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dit queces agents font la politique de M. Drouyn de Lhuys, et peutêtre exagèrent encore,-et que la politique de l'Empereur est différente; toutefois, il n'est pas tranquillisant pour nous de commencer la guerre avec la menace de 300,000 hommes qui peuvent nous tomber sur le dos, quand nous serons sérieusement engagés.

J'ai répliqué: Mais je croyais que Votre Excellence avait des intelligences et des arrangements avec l'Empereur, et dans ce cas l'on peut s'y fier aveuglément, attendu que c'est un parfait gentleman, et il n'a jamais trompé ses amis. Nous en pouvons donner témoignage.

Le comte de Bismarck a répondu, en pesant ses paroles: Il y a six mois, quand je parlai à l'Empereur des événements actuels, il paraissait content de quelques arrangements qui conviennent également à la Prusse; mais, aujourd'hui que nous sommes à la veille du dénoùment et qu'il nous conviendrait de conclure des accords plus positifs, il se refuse absolument à toute explication.

Je repris alors: Mais toute l'Europe dit tout haut quelles sont les convenances de la France, et peut-être tels sont aussi les désirs de l'Empereur.

Le comte de Bismarck a répondu Il s'agit, en définitive, pour la Prusse, dans toute cette affaire, d'acquérir la prépondérance dans une partie de l'Allemagne, et de se l'attacher par certains liens. Pour obtenir de tels avantages, peut-elle, elle la Prusse, peut-il, lui le Roi, céder à la France de vastes provinces de sang allemand? Il conviendrait beaucoup mieux à l'Empereur d'acquérir le..... J'ai répondu que..... avait une existence propre si fière et un sentiment si vif d'autonomie, que la chose pouvait être assez difficile pour ne pas tenter l'Empereur, et que d'ailleurs il était de première nécessité d'avoir la France avec nous dans les circonstances actuelles. Votre Excellence ne croit-elle pas, ai-je ajouté, qu'une fois le mouvement imprimé aux affaires allemandes, surtout avec le concours d'assemblées populaires, cela ne dépasse pas de beaucoup le programme actuel, et qu'au fond du tableau n'apparaissent pas les annexions? De cette façon, la Prusse pourrait gagner beaucoup plus qu'elle n'a à perdre par des cessions de territoire. J'ai cité l'exemple de l'Italie, en ajoutant que si les arrangements qui pouvaient convenir maintenant à la France n'étaient pas de nature à faire l'objet de stipulations qui pussent être connues, ils pouvaient sans doute être chuchotés à l'oreille de l'Empereur.

Le comte de Bismarck a écouté tout cela sans s'en montrer en aucune façon étonné; il a répliqué que dans un moment de crise, après une défaite, il serait facile de faire de telles propositions et de telles concessions à la France pour obtenir son aide armée, mais qu'il serait bien

plus difficile de faire accepter à l'opinion du pays la cession de portions du territoire allemand sans la justification d'un besoin urgent.

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J'ai eu besoin de donner à toute cette conversation l'apparence d'une divagation académique, comme elle l'a été réellement, à laquelle avaient donné occasion incidemment les paroles mêmes du président du Conseil. Mais l'impression qui m'en est restée est qu'en définitive les résistances du comte de Bismarck, engagé comme il se trouve actuellement dans des circonstances desquelles dépend le sort de son pays, ne seraient ni invincibles ni peut-être trop difficiles à vaincre.

Ici le président du Conseil m'a parlé de la question des PrincipautésDanubiennes comme d'un nouvel élément qui pourrait être un objet d'intérêt pour la France; mais je n'ai pas bien compris l'idée du comte de Bismarck, et je ne me suis pas arrêté à lui faire de questions à ce sujet. Seulement, j'ai retenu sa déclaration que le prince de Hohenzollern avait, pour ainsi dire, déserté pour se rendre à Bucharest; que les Principautés se trouvaient assez fortes pour résister à une intervention turque; mais qu'en tout cas, si le Prince était banni, la Prusse n'aurait rien à y voir.

