Page images
PDF
EPUB

française n'amènerait aucun résultat avantageux pour la Belgique; car l'évacuation de la citadelle d'Anvers ne changerait rien aux prétentions du roi Guillaume, qui considèrerait toujours les Belges comme des sujets rebelles. «Il faut, ajoutait M. Osy, que la Belgique exprime l'indignation dont elle est animée, et que notre armée sache que la représentation nationale proteste contre une intervention qui porte atteinte à son honneur. >>

M. Nothomb avait une manière de justifier l'intervention, qui fut ensuite reproduite par tous les défenseurs du ministère. N'approuvant pas le traité du 15 novembre, il soutenait que ce n'était pas à la Belgique à se charger de l'exécution d'un acte qu'elle avait subi sans l'adopter. «Il faut, disait-il, que cet acte, qui est à vos yeux un attentat, reste ce qu'il est, et que ceux qui en ont assumé l'odieux en acceptent toutes les conséquences. Laissez l'étranger accomplir seul l'œuvre de l'étranger, et ne souillez pas la moralité de votre cause par votre participation à l'exécution d'un acte que vous avez toujours réprouvé.»

D'après M. Charles Rodenbach, on devait accomplir en entier, immédiatement, les 24 articles, ou anéantir un traité qui n'était valable que par la sanction des parties intéressées, qui perdrait sa force par le refus de la Hollande ou pouvait lier la Belgique, au détriment de ses intérêts.

[ocr errors]

L'intervention étrangère que nous subissons en ce moment, ajoutait M. Rodenbach, et qui a pour but l'exécution partielle du traité, nous est inutile et onéreuse : inutile, car la reddition de la citadelle d'Anvers laisse intacres toutes les questions les plus importantes, la liberté de l'Escaut e Ja dette; onéreuse, en ce que la possession de ce fort n'est pas une com pensation suffisante de l'abandon de Venloo et d'une partie du Limbourg et du Luxembourg.

[ocr errors]

On a dit qu'il ne nous appartenait pas de nous immiscer dans l'intervention, que nous ne devions connaître que des faits accomplis. Nous n'avons pas ia prétention de formuler des plans de campagne, mais personne ne nous conteste le droit, le devoir de défendre les intérêts du pays, et c'est ce mandat que nous voulons accomplir.

[ocr errors]
[ocr errors]

Lorsque nous possédons une armée pleine de courage et de patriotisme, verrons-nous l'étranger s'arroger le droit de combattre seul nos ennemis, et ne nous sera-t-il pas permis d'élever la voix pour protester.

contre cet outrage? Si deux grandes puissances nous imposent ces conditions, que l'on sache du moins que la nécessité seule nous fait céder, et que nous n'avons pas la stupidité de croire qu'elles agissent ainsi pour notre bien-être.

N'est-il pas à craindre que, en cas d'incidents que nul ne peut prévoir, Anvers ne devienne une nouvelle Ancône? En vain voudrait-on nous persuader que nos paroles n'auront aucune influence sur les événements qui se préparent, que les coups de canon vont décider de notre avenir. Il faut, avant que des stipulations honteuses viennent nous ravir les villes et les villages cédés à la Hollande par le traité des 24 articles; il faut que' des voix généreuses s'élèvent une dernière fois pour réclamer, au nom de nos frères en révolution, leur part de liberté et d'indépendance; il faut que nous protestions, à la face de l'Europe, contre cette spoliation qui livre à la Hollande une portion de notre territoire; il faut que les habitants de Venloo sachent que les patriotes belges les abandonnent avec désespoir, qu'ils ne sont pour rien dans l'acte inique qui les prive de leurs droits, que nos cœurs sont déchirés à l'idée des maux qu'on leur prépare; il faut que l'on sache qu'en bornant l'exécution des traités à la prise de la citadelle d'Anvers, on prolonge un statu quo funeste, on ouvre la voie à de nouvelles concessions; que si la Hollande est mise en possession des parties du Limbourg comprises dans les traités, elle aura seule gagné à l'intervention française, si, pour prix de son obstination et du sang qu'elle aura fait répandre, on déchire en sa faveur la seule clause qui nous soit favorable dans les 24 articles, qui consiste à n'échanger les parties du Limbourg que contre le Luxembourg, question tout-à-fait étrangère à la citadelle d'Anvers.

