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Rapport fait au nom de la commission 1 chargée d'examiner la proposition de loi de M. Philipon et plusieurs de ses collègues, portant modification du titre VI du Code forestier, concernant les bois des communes et des établissements publics, par M. Philipon, député 2.

Messieurs,

Les dispositions du Code forestier relatives aux bois des communes soulè vent, depuis longtemps déjà, les plaintes les plus vives et, il faut bien le reconnaître, les mieux justifiées.

N'y a-t-il pas, en effet, quelque chose de véritablement abusif dans le fait d'une législation qui enlève au propriétaire tout moyen d'intervenir, d'une façon efficace, dans la gestion de sa propriété, et, sans aller jusqu'à donner aux communes la libre administration de leurs forêts, que d'ailleurs elles ne réclament pas, ne pourrait-on pas, tout au moins, leur assurer un droit de contrôle sur les actes des mandataires que la loi leur impose.

Les raisons d'intérêt général qui, à une certaine époque, ont motivé la mainmise de l'État sur le domaine forestier des communes, ces raisons ont de nos jours, sinon entièrement disparu, du moins, singulièrement perdu de leur importance.

Le fer tend de plus en plus à remplacer le bois dans la construction des édifices publics, et la marine, dont les exigences avaient inspiré à Colbert quelques-unes des dispositions les plus arbitraires de l'ordonnance de 1669, se déclare aujourd'hui désintéressée dans la question.

Quant à la nécessité d'empêcher le desséchement des sources et le glissement des terrains de montagne, la loi du 18 juin 1859, sur le défrichement des bois des particuliers, et celle du 4 avril 1892, sur la restauration et la conservation des terrains en montagne, y ont pourvu d'une façon satisfaisante.

Aussi bien, les considérations que l'on invoque pour justifier les restrictions apportées au droit de propriété des communes sur leurs forêts s'appliqueraient, avec tout autant de raison, aux bois des particuliers; or, il y a longtemps que, pour ces derniers, on a abandonné une réglementation qui se comprenait à une époque où le roi se regardait comme propriétaire des biens de ses sujets, mais qui, dans la société issue de la Révolution, ne serait plus qu'une étrange anomalie. C'est donc à d'autres causes qu il faut demander l'explication des dispositions exceptionnelles édictées par notre Code forestier, à l'égard des bois communaux.

L'unique raison qui se puisse alléguer en faveur de l'intervention de l'État

1. Cette Commission est composée de MM. Bourgeois (Jura), président; marquis de Moustier, secrétaire ; Philipon, Thierry-Delanoue, Hervieu, Ceccaldi, Horteur, Calvinhac, Beauquier, Carquet, de Jouffroy d'Abbans.

2.

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 avril 1892.
TOME XVIII

- JUILLET 1892.

VI.-7.

dans l'administration et l'exploitation des forêts appartenant aux communes, c'est le devoir qui incombe a a législateur d'empêcher que les détenteurs actucls ne puissent, par des abus de jouissance, porter atteinte aux droits des générations futures, sur un bien qu'ils ne possèdent, en définitive, qu'à charge de substitution indéfinie.

C'est ce qu'avait parfaitement entrevu M. Favard de Langlade, rapporteur, à la Chambre des députés, du projet de loi qui est devenu notre Code forestier, lorsqu'il disait dans son rapport : « La prospérité des agrégations diverses concourant au bien général de la grande communauté qui les réunit toutes, il importe au Gouvernement d'imprimer une bonne direction à la gestion de leur fortune et de les préserver des conséquences dangereuses d'une administration trop indépendante. »

D'ailleurs, avait-il soin d'ajouter, le projet ne réserve au Gouvernement qu'une administration de précaution et de garantie, qui ne doit être exercée que pour le compte et au profit des communes. Votre Commision s'est empressée d'applaudir à des mesures si sages. Elle a pensé que, dans le système du Gouvernement représentatif, il importait de proclamer en quelque sorte l'émancipation des communes, quant à la gestion de leurs biens. »

Ainsi, à en croire M. Favard de Langlade, le Code de 1827 serait venu opérer une véritable révolution dans l'ancienne législation forestière, en accordant aux communes, dans l'administration de leurs forêts, la part légitime qui jusqu'alors leur avait été refusée.

Il n'en est rien cependant. En ce qui concerne le domaine forestier des communes, le Code de 1827 ne fait guère que paraphraser l'ordonnance de 1669.

Que l'on se reporte au titre XXV de cette ordonnance, Des bois... appartenant aux communautés et habitants des paroisses, et qu'on le compare au titre IV du Code forestier, Des bois des communes et des établissemets publics; on se convaincra bien vite qu'en réalité rien, ou à peu près rien, n'a été changé.

En 1827, comme en 1669, le droit des communes est méconnu l'État, représenté par l'Administration forestière, agit en maître absolu sur des biens qui ne lui appartiennent pas. Quant aux représentants naturels du propriétaire, si dans certains cas on veut bien les appeler à donner leur avis, c'est en se réservant le droit de n'en point tenir compte.