La conversation s'est de là portée sur la situation militaire de la Prusse, de l'Autriche et de l'Italie. J'ai dit au président du Conseil que, selon nos calculs, l'Autriche opposait à la Prusse de 200,000 à 250,000 hommes, et que, d'après l'expérience que nous avions, il y avait lieu de croire qu'à l'ouverture des hostilités, cette formidable armée franchirait en rangs serrés et en ordre de bataille la frontière prussienne, et je lui ai demandé si tels étaient les calculs de la Prusse. Le comte de Bismarck m'a dit que la Prusse calculait qu'au commencement de juin, 200,000 Autrichiens, et pas plus, seraient déjà concentrés et prêts, et que la Prusse leur en opposerait de 280,000 à 290,000. Mais, ai-je objecté, n'est-il pas vrai que ces forces sont disséminées? Ne conviendrait-il pas d'appeler en ligne même deux corps de l'armée du Rhin? Ne conviendrait-il pas pareillement de rapprocher du gros de l'armée les 60,000 hommes qui sont dans la Haute-Silésie?

Le comte de Bismarck m'a confié que deux corps de l'armée du Rhin seraient rappelés et mis en ligne. Ensuite, il est entré dans beaucoup de développements sur les emplacements des forces prussiennes. Deux corps d'armée sont vers la Neisse, dans la Haute-Silésie; un corps se concentre à Gorlitz; trois corps se concentrent sur la frontière de Saxe, en face de Dresde, et un corps vis-à-vis de Leipzig. Il y a sept corps d'armée qui déjà se concentrent avec un effectif de 31,000 à 33,000 hommes par corps. Cette masse imposante sera encore renforcée des deux corps de l'armée du Rhin, lesquels porteront l'effectif des combattants de 300,000 à 310,000 hommes, abstraction faite des ARCH. DIPL. 1873. -IV,

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réserves de la landwehr, qui ont été appelées presque en entier, et des dépôts, qui forment encore quelques centaines de mille hommes, mais qui n'entreront pas en ligne.

Sans doute, une telle masse est imposante au delà de toute limite, si elle vient à être concentrée et réunie.

A ce propos, je me suis permis d'objecter contre la trop grande dissémination. Je ne vous rapporterai pas toute la longue conversation que j'ai eue à ce sujet avec le comte de Bismarck, qui a examiné avec moi la question sur la carte topographique. La question a été que déjà, m'a-t-il dit, un officier très-compétent, dont je n'ai pas retenu le nom, destiné à remplir les fonctions de chef d'état-major, lui avait fait la veille les mêmes observations; c'est pourquoi il m'a prié de discuter avec lui la même question, lui, comte de Bismarck, partageant mes opinions. J'ai répliqué en demandant si le général de Moltke n'était pas le chef d'état-major, et le comte de Bismarck a répondu que le général Moltke était l'auteur des dispositions que je critiquais, et il m'a dit d'en parler aussi avec lui.

Ainsi se termina mon audience. Aujourd'hui je me suis rendu chez le général de Moltke. Il m'a confirmé les mêmes dispositions ci-dessus exposées; il m'a confirmé en secret que les deux corps de l'armée du Rhin, à commencer du 27 courant, seraient transportés par chemins de fer sur la frontière de Saxe, et que, le 3 juin, tous les nouveaux corps d'armée seraient sur la frontière, et que le dernier fourgon serait à son poste; il m'a expliqué que sept des nouveaux corps d'armée pourraient, selon les diverses hypothèses, se concentrer en face de l'armée de Benedeck, soit qu'elle envahît la Saxe, soit qu'elle voulût pénétrer par la Lusace (Bautzen-Gorlitz). Mais quant aux deux corps d'armée de la Haute-Silésie, il n'était presque plus temps de les rapprocher du gros de l'armée, et il n'était pas non plus possible d'abandonner la Silésie aux attaques de l'Autriche. Ces corps seraient utiles de ce côté pour faire une diversion. Le général de Moltke a confiance dans le succès de la première bataille, qui sera décisive, et il compte avoir la supériorité numérique sur le champ de bataille. J'espère que ces prévisions se réaliseront, et je le crois possible. Mais il y a un danger, c'est que, tandis que les Prussiens hésitent entre la défensive et l'offensive, une vigoureuse offensive de la part de l'Autriche à travers la Lusace, par exemple, déconcerte jusqu'à un certain point, les prévisions de l'adversaire et entrave sa concentration, et que l'armée prussienne doive livrer bataille avec l'apparence d'avoir déjà subi un échec : ce que serait, par exemple, la séparation du corps de la Haute-Silésie du reste de l'armée; et qu'une concentration des autres sept corps doive s'opérer en avant au lieu de s'opérer en arrière. Pour toutes

