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No 20. COUR D'APPEL DE LYON (2o Ch.). -27 Décembre 1891.

Saisie-arrêt.

Coupe de bois.

Prix.

Délégation aux créanciers hypothécaires. Nullité de la saisie.

Les créanciers chirographaires ne peuvent saisir-arrêter le prix de vente d'une coupe d'arbres qui, étant encore debout, se trouvaient soumis à l'action hypothécaire des créanciers inscrits, alors surtout que le prix leur en avait été délégué.

LHOMME C. HUMBERT, PERNET ET AUTRES.

Le Tribunal civil de Nantua avait rendu le 27 décembre 1889 le jugement suivant :

Attendu que, le 12 août 1887, le sieur Bailly-Comte, négociant à Morez (Jura), vendait par acte authentique reçu Me Cochet, notaire à Morez, au sieur Humbert, propriétaire et négociant, demeurant au Burlandier, commune de Lalleyriat (Ain), une propriété en grande partie boisée, moyennant le prix de 50.000 francs, sur laquelle somme 3.000 francs ont été payés ; que, dans le courant de l'année suivante, Humbert, l'acquéreur, vendit verbalement à un sieur Pernet, marchand de bois à Salins, une coupe d'arbres à effectuer dans cette propriété, et que, pendant le cours de cette même année et 1888, Pernet a exécuté en partie son marché et a coupé une certaine quantité d'arbres pour une somme de 7.010 francs payable fin décembre 1888;

<< Attendu qu'à l'époque où Dionis Bailly-Comte vendait à Humbert la susdite propriété, elle était déjà hypothéquée à divers créanciers de BaillyComte et de ses consorts; qu'au nombre des créanciers hypothécaires figurait Lhomme, banquier à Morez;

« Attendu que le sieur Pernet, par suite de circonstances qui seront ciaprès rappelées, n'ayant pas encore payé en avril 1889, le prix des arbres abattus, le sieur Lhomme pratiqua le 19 avril entre les mains dudit Pernet, une saisie-arrêt pour assurer le paiement de sa créance, s'élevant à 35.000 fr. que Lhomme suivit sa procédure en saisie-arrêt et assigna Pernet, tiers saisi en déclaration;

• Attendu que c'est ainsi que l'instance actuelle a pris naissance; il n'y avait primitivement en cause que trois parties, Lhomme saisissant, Humbert, saisi, et Pernet, tiers saisi;

<«< Mais attendu que, depuis ce moment, cette instance s'est singulièrement développée et modifiée; que Pernet connaissant, d'une part, les droits hypothécaires qui grevaient l'immeuble sur lequel la coupe avait lieu, et se trouvant, d'autre part, en présence de plusieurs saisies-arrêts pratiquées par des créanciers, soit de Bailly-Comte, soit d'Humbert, saisies-arrêts pratiquées 'antérieurement à celle de Lhomme, Pernet craignait d'être obligé de payer deux fois, si la justice ne décidait pas en présence de tous les intéressés, à qui il

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serait versé la somme par lui due; il demanda qu'on mît en cause toutes les personnes qui prétendaient des droits sur le prix de la coupe. Lhomme, déférant à la demande de Pernet, a appelé en cause toutes les personnes qu figurent aujourd'hui dans l'instance. Les consorts Delacour, créanciers hypothécaires des Bailly-Comte, dont la faillite avait été prononcée, ne s'étant pas présentés, le Tribunal ordonna d'office leur réassignation; les syndics n'ont pas constitué avoué, mais, par suite du jugement de réassignation, le jugement à rendre à la suite des débats actuels n'en sera pas moins contradictoire à l'égard de toutes les parties;

<< Attendu que des évolutions de procédure qui viennent d'être signalées il résulte que l'instance soumise au Tribunal est devenue une véritable instance d'attribution ou de distribution des sommes dues par Pernet pour le prix des arbres abattus par lui. Ce prix sera-t-il attribué par préférence aux créanciers hypothécaires de la propriété Bailly-Comte ainsi qu'ils y concluent? ou serat-il distribué aux créanciers chirographaires et saisissants de Xavier Humbert ou encore aux syndics de la famille Bailly-Comte ?