Loin d'atténuer ce que la loi pouvait avoir d'excessif, les ordonnances, les règlements, les arrêtés ministériels et par-dessus tout les tendances envahissantes de l'Administration forestière ont arraché, peu

à

peu, aux

communes

les quelques droits que le législateur de 1827 leur avait laissés. Il y a plus il n'est pas rare de voir les agents forestiers locaux s'efforcer de retirer aux municipalités quelques-unes des concessions qu'à force de démarches et de soins elles sont parvenues à obtenir de l'administration supérieure.

Si, du moins, ces dérogations au droit commun avaient eu, pour le domaine forestier des communes, d'heureuses conséquences, si les règlements édictés dans un esprit de méfiance exagérée à l'égard des municipalités avaient eu pour résultat de développer la richesse des bois soumis au régime forestier,

peut-être les communes eussent-elles souffert, sans se plaindre, des empiétements successifs de l'Administration des forêts.

Malheureusement, il n'en est pas ainsi. Les agents forestiers, gênés qu'ils sont d'ailleurs par des règlements surannés, ne se gardent pas assez, dans l'exercice de leur mission, de cet esprit de réglementation systématique et unitaire qui fait que l'on croit pouvoir appliquer partout les mêmes principes, persuadé que partout ils produiront les mêmes effets. De là d'assez fréquentes erreurs que l'on éviterait si, au lieu de tenir à l'écart et comme en suspicion les municipalités, on faisait appel aux connaissances qu'elles acquièrent dans la pratique journalière de leurs forêts.

Dans un livre récent écrit avec une grande compétence, mais avec une passion qui confine parfois au pamphlet, l'un des hommes les plus prévenus en faveur de l'Ecole de Nancy, M. Tassy, reconnaît que la « sylviculture est une science d'observation et par conséquent une science empirique 1».

Cette connaissance des exigences locales, cette expérience, sans laquelle, pour parler le langage de M. Tassy, tout le reste n'est rien, combien plus vite et plus aisément les acquerrait le jeune forestier, si, au lieu d'en être réduit à ses seules lumières, il était obligé de tenir compte des conseils et des observations d'hommes qu'une longue pratique a rendus familiers avec la sylviculture du pays.

Il nous asemblé que sans sacrifier aucun des grands intérêts qui s'attachent au développement de notre domaine forestier, on pourrait sinon faire disparaître entièrement, du moins atténuer singulièrement une anomalie juridique contre laquelle, depuis plus d'un demi-siècle, les conseils généraux des départements forestiers ne se lassent pas de faire entendre les plus ardentes protestations.

Telle est la pensée dont s'inspire la proposition de loi dont nous allons essayer de justifier les diverses dispositions.

C'est dans l'un des droits féodaux les plus justement impopulaires, le droit de foret, qu'il faut aller chercher le fondement de la législation relative aux bois des communes et des particuliers 2.

Par suite de l'exercice de ce droit, d'immenses territoires furent enlevés à la culture pour être convertis en territoires de chasse. Les régions ainsi abandonnées ne tardèrent pas à se couvrir de bois, dont le roi et les seigneurs so prétendirent longtemps propriétaires exclusifs. Dans la suite des temps la propriété d'une partie de ces forêts fit retour aux communes ou aux particuliers sous réserve, au profit du roi, d'un véritable droit de copropriété, en sorte que le proprétaire de la forêt ne pouvait faire aucune coupe sans la permission de son copropriétaire et sans lui abandonner, en retour, une par. tie notable, près de la moitié parfois, du produit de la vente.

Le pouvoir royal fut tout naturellement amené à s'occuper de la gestion d'une propriété dans les produits de laquelle il s'était réservé une part aussi large.

1.

-

-L. Tassy. Etals des forêts en France. Paris, 1887, p. 14.

2-A. Ducange, vo Foresta, et Championnière, De la propriété des eaux courantes, n* 34, 44, 34, 312.

L'intérêt du fisc et la conservation du gibier, tels sont les seuls objets que l'on avait en vue dans ces temps éloignés ; quant aux principes de droit public, quant aux idées d'utilité générale que l'on devait invoquer par la suite, on en chercherait vainement la trace dans les premières ordonnances rendues sur le fait des forêts.

C'est dans l'ordonnance du mois de mai 1597, portant règlement des eaux et forêts que l'on voit se faire jour, pour la première fois, des préoccupations de cette nature.

A cette époque et malgré des règlements sans cesse renouvelés les forêts n'en étaient pas moins presque entièrement ruinées. Le bois de chêne, notamment, avait été gaspillé à ce point qu'on n'en trouvait plus pour la construction des navires et des machines de guerre et que, faute de merrains, les vignerons étaient menacés de ne plus pouvoir loger leurs vins (Art. 20).

(

Pour arrêter le mal, l'article 30 ordonnait à tous ecclésiastiques, commanderies, communautés ayant bois ou forêts » d'en réserver un tiers en bois de haute futaie. Défenses leur étaient faites de couper aucun bois de haute futaie ou baliveau, sans en avoir obtenu lettres de permission.