«

Déjà, sous le gouvernement provisoire, l'épouvantail d'Anvers nous jeta dans les filets de la diplomatie. C'est ce nom d'Anvers qu'on invoqua pour empêcher l'exclusion des Nassau. Anvers détruit, voilà le fantôme qu'on a opposé à toute disposition énergique. Aujourd'hui on a employé le même prétexte pour empêcher notre armée d'agir. Je désire ici qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions, Je dis que la sûreté d'Anvers est un prétexte; car je suis loin de regarder le salut de cette belle cité comme peu important, personne plus que moi ne déplore les malheurs qui planent sur cette ville; mais, j'en appelle aux habitants d'Anvers eux-mêmes, qu'auront-ils gagné à l'évacuation de la citadelle tant que la liberté de l'Escaut n'est pas assurée?

L'orateur s'indignait de la nullité à laquelle on réduisait l'armée belge, et s'écriait que la sûreté d'Anvers serait achetée trop cher au prix de la honte de la Belgique.

Après avoir exprimé l'espoir qu'une majorité généreuse repousserait toute concession qui ne s'accordait pas avec les intérêts et l'honneur de la Belgique; après avoir dit que la Belgique ne devait rien attendre de la sympathie des puissances, M. Charles Rodenbach se résumait ainsi :

Exigeons l'accomplissement immédiat et entier des traités. Si les obstacles sont invincibles, affranchissons-nous des entraves de la diplo

matie et appelons-en à notre bon droit, à nos soldats et à nos alliés; ne souffrons pas que la brave armée française prenne seule part au drame sanglant qui se prépare, afin que le ministère français ne nous dise pas, comme autrefois aux envoyés de la Hollande: Nous traiterons de vous chez

yous et sans vous. »

[ocr errors]

Nous avons dû nous arrêter sur ce discours, parce qu'il renferme à peu près tous les arguments de l'opposition. Quant aux orateurs qui prirent la défense du ministère, ils furent loin de déployer la même chaleur que ses adversaires; aussi le poids de cette lutte difficile retomba-t-il presque tout entier sur les ministres eux-mêmes. Déjà M. Lebeau, qui avait eu une si grande part aux affaires belges l'année précédente, s'était efforcé de justifier des antécédents qui l'avaient rendu peu populaire. Mais le général Goblet, n'ayant pas jusqu'alors d'attaques personnelles à repousser pour son propre compte, s'attacha à prouver que l'exécution de la partie du traité concernant l'évacuation du territoire devait nécessairement précéder toute autre mesure. Il fit observer que cette marche avait été tracée par la Chambre elle-même dans son adresse au roi, lors de la dernière session. Il considérait l'évacuation du territoire comme une conséquence nécessaire des négociations entamées depuis long-temps avec la conférence, et comme un commencement d'exécution des 24 articles dans leur entier, puisque cette évacuation devait avoir lieu avant de renouer les négociations pour les autres parties du traité. Il assurait que les motifs qui avaient fait prendre les armés aux deux puissances intervenantes ne cesseraient d'exister que lorsque le traité serait complétement exécuté.

L'orateur citait de nombreux fragments de sa correspondance avec les ministres belges, pendant qu'il était accrédité à Londres, et il concluait que la doctrine du gouvernement et de la Chambre était que l'évacuation du territoire, soit qu'elle eût lieu de gré, soit qu'elle eût lieu de force, fût indépendante de l'adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre.

[ocr errors]

Après la non-réussite de la tentative des négociations directes, disaitil en terminant, nous nous sommes trouvés naturellement replacés dans le

système du précédent ministère, avec cette différence qu'il demandait ce que nous avions acquis le droit d'exiger, c'est-à-dire l'exécution forcée du traité du 15 novembre, commerçant par l'évacution des territoires. C'est pour parvenir à ce but que des moyens coërcitifs sont en ce moment employés par la France et la Grande-Bretagne.

Messieurs, les détails que je viens d'avoir l'honneur de vous communiquer vous convaincront,e l'espère, du peu de fondement des reproches dirigés contre le ministère. De quoi le blâme-t-on en effet? D'être parvenu à obtenir des deux puissances garantes du traité l'objet des vœux de la représentation nationale. Je crois, Messieurs, qu'il me suffira d'avoir démontré que nous avons scrupuleusement suivi le système auquel vous avez adhéré. Si les résultats qui sont à la veille de se réaliser ne répondent pas encore à la juste impatience de la nation, la faute en est, Messieurs, à des causes placées en dehors de la sphère du gouvernement. Jetez les yeux sur la situation de l'Europe, et jugez si nous n'avons pas amené les puissances à faire et à laisser faire tout ce qui était moralement et physiquement possible dans les circonstances présentes. »

M. Deleuw établissait, à l'exemple de M. Nothomb, que le traité du 15 novembre ayant été fait sous la garantie des puissances, c'était à ces mêmes puissances d'en assurer l'exécution et non aux Belges. Cependant on accusait le ministère d'avoir commis un crime politique.....