« Attendu que, pour résoudre cette question équitablement et suivant les principes du droit, il paraît indispensable de résumer les faits qui ont précédé la saisie-arrêt Lhomme;

<< Attendu qu'il faut tout d'abord constater que les créanciers hypothécaires des consorts Bailly-Comte prétendant au prix de la coupe de bois sont au nombre de deux: 1° les consorts Delacour; 2o le sieur Lhomme; ce dernier ne venant qu'au second rang hypothécaire;

Attendu qu'il faut aussi retenir une clause essentielle de l'obligation hypothécaire consentie aux consorts Delacour, par les sieurs Bailly-Comte, en 1882, devant Me Cochet, notaire, acte sur lequel ils appuient leur réclamation actuelle ; les consorts Bailly-Comte empruntant une somme de 80.000 francs, hypothéquaient tous leurs immeubles avec stipulation formelle que : « pendant tout le temps que durerait la présente obligation, les propriétaires ne pourraient couper dans la forêt et sur les propriétés boisées faisant partie des immeubles hypothéqués que le bois nécessaire à leur chauffage, à celui << de leur fermier et aux réparations de leurs bâtiments; que toutes autres coupes, de même que toutes ventes ou exploitation de bois leur étaient ‹ formellement interdites et que toutes celles qui seraient faites au mépris de cette clause rendraient immédiatement exigible le remboursement des capitaux prêtés et donneraient aux créanciers le droit de former entre les << mains de tous acquéreurs opposition au paiement de leur prix, dont les présentes vaudraient cession et transport auxdits créanciers; » que, néanmoins, étaient permises toutes ventes de bois faites aux enchères publiques ou de gré à gré avec le consentement des créanciers, dont le prix serait expressément délégué à ceux-ci;

Attendu qu'il faut en outre ne pas oublier que cette clause était textuellement écrite dans l'acte de vente par Dionis Bailly-Comte à Xavier Humbert en 1887, dont il a été déjà question et dans lequel acte le vendeur chargeait l'acquéreur de l'exécution de la susdite clause textuellement copiée dans l'acte et que l'acquéreur se soumettait en promettant de s'y conformer de manière à ce que ledit vendeur ne fût jamais inquiété ni recherché à ce sujet ;

Attendu que les prescriptions formelles qui viennent d'être rappelées

sembleraient ne laisser aucun doute sur les droits des créanciers hypothécaires ; aussi lorsque les Delacour, qui avaient eu indirectement connaissance de la coupe opérée par Pernet, écrivirent à ce dernier pour lui rappeler leur privilège, Pernet, le lendemain, c'est-à-dire le 16 septembre 1888, leur répondit-il que, conformément à ce qui avait été convenu avec le notaire Cochet, le montant des sommes à payer serait versé audit Me Cochet pour être remis entre les mains des créanciers hypothécaires, mais pendant que, pleins de confiance dans la réponse catégorique de Pernet, les créanciers hypothécaires s'endormaient dans une fausse sécurité, divers incidents venaient compliquer la situation et menacer leurs droits;

<< Attendu, en effet, qu'aux dates du 27 décembre 1888 et 23 janvier 1889 deux créanciers chirographaires du sieur Xavier Humbert, pratiquèrent saisie-arrêt entre les mains de Pernet sur le prix des arbres abattus par ce dernier et la validité en fut prononcée les 31 janvier et 7 février 1889, par des jugements aujourd'hui passés en force de chose jugée en ce sens qu'il ne sont plus susceptibles d'opposition ou d'appel;

⚫ Attendu que dans leurs conclusions les sieurs Barbier et Guinet prétendent aujourd'hui que la réclamation des créanciers hypothécaires ne saurait être accueillie; que les jugements de validité obtenus par les concluants leur ont transféré la propriété de la créance, la validité valant transport judiciaire;

