis que le préfet ne nomme pas les gardes particuliers. En effet, qu'estce que l'agrément ? L'agrément n'est qu'un acte de tutelle administrative, aussi irrévocable quand il s'agit de la nomination d'un garde particulier que lorsqu'il s'agit de l'approbation d'une décision de conseil municipal, de l'approbation de la nomination d'un curé faite par l'évêque ou de la nomination d'un pasteur protestant faite conformément aux règles de l'Église réformée. Ce n'est pas moi, encore une fois, qui parle ainsi, c'est M. Levasseur de Précourt, dont M. Bozérian a dû sans doute connaître le rapport devant le Conseil d'Etat, puisqu'il concerne toujours l'arrêt rendu le 23 janvier 1880, auquel il est fait allusion dans son exposé des motifs. Voici comment il s'exprime :

L'agrément selon nous, disait M. Levasseur de Précourt, n'a aucune corrélation avec la nomination; il se rapproche au contraire du droit d'approbation réservé à l'autorité administrative, en de nombreuses matières, en vertu des principes qui constituent la tutelle administrative. Or, votre jurisprudence constante établit que le préfet, qui a le droit de refuser son approbation à une délibération du conseil municipal, ne peut pas retirer son approbation.

« Nous appliquons cette doctrine au droit d'agrément et nous disons : l'agrément donné à un garde produit son effet du jour où le garde a prêté serment et l'arrêté ne peut plus dès lors être rapporté.

‹ D'ailleurs, ce n'est pas dans cette matière spéciale seulement que nous trouvons dans la loi ce mot agrément. D'après l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845, les compagnies de chemins de fer peuvent avoir des gardes agréés par l'administration et assermentés, investis du pouvoir de dresser des procès-verbaux.

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« Cet agrément pouvait-il être retiré ? Nullement, et la preuve c'est qu'en 1852 on a dû faire un décret spécial, remarquez bien la date, Messieurs, c'est à une période dictatoriale, à la date du 21 mars 1852, on a dû faire un décret spécial qui porte la date de 21 mars pour placer ce personnel assermenté sous la surveillance de l'administration publique et lui donner le droit de requérir des compagnies la révocation de leurs agents; et encore ce sont ces compagnies et non l'administration qui retirent à l'agent le pouvoir dont il est investi. >>

Il me semble que c'est là un argument frappant.

Les agents assermentés nommés par les compagnies de chemins de fer sont révocables par les compagnies de chemins de fer; le garde champêtre com

munal, qui est nommé par les municipalités, autorités administratives, est révocable par l'autorité administrative; de même, le garde particulier, nommé par le propriétaire, n'est révocable que par le propriétaire. Voilà le principe.

Il ne s'ensuit nullement que le garde particulier, s'il devient indigne, soit assuré de l'impunité; nous ne demandons rien de pareil. Si le garde particulier est placé sous la dépendance de son propriétaire, il est soumis également à la surveillance de l'autorité judiciaire; et celle-ci, usant de son pouvoir disciplinaire, a, dès aujourd'hui, le droit de lui infliger certaines peines. Les procureurs généraux pourront le citer devant eux, ce qui est déjà une pénalité et le frapper de réprimande; mais rien ne s'oppose à ce que les parquets, les tribunaux de première instance soient armés de pouvoirs plus étendus, plus sévères que ceux dont la législation actuelle investit les procureurs généraux.

Nous admettons parfaitement que les tribunaux puissent prononcer la suspension et même, dans certains cas, la destitution. Ce sont des déchéances, comme la justice en prononce dans plusieurs circonstances, par exemple, contre les citoyens qui, par suite de certaines condamnations, se trouvent privés du droit de vote et du droit d'éligibilité, ou contre les pères de famille qui sont privés de la tutelle de leurs enfants; ce sont des sanctions pénales que nous admettons parfaitement, mais que l'autorité judiciaire seule peut infliger, parce que celui qui en est l'objet a le droit de se défendre devant elle, et qu'il a son recours en appel, tandis que vous ne pouvez pas faire que le préfet, fonctionnaire administratif, devienne un magistrat de l'ordre judiciaire et un juge sans appel.

Le système que nous vous proposons consiste purement et simplement à donner aux tribunaux le droit d'infliger des peines allant jusqu'à la suspension et à la révocation, sauf recours devant la cour d'appel.

Ce système établit pour les gardes particuliers un régime beaucoup plus sévère que celui de la législation actuelle, puisqu'il substitue à l'agrément du préfet, agent politique, souvent mieux renseigné sur la personne du présentateur que sur celle du garde lui-même, l'agrément du tribunal, l'appréciation bien plus impartiale et bien plus éclairée du parquet local.

