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peuplement et du reboisement, tandis qu'il a été employé à un service de police qui n'a rien de forestier, et pour lequel il n'est pas fait. Indépendant du Gouvernement général, il n'a pas obtenu le concours qui lui était nécessaire pour créer des voies de communication indispensables à l'exploitation des forêts. Enfin, en sacrifiant les intérêts des indigènes à l'application rigoureuse du Code français dont il n'a pas réclamé la modification, le service forestier a abouti à l'incendie périodique d'une grande étendue du domaine dont il était chargé d'assurer la conservation.

Le temps est venu d'améliorer le système suivi dans le passé et de réparer promptement le mal qu'il a causé, mais les réformes dont l'urgence s'affirme ne peuvent être définitivement accomplies que par le Parlement.

L'œuvre heureusement est commencée.

L'honorable M. Burdeau, rapporteur à la Chambre des Députés du budget de l'Algérie pour l'exercice de 1892, a proposé des modifications importantes; il a fait voter des crédits qui donneront une impulsion utile à la plupart des services et font entrevoir aux indigènes un avenir réparateur.

Le nouveau Gouverneur général, M. Jules Cambon, dans son discours d'ouverture au Conseil supérieur, a posé les principes qui serviront de règle à son administration. Il montre sa sollicitude pour les indigènes ; il considère l'amélioration de leur sort comme inséparable de la prospérité et de la sécurité des colons.

A propos des forêts spécialement, il s'est déclaré partisan du pâturage réglé et aménagé ; il veut protéger la production et le commerce des troupeaux qui ne sauraient se développer sans la revision du Code forestier.

Le rapport sur le budget de 1893, relatif à l'Algérie, qui vient d'ètre présenté à la Chambre des Députés par l'honorable M. Jonnart, est une nouvelle preuve de l'esprit de progrès et de justice qui anime nos collègues de la Chambre. Tout ce qui est dit dans ce consciencieux rapport au chapitre consacré aux forêts confirme la situation que nous venons d'exposer. Si nous différons en quelques points sur l'organisation du service, nous sommes d'accord sur le programme de la mise en valeur directe par l'État des chênes-liège et des autres forêts, ainsi que du reboisement.

Il est peu de pays où la population pastorale soit aussi nombreuse qu'en Algérie ; il n'en est pas qui possède une quantité de chênes-liège aussi considérable; il faut ajouter que le climat africain, plus que tout autre, impose la nécessité de conserver, d'augmenter même l'étendue des forêts sur le sommet et les pentes des montagnes, en vue de l'aménagement des eaux.

De cette situation complexe il ne ressort nullement l'obligation de sacrifier soit la population pastorale à la conservation des forêts, soit la conservation des forêts à la population. Si grande que soit la difficulté de sauvegarder les intérêts primordiaux qui pendant longtemps ont été regardés comme inconciliables, l'Administration saura la résoudre par des efforts persévérants, d'autant qu'une législation appropriée aux conditions spéciales qui se rencontrent en Algérie rendra sa tâche plus facile.

Alors on verra se produire l'apaisement chez les indigènes, la sécurité des biens et des personnes sera plus facile à assurer, les incendies prendront fin, et la colonie pourra développer tous ses éléments de prospérité.

Vous êtes appelés, Messieurs, à donner votre haute sanction aux projets de réformes et de réorganisation pour lesquels le concours du Parlement et du Gouvernement est indispensable.

En conséquence, la Commission a l'honneur de soumettre à votre approbation les résolutions suivantes :

Demander au Gouvernement:

1° De nommer une Commission chargée de rédiger un Code forestier applicable à l'Algérie;

2o En attendant la promulgation de ce Code, de réglementer par décrets le parcours des troupeaux dans les forêts et les broussailles ;

3o De proposer au Parlement l'abrogation ou la modification des articles 6 et 12 de la loi de décembre 1885 relatifs à l'interdiction du pâturage et dufdéfrichement des broussailles;

4o De faire délimiter à bref délai les véritables forêts, c'est-à-dire celles qui sont peuplées d'essences susceptibles d'exploitation et de bois à haute tige; 5° De décharger le service forestier de la surveillance des terrains couverts de broussailles et d'arbustes improductifs, terrains qui doivent servir soit à la colonisation, soit au parcours des troupeaux, soit à la culture;