Le règlement de 1597 paraît avoir eu le sort de ses aînés, car nous lisons dans le préambule de l'ordonnance du mois d'août 1669, sur les eaux et forêts, que le désordre qui s'était glissé dans cette partie de l'administration était si universel et si invétéré que le remède en paraissait presque impossible».

Préoccupé du soin d'assurer la production des bois de construction nécessaires à la marine et aux édifices publics, Colbert, le véritable auteur de l'ordonnance de 1669, ne s'est pas borné à réglementer l'administration des bois de la Couronne, il a reproduit, en les aggravant encore, les dispositions des anciennes ordonnances relatives aux bois des ecclésiastiques, des communautés d'habitants et même des particuliers.

En ce qui concerne les bois des ecclésiastiques et des communautés d'habitants, le quart au moins en sera toujours en futaie; quant au taillis, ils seront réglés en coupes ordinaires de dix ans au moins, avec charge de laisser seize baliveaux de l'âge du bois en chacun arpent, outre tous les anciens et modernes (titre XXIV, art 2 et 3; titre XXV, art. 2 et 3). On ne pourra couper aucun arbre de futaie ou baliveau sur taillis, ni toucher au quart mis en réserve, sinon en vertu de lettres patentes bien et dûment enregistrées (litre XXIV, art. 4; titre XXV, art. 8). Tous les bois devront être arpentės, bornės, aménagés et le plan en être dressé, dans le délai de six mois.

Dans les bois appartenant aux habitants des paroisses, l'assiette des coupes ordinaires sera faite par les juges des lieux, en présence du procureur d'office, du syndic et de deux députés de la paroisse (titre XXV, art. 9).

L'ordonnance va jusqu'à régler minutieusement le mode d'exploitation des

coupes.

Le titre XXVI est consacré aux bois appartenant aux particuliers. Bien que moins étroites et moins dures que celles des deux titres précédents, les prescriptions relatives à cette catégorie de bois n'en comportent pas moins de nombreuses restrictions au droit de propriété, notamment en ce qui touche

l'âge et l'exploitation des coupes, la réserve des baliveaux et la vente des bois de haute futaie situés dans les régions fluviales ou maritimes.

On voit, par ces quelques exemples, avec quel soin tout avait été réglé, jusque dans les moindres détails.

S'il est vrai qu'en matière de forêts la réglementation l'emporte sur la liberté, il semble que nous allons assister au rapide développement du domaine forestier de la France. Les bois vont augmenter de valeur et d'étendue; là où il ne croissait que de maigres taillis, nous allons voir s'élever de magnifiques et luxuriantes futaies.

Il n'en est rien, cependant.

A dater de l'ordonnance de 1699, loin de prospérer, nos forêts ne cessent de décroître et le mal en arrive à ce point que, sous Louis XV, des cris de détresse s'élèvent de toutes parts et que l'on se croit à la veille de manquer de bois.

Le bois qui était autrefois très commun en France,

écrivait-on, en 1751,

maintenant suffit à peine aux usages indispensables, et l'on est menacé, pour l'avenir, d'en manquer absolument. Ceux qui sont préposés à la conser vation des bois se plaignent eux-mêmes de leur dépérissement.

Et plus loin: Tous nos projets sur les bois doivent se réduire à tâcher de conserver ceux qui nous restent et à renouveler une partie de ceux que nous avons détruits 1. »

La cause du mal n'avait pas échappé aux esprits clairvoyants de l'époque. Elle était dans la réglementation même par laquelle on s'était flatté d'y porter remède.

Ouvrons le célèbre compte rendu présenté au roi, par Necker, directeur général des finances, au mois de janvier 1781; nous y lirons ce qui suit:

L'Administration des forêts royales, quelque soin qu'y donne le gouvernement, sera toujours imparfaite. Il est impossible qu'une administration étendue et dont le devoir est le seul mobile aille jamais de pair avec la gestion d'un propriétaire que l'intérêt tient sans cesse éveillé et qui n'est obligé qu'à une surveillance proportionnée à ses forces. »

Quelques années plus tard, le savant abbé Bertholon, voulant montrer par un exemple les résultats lamentables des réglementations administratives, ne trouvait rien de mieux que de montrer l'état misérable où l'ordonnance de 1669 avait réduit les forêts.

« Quelle est, dit le savant abbé, la cause du peu de prospérité de nos forêts et de l'état de dégradation où elles sont tombées ? C'est l'esprit réglementaire qui veut maîtriser les propriétés et croit être plus éclairé que le particulier conduit par son intérêt c'est le défaut de liberté. Que le propriétaire reste maître de ses bois, dit M. Micent, l'intérêt lui aura bientôt appris à les exploiter, à les renouveler, à les modifier de la manière la plus avantageuse pour lui-même et pour l'État : ce sont les entraves qu'on met à la propriété foncière, ce sont les règlements, ce sont les abus érigés en lois qui ravagent nos forêts quel plaisir aurait-on d'augmenter et d'entretenir une espèce de

1. Encyclopédie. Paris, 1751, vo Bois.

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