ces raisons, j'ai insisté en disant qu'il serait préférable, à mon avis, plutôt que d'attendre, de se décider pour l'offensive à travers la Lusace, quoi que fissent les Autrichiens, et de se concentrer en conséquence,

L'impression qui m'est restée de la conversation que j'ai eue avec le général de Molike, c'est qu'il a confiance dans le succès, et croit qu'au 1er juin (quels que soient les retards que puisse apporter la proposition du Congrès), on devra en venir aux mains, attendu qu'il n'est pas possible de prolonger une situation aussi formidablement armée que celle qui aura lieu à partir du 4 juin suivant.

Tel est l'état actuel des choses. Par malheur, l'esprit public en Prusse ne s'est pas révélé d'une manière sensible, pas même en face d'une situation si décisive et si importante pour le pays.

Quant à l'armée, je crois que le Roi en prendra le commandement et ne tardera pas à lancer une proclamation qui en raffermira l'esprit et le dévouement.

Signé: GOVONE.

No 149

LE CHEVALIER NIGRA AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Télégramme.

Paris, le 23 mai 1866.

Je suis convaincu que l'Autriche en se présentant au Congrès a l'intention d'exclure la question vénitienne en s'appuyant sur l'exécution du Traité de Zurich. J'ai aussi quelques doutes sur l'attitude de la Russie.

Mais je vous réponds des intentions de l'Empereur, qui sont bien décidément dans le sens de la cession de la Vénétie.

Signé NIGRA.

No 150

LE COMTE DE LAUNAY AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Saint-Pétersbourg, le 23 mai 1365,

Relativement au formulaire de convocation, la Russie désire une

modification de rédaction pour faciliter l'entrée de l'Autriche au Congrès. Ainsi les mots « question de la Vénétie » seraient remplacés par « différend austro-italien »>.

Elle décline comme l'Angleterre la garantie du pouvoir temporel du Saint-Père.

Donc, en principe, elle accepte le Congrès. Cependant, le prince Gortschakoff donnera seulement demain réponse définitive aux ambassadeurs d'Angleterre et de France.

Quant au prince de Hohenzollern, le cabinet russe est très-contrarié, mais semble vouloir attendre quelle sera l'attitude de la Conférence, sauf à aviser si les autres puissances tolèrent cette grave infraction au Traité, où il soupçonne le doigt de la France.

Signé: LAUNAY.

No 151

LE COMTE DE BARRAL AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 23 mai 1866.

Le roi de Prusse a dit hier soir à un de ses intimes qu'il ne croyait pas à la réussite du Congrès, et que les difficultés faites par l'Autriche. pour l'acceptation de ses bases n'avaient pour but que de se donner le temps de compléter ses armements.

Sa Majesté est très-émotionnée de la situation, dont elle parlait avec de grosses larmes aux yeux.

L'ambassadeur de France m'a dit aujourd'hui en confidence que la grande préoccupation de l'empereur Napoléon dans toute cette affaire n'était que de vider la question de Venise, et qu'il ne voyait point d'intérêt pour la France de terminer les querelles des deux grandes puis- · sances allemandes.

Aucune communication officielle n'a encore été faite ici pour la ccnvocation du Congrès.

Signé BARRAL.

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