6o De créer à Alger, sous la direction du Conservateur, un institut forestier algérien où les fonctionnaires venant de France auront à suivre pendant six mois des cours sur la culture des chênes-liège, sur le repeuplement, le reboisement, et sur les connaissances indispensables à l'exercice de leurs fonctions en Algérie ; où les gardes seront mis au courant des premières notions de la langue arabe et recevront les instructions générales sur la conduite qu'ils auront à tenir envers les indigènes, avant d'être placés au milieu de populations dont la langue, les mœurs et les usages leur sont totalement inconnus ;

7° De proposer au Parlement un supplément de traitement en faveur du personnel forestier, attendu qu'il est indispensable de fixer le plus longtemps possible les agents qui auront acquis l'expérience des cultures forestières spéciales à l'Algérie, de leur donner l'avancement sur place, et de diminuer le roulement qui existe actuellement entre le personnel de la métropole et celui de la colonie ;

8o D'abroger les décrets relatifs au service des forêts conformément au rapport de l'honorable M. Jules Ferry, Président de la Commission sénatoriale, sur l'organisation et les attributions du Gouvernement géneral de l'Algérie.

N° 12.-LE SERVICE FORESTIER DANS LE DÉPARTEMENT D'ORAN

Des hommes voués à l'étude des questions algériennes, membres du Conseil Supérieur de Gouvernement, conseillers généraux et publicistes, ont signalé à l'animadversion publique le Service forestier de la colonie: il détient d'immenses broussailles propres à la culture et refuse d'en céder la moindre parcelle à la colonisation; si cette dernière n'a pas progressé plus rapidement, on le doit à cette Administration obstinée qui se préoccupe uniquement de l'intérêt forestier mal entendu et ne sait pas s'élever à une conception plus large des besoins du pays; de là un tolle général dont les échos se répercutent dans les journaux. Il est très bien de dénoncer un abus, car c'est le moyen de le faire cesser, mais encore faudrait-il s'assurer d'abord qu'il existe et les adversaires du service forestier ont négligé ce détail; les fonctionnaires chargés de la colonisation trouvent fort doux de n'avoir à répondre d'aucun mécompte et il leur faudrait un véritable héroïsme pour arracher à la vindicte publique ce pelé, ce galeux d'où provient tout le mal »; le colon est enchanté de trouver à qui s'en prendre et tous. répètent, avec plus ou moins de conviction: « C'est la faute du service des forêts; ce dernier, abandonné par ceux qui devraient le défendre et privé du droit de réponse, joue le rôle ingrat du soldat au début d'une émeute quand il reçoit, impassible mais frémissant, les invectives, les pierres et les horions.

Comment essayer de convaincre des gens aussi satisfaits, que leur légende est menteuse et que leur indignation porte à faux? Leur premier mouvement sera de lapider le malencontreux qui cherchera à les éclairer, mais, dût le second être semblable au premier, nous ne déserterons pas la lice.

Cette étude sur le service forestier sera restreinte au département d'Oran qui nous est parfaitement connu; nous parlerons donc comme un témoin, non comme un écho, et avec une seule préoccupation: la ̧ vérité.

A l'époque de la conquête française, la forêt dans l'Ouest Algérien était, en droit, la propriété de l'État chargé d'y délivrer aux communiers les produits nécessaires à leurs besoins, mais, en fait et par suite de l'insouciance du gouvernement turc, elle servait à la libre jouissance d'une population pastorale clairsemée; cette dernière pratiquait le parcours du grand bétail, le pacage des moutons et des TOMS XIX. - MARS 1893

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chèvres, le labour des vides à titre d'usufruit, la coupe des bois nécessaires aux foyers, à la confection des charrues, à l'installation des gourbis et des tentes, souvent même l'incendie pour écarter les fauves et rajeunir le pâturage; l'immensité du boisement le défendait contre ces abus qui le dégradaient sans le détruire et, surtout en montagne, il présentait encore des peuplements jeunes mais vigoureux, de pin d'Alep, de thuya, de chêne-yeuse, entremêlés de vieux arbres et dominant un sous-bois de lentisque, chêne kermès, olivier sauvage et philarea; des chênes-liège émergeaient du milieu des cistes sur les flancs et les sommets des hauteurs à sol de grès; le diss et l'alfa garnissaient les grands vides provenant d'incendies répétés et suivis de campement ou de pacage.