⚫ Mais attendu que les créanciers hypothécaires répondent avec raison qu'ils n'ont pas été parties aux jugements dont il s'agit; qu'ils ne sont pas représentés par leur débiteur dans les questions qui se rattachent à la distribution du prix de ses biens; que ces jugements ne leur sont, en conséquence, pas opposables et ne peuvent leur nuire; que, sans doute, les bois ayant été coupés, ils ont perdu leur droit de suite; mais qu'ils conservent leur droit de préférence sur le prix encore dû, le sieur Pernet ne s'étant pas encore libéré ;

<< Attendu d'ailleurs que Barbier et Guinet seraient mal venus à protester de leur ignorance à l'égard des droits préexistants de ces créanciers, car à l'époque des instances en validité poursuivies par lesdits Barbier et Guinet, le sieur Pernet et d'autres leur avaient déjà signalé ces droits, ainsi qu'il résulte des déclarations de ce tiers saisi, de la teneur des jugements de validité et de la correspondance produite aux débats; que s'ils ont persisté à passer outre et s'ils ont fait juger hors de la présence des créanciers hypothécaires qu'il était inutile de vérifier leurs droits, ils n'ont agi qu'à leurs risques et périls et ne peuvent attribuer l'inutilité des frais exposés par eux qu'à leur propre témérité; qu'enfin, il serait injuste d'affecter au remboursement de leurs créances une somme sur laquelle ils ne devaient pas compter, puisque les bois n'étaient entrés dans le patrimoine de Xavie Humbert que sous la réserve expresse que, s'ils étaient abattus, leur prix serait exclusivement réservé aux créanciers hypothécaires de Bailly-Comte et touchés intégralement par eux;

<«< Attendu qu'il y a, en conséquence, lieu de décider que les susdits créanciers hypothécaires exercent leurs droits de préférence sur le prix encore dû par Pernet;

<< Attendu que cette solution, conforme à l'équité, ne sera pas contraire aux principes de droit; que d'autre part, la jurisprudence admet qu'un juge

ment de validité de saisie-arrêt obtenu par des créanciers chirographaires, ne peut, même lorsqu'il n'est pas susceptible d'opposition ou d'appel, être opposé aux créanciers inscrits de l'immeuble qui représente la somme saisie-arrêtée alors d'ailleurs que ces créanciers n'ont pas été parties à la procédure de saisie-arrêt; que le jugement de validité de saisie-arrêt ne peut nuire aux droits préexistants des créanciers hypothécaires; que l'on cite, il est vrai, des arrèts en sens contraire, mais que ce n'est pas dans des décisions d'espèces dont les circonstances sont inconnues qu'il faut chercher les bases du jugement à rendre; que le Tribunal doit surtout s'inspirer des faits de la cause, lesquels sont sans contredit favorables aux créanciers hypothécaires ;

«Attendu que le droit de préférence étant accordé aux créanciers hypothécaires et ces derniers absorbant la totalité de la somme disponible, c'està-dire la somme actuellement due par Pernet pour le prix des arbres abattus, il devient inutile d'examiner si, comme le prétend le sieur Lhomme, les créauciers hypothécaires doivent recevoir le prix des arbres dont il s'agit, en vertu d'une délégation qui aurait été faite à leur profit, Lhomme, en effet bénéficiera de la solution admise ci-dessus dans le cas où il arriverait en rang utile et la délégation réclamée ne pourrait pas lui créer une situation plus avantageuse;

Attendu que les conclusions du saisi Xavier Humbert sont tellement contraires à la bonne foi et aux engagements par lui pris envers les créanciers hypothécaires, que l'on ne saurait s'y arrêter et qu'il convient de les rejeter purement et simplement comme non justifiées;

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Attendu, d'autre part, que la déclaration de Pernet, tiers saisi, en date du 1er juin 1889, à la suite de la saisie arrêt Lhomme, est suffisamment libellée, et qu'il n'y a pas lieu de la compléter suivant les prétentions du sieur Lhomme;

Attendu, enfin, que toutes les autres conclusions des parties adverses des créanciers hypothécaires sont mises à néant par les solutions ci-dessus adoptées;

En ce qui concerne les dépens :