De plus, nous ajoutons à la surveillance éloignée, intermittente du procureur général, la surveillance immédiate, journalière, vigilante du parquet du tribunal de première instance.

Je crois que l'on ne peut pas nous accuser de vouloir ménager les gardes véritablement indignes de remplir leurs fonctions. Mais aller plus loin, ce serait donner aux préfets un pouvoir qu'ils ne sont pas aptes à exercer, qu'ils ne peuvent même pas exercer sans empiéter sur le droit du propriétaire et sur les attributions de l'ordre judiciaire.

Ce serait désorganiser la défense de la propriété privée au détriment non pas seulement des grands propriétaires fonciers, qui trouveront toujours le moyen de défendre leurs récoltes et leur gibier, même sans faire assermenter personne, mais au détriment des petits propriétaires, des simples cultivateurs, des honnêtes gens des campagnes, pour lesquels le garde particulier, auxiliaire indispensable du garde champêtre communal, est une garantie contre

TOM XVIII - AVRIL 1892.

VI. - 4

les malversations des malfaiteurs de toute espèce, trop souvent assurés de l'impunité lorsqu'ils exploitent nos populations rurales.

L'amendement ou le contre-projet que soutenait M. Le Breton était ainsi conçu :

Que les dispositions législatives qui soumettent la nomination des gardes particuliers à l'agrément du préfet et du sous-préfet soient abrogées;

« Qu'à l'avenir la nomination des gardes particuliers soit soumise à l'agrément du tribunal de première instance dans le ressort duquel sont situées les propriétés confiées à leur garde, le ministère public entendu;

« Que les gardes particuliers placés sous l'autorité du procureur général puissent être traduits disciplinairement devant le tribunal de première instance qui, statuant en chambre du conseil, pourra, le garde entendu ou régulièrement cité, prononcer contre lui la peine de la suspension ou de la révocation;

Que la Cour d'appel, lorsqu'elle est appelée à juger un garde particulier, ait également le droit de prononcer comme peine accessoire la suspension ou la révocation. >

L'intervention de l'autorité judiciaire dans la nomination et la révocation des gardes particuliers trouvera-t-elle la faveur à la Chambre? Si le Ministre de la justice consultait les préfets avant que la tâche mise à leur charge par le projet du Sénat ne leur soit imposée, il pourrait en obtenir quelque lumière.

Mais la loi a été votée d'urgence par la Chambre.

No 15.

LOI RELATIVE AUX ARRÊTÉS ADMINISTRATIFS AGRÉANT DES GARDES PARTICULIERS.

Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit: ART. PREMIER. Les préfets pourront, par décision motivée, le propriétaire et le garde entendus ou dûment appelés, rapporter les arrêtés agréant les gardes particuliers.

ART 2. La demande tendant à faire agréer les gardes particuliers sera déposée à la préfecture. Il en sera donné récépissé. Après l'expiration du délai d'un mois, le propriétaire qui n'aura pas obtenu de réponse pourra se pourvoir devant le ministre.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'État.

Fait à Paris, le 12 avril 1892.

CAR NOT.

N° 16.-RAPPORT AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Paris, le 29 février 1892.

Monsieur le Président,

Vous avez bien voulu, surma proposition, créer, par décret du 3 avril 1889, un comité permanent des subsistances chargé, tant pour les places que pour les armées, de donner son avis sur toutes les mesures qui ont pour but d'en préparer et d'en assurer le ravitaillement en temps de guerre.

Bien que tous les départements ministériels soient déjà représentés au sein de cette assemblée, il peut y avoir intérêt à ce qu'un service spécial exigeant des connaissances techniques y soit également représenté.

C'est ce qui se produit actuellement pour le service des forêts dont le concours serait des plus précieux dans l'examen des questions relatives au ravitaillement en bois et en charbon de bois, dont l'importance est considérable.

Pour ce motif, je crois utile de désigner un haut fonctionnaire de l'Administration des forêts comme faisant partie, à titre de membre, du comité permanent des subsistances.

Si vous voulez bien approuver cette proposition, je vous prie de revêtir de votre signature le projet de décret ci-après.

Agréez, monsieur le Président, l'hommage de mon respectueux dévouement.

Le Ministre de la Guerre,

C. DE FREYCINET.

Le Président de la République française,
Sur le rapport du Ministre de la Guerre,

DÉCRETE:

ART. PREMIER. Le directeur des forêts au ministère de l'agriculture fera partie, à titre de membre, du comité permanent des subsistances. ART. 2. Le ministre de la Guerre est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à Paris, le 1er mars 1892.

Par le Président de la République :

Le Ministre de la Guerre,

C. DE FREYCINET.

CARNOT.

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