Quand la conquête fit place à l'organisation, il fallut remplacer la propriété théorique de l'État sur de vastes surfaces boisées par une main-mise effective, réservant aux indigènes la satisfaction de leurs besoins personnels, et la loi du 16 juin 1851, art. 4, § 4, comprit dans le domaine de l'État « les bois et forêts, sous la réserve des droits « de propriété et d'usage régulièrement acquis avant sa promulgation». Plus tard, le sénatus-consulte du 22 avril 1860 « déclara les tribus << de l'Algérie propriétaires des territoires dont elles avaient la jouissance << permanente et traditionnelle, tout en réservant les droits de l'Etat à << la propriété des biens du Beylik » ; il prescrivit de procéder administrativement: 1° à la délimitation du territoire des tribus; 2° à leur répartition entre les différents douars de chaque tribu du Tell et des autres pays de culture, avec réserve des terrains communaux; 3° à l'établissement de la propriété individuelle entre les membres de ces douars, partout où cette mesure serait reconnue possible et opportune.

La troisième opération fut ajournée, mais les deux premières, menées activement, étaient fort avancées quand les événements de 1870 vinrent les interrompre pour une longue période; elles ont été reprises seulement en 1889.

Les commissaires délimitateurs chargés d'appliquer le sénatus-consulte avaient à constituer en groupes distincts: le domaine public défini par l'art. 2 de la loi du 16 juin 1851, les terrains forestiers domaniaux, les communaux et les melks, ces derniers propriétés collectives de familles indigènes.

Le Code de 1827 interdit dans les forêts de l'État grevées de servitutudes usagères : le pâturage du grand bétail dans les cantons non reconnus défensables, le pacage des moutons sauf à titre de tolérance temporaire accordée par décret, celui des chèvres d'une manière ab

solue, l'exploitation des bois usagers sans demande préalable suivie de désignation et de délivrance par le service forestier, le campement, le labour des vides et a fortiori l'incendie. Il était donc rationnel d'affranchir le sol forestier en classant dans les communaux de parcours les lisières boisées, qui occupaient la base des versants; certaines clairières y étaient propres à la culture et les indigènes auraient pu les ensemencer tout en faisant pacager leur menu bétail dans le surplus de la broussaille; le labour partiel des communaux inaliénables leur aurait même constitué une ressource précieuse pour compenser les évictions de terrains melks imprudemment engagés à des usuriers. Par contre, il importait de conserver à l'État, sous la réserve des droits d'usage compatibles avec la loi forestière, les pentes et les sommets éloignés des terres des indigènes et inutiles au bien-être de ces derniers, d'y maintenir et d'y améliorer le boisement pour assurer l'alimentation des sources et des cours d'eaux, empêcher le glissement des terres et la dénudation des versants, entretenir dans l'atmosphère un peu de fraîcheur favorable à la végétation agricole des plaines.

Sauf quelques exceptions, les commissaires délimitateurs chargés d'opérer avant 1870 n'ont pas compris ainsi leur mission et ils ont généralement sacrifié l'intérêt public pour donner aux besoins de la population indigène une satisfaction plus apparente que réelle.

Sur certaines tribus qui présentaient, en montagne, des forêts importantes gérées jusque-là par le service forestier, ils ont déclaré qu'il n'existait pas de bois et que tout le territoire était melk : citons comme exemples les douars-communes de l'Ouizert, de Tafrent, de Tifrit et de Souk-el-Barbata (commune mixte de Saïda), de Benian (commune mixte de Mascara), d'Aïn-Cheurfa (commune mixte de St-Lucien), des Oulad-Ali (commune mixte d'Ammi-Moussa), sans prétendre épuiser la série.

Ailleurs et dans la plupart des cas, ils ont détaché des massifs forestiers,pour constituer des pâturages communaux, des montagnes parfaitement boisées et très escarpées en les limitant par les sommets et les lignes de crêtes; ces parcours sont très peu productifs, notamment quand ils comprennent des versants garnis de pins d'Alep, et l'État ne peut faire respecter des forêts inutiles aux attributaires, bien que la conservation en soit réclamée par l'intérêt public.

Parfois enfin, les opérateurs ne semblent pas avoir parcouru le terrain, car ils ont englobé dans le domaine forestier de vastes enclaves labourées depuis un temps immémorial et offrant même, sur quelques points, d'anciens gourbis isolés ou agglomérés ; comme types du genre

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