Attendu que les frais avancés par le sieur Lhomme, ayant eu pour effet de mettre en lumière et de faire valoir les droits des créanciers hypothécaires, doivent être déclarés privilégiés sur la somme saisie-arrêtée, sauf les frais de réassignation qui incomberont à ceux qui les ont nécessités;

Attendu que les sieurs Barbier, Guinet et syndics de la faillite Bailly-Comte doivent être condamnés aux dépens de l'instance sous déduction des frais de réassignation Delacour et syndic Bailly-Comte, qui resteront à la charge de ces deux dernières parties qui les ont rendus nécessaires; que les consorts Delacour expliquent, il est vrai, qu'au moment de la première assignation donnée par Lhomme ils avaient chargé Me Mallet, avoué à Saint-Claude, de faire le nécessaire dans leur intérêt; mais qu'ils auraient dû surveiller eux-mêmes la procédure, et que les autres parties en cause ne peuvent être responsables de la négligence du mandataire des consorts Delacour, si négligence il y a; Par ces motifs;

<< Statuant contradictoirement en matière ordinaire et en premier ressort : Dit que les jugements de validité obtenus par Barbier et Guinet, en date VI. - 5

Tome XVIII - MAI 1892.

des 31 janvier et 7 février 1889, ne sont pas opposables, ni aux consorts Delacour, ni au sieur Lhomme;

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« Valide la saisie-arrêt pratiquée par Lhomme;

Ordonne que le prix entier de la vente de bois de sapins abattus et provenant du domaine de Vers-chez-le-Bon, commune de Morbier (Jura), prix encore dû par Pernet, est attribué aux créanciers hypothécaires par préférence à tous autres et suivant leur rang hypothécaire;

Dit que, moyennant ce paiement et le versement de la somme totale entre les mains des consorts Delacour, créanciers hypothécaires au premier rang, dont la créance absorbe la totalité du prix dont s'agit, Pernet sera valablement libéré envers toutes les parties en cause du prix par lui dû pour les arbres abattus; autorise Pernet à déduire ses frais de déclaration de la somme à verser;

« Condamne Barbier, Guinet, les syndics de la faillite Bailly-Comte, en leur dite qualité, aux dépens vis-à-vis les consorts Delacour et Lhomme;

« Dit, toutefois, que les consorts Delacour et les syndics Bailly-Comte supporteront seuls, et chacun en ce qui le concerne, les frais nécessités par leur réassignation;

<«< Déclare les frais avancés par Lhomme privilégiés sur la somme saisiearrêtée;

Met au besoin les parties hors de cause, pour toutes les fins et conclusions, sur lesquelles il n'a pas été expressément statué, etc. »>

Sur l'appel de Barbier et Guinet, arrêt

LA COUR: Attendu qu'après avoir acheté de Humbert la presque totalité des arbres se trouvant dans sa propriété, Pernet, alors que ces arbres étaient encore debout, et, dès lors, soumis à l'action hypothécaire des créanciers inscrits, s'était engagé personnellement et directement vis-à-vis de ces créanciers, à verser le prix entre leurs mains;

Attendu, de plus, que, dans l'acte d'emprunt de 1882, les consorts BaillyComte avaient, en cas de vente ou d'exploitation du bois, délégué le prix aux consorts Delacour, prêteurs. délégation formellement acceptée par Pernet, lors de la vente à lui consentie; que, dès lors, en présence du droit de préférence des créanciers hypothécaires sur le prix et de la délégation de ce prix, Guinet et Barbier, en leur qualité de créanciers chirographaires, ne pouvaient plus utilement saisir-arréler, au détriment des créanciers inscrits dont ils connaissaient les droits, auxquels ils ont voulu faire fraude, de concert avec Pernet, de tout ou partie du prix dû par Pernet;

Attendu que les sommes dues par Pernet, devant revenir aux créanciers hypothécaires, suivant leur rang, la demande de sursis d'Humbert n'est pas fondée:

Adoptant au surplus les motifs des premiers juges;

Par ces motifs,

Saus s'arrêter à la demande de sursis d'Humbert, laquelle est rejetée ; Confirme le jugement rendu par le Tribunal civil de Nantua, le 27 novembre 1889, etc.

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