Mais, demandait M. Mary, ne pourrait-on pas, à plus forte raison, nous accuser d'un suicide politique, nous qui avons donné notre consentement aux 24 articles? Nous n'avons pas d'ailleurs à nous plaindre avec tant d'amertume. Notre conduite a été sage; et pour vous en convaincre, jetez les yeux sur la Pologne et l'Italie, qui gémissent sous le joug de leurs possesseurs. Certes, notre situation est plus favorable, et nous le devons à la marche prudente imprimée à nos affaires. »

M

M. Devaux trouvait que les résultats matériels des deux dernières années avaient été beaucoup moins fàcheux que les résultats moraux. Parmi les plus déplorables de ces résultats, il signalait cette disposition des esprits qui commence par nier la possibilité d'atteindre un but et, quand la réalisation s'appro-, che, en méconnait l'importance. Ainsi on a dit long-temps, ajoutait-il, qu'Auvers est la clef de la Belgique; que lorsque nous aurions Anvers, nous ne craindrious plus la diplomatie: aujourd'hui on ne veut déjà plus voir dans Anvers que quatre murs, et bientôt, sans doute, on ne l'estimera plus que pour le nombre des briques qu'elle renferme.

La question avait été portée sur un autre terrain par le mi

nistre des affaires étrangères, et il s'agissait maintenant de savoir si le gouvernement n'avait fait que suivre les intentions et les prescriptions des Chambres. Or, c'est ce que plusieurs orateurs de l'opposition avaient contesté avec force, en même temps qu'ils avaient nié que le ministère actuel fût seulement le continuateur du précédent (MM. Jaminé, Fallon). Le ministre des affaires étrangères réparut à la tribune pour soutenir la première proposition. La seconde fut plus spécialement défendue par le ministre de l'intérieur, M. Rogier, qui s'exprima

en ces termes :

«Nous nous sommes annoncés comme étant, sous certains rapports, les continuateurs du système de nos prédécesseurs, système applaudi par les deux Chambres; mais ce qui était sous le ministère précédent un principe est devenu par nous un fait. Nous avons obtenu et réalisé ce que le système avait annoncé. Peu importe au surplus que nous soyons les continuateurs du système précédent, peu importe que ce système soit dans les vœux de la Chambre. (Oh! oh!) Notre système est-il bon? Voilà toute la question..

[ocr errors]

Ici M. Rogier donnait lecture de la note remise le 23 octobre au ministère français par le plénipotentiaire belge, de laquelle il résultait que le roi, en adhérant au traité du 15 novembre, avait accepté la garantie offerte par les puissances dès le 15 octobre 1831, lorsqu'elles se réservaient la tâche et prenaient. l'engagement de le faire exécuter.

• Cette note, ajoutait-il, laissait le choix entre deux moyens d'obtenir l'évacuation : ou par les puissances, ou par nos propres forces; et vous remarquerez que le jour fixé par les puissances était précisément la veille du jour fixé par nous-mêmes pour délai fatal. Le ministère ne pouvait manquer à ses devoirs en choisissant entre ces deux moyens Lors même que le ministère consentirait à remettre, sous condition, toute la portion de territoire qui revient au roi de Hollande, il n'y aurait pas là un grand malheur, et il en résulterait d'immenses avantages: 1o La sécurité rendue à une de nos villes les plus importantes. Messieurs, l'état de siége va cesser pour cette ville. Les forts aussi, les forts, qui pourront donner beaucoup plus de peine à rendre que la citadelle elle-même, les forts seront éva cués: c'est la condition de l'intervention. 2° Nous aurons sauvé de l'inondation une multitude d habitants, qui eussent été exposés aux plus grands désastres si nous eussions voulu conserver plus long-temps une portion dẹ territoire que 1inflexible nécessité nous force d'abandonner. Tels sont dit l'orateur, les avantages matériels de l'évacuation; mais quel autre avantage ne trouvous-nous pas dans l'intervention qui doit la produire ! Messieurs, cette intervention va consacrer, par la force des armes, le

« PreviousContinue »