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était de répondre aux télégrammes que Votre Excellence m'a expédiés dans les deux derniers jours, et par lesquels Elle me demandait la manière de voir de l'Empereur.

Voici ce que j'ai recueilli soit de la bouche de l'Empereur, soit par d'autres moyens :

Quand l'Autriche a envoyé la réponse à l'invitation au Congrès, elle l'a accompagnée d'instructions dont je vous ai envoyé la teneur par une dépêche d'office. Dans ces instructions, l'Autriche laissait entrevoir la possibilité de la cession de la Vénétie, quand elle aurait fait des conquêtes sûres et équivalentes en Allemagne.

L'Empereur a pris occasion de cette phrase pour faire quelques propositions à l'Autriche, et il en a chargé le duc de Gramont, qui se trouvait en congé à Paris et qui est parti d'ici pour Vienne ces jours passés. Votre Excellence se rappellera qu'il y a sept semaines ou à peu près l'Autriche avait proposé de céder la Vénétie à la France, quand elle se serait emparé de....., à condition que l'empereur Napoléon garantit la neutralité de la France et de l'Italie.

L'empereur Napoléon n'a pas accepté la proposition, parce qu'alors il ne pouvait garantir la neutralité de l'Italie.

Par contre, aujourd'hui, reprenant lui-même pour son compte la proposition autrichienne, il a chargé Gramont de demander à Vienne : 1° Que l'Autriche promette de céder la Vénétie, si elle est victorieuse et conquérante en Allemagne;

2o Que l'Autriche promette, en tout cas, de respecter le statu quo territorial en Italie.

Si l'Autriche faisait ces promesses, l'Empereur resterait neutre.

La réponse du cabinet de Vienne est arrivée. Je crois ne pas me tromper en affirmant que l'Autriche a promis sans réserve le maintien du statu quo en Italie, qui est la seconde des deux demandes à elles faites. Quant à la première demande, la réponse n'a pas été négative; nais elle n'a pas été non plus explicitement affirmative, puisque l'Autriche aurait dit qu'à cet égard elle ne ferait rien sans consulter l'empereur Napoléon.

Quand ce dernier a eu une telle réponse, il a pensé que c'était suffisant pour promettre la neutralité, et il l'a promise.

L'Empereur m'a dit que le roi de Prusse avait donné à l'empereur d'Autriche l'assurance d'honneur qu'il n'avait signé aucun traité avec l'Italie, et que, si l'Italie attaquait l'Autriche la première, la Prusse n'était pas obligée à déclarer la guerre.

A cette question, j'ai demandé à l'Empereur si, à la dernière extrémité, et quand il serait bien démontré qu'il n'y a pas d'autre moyen d'engager la lutte, il ne croyait pas utile et peut-être nécessaire que

l'Italie prît l'initiative, à condition, bien entendu, qu'elle eût la promesse formelle de la Prusse de la suivre le jour d'après.

L'Empereur à répandu sans hésiter que jamais il n'aurait conseillé pareille chose. Du reste, pendant que j'étais justement chez l'Empereur, est arrivée la nouvelle que l'Autriche rappelle son ambassadeur de Berlin.

L'Empereur croit que cela fait présager l'imminence des hostilités; ensuite il croit plus que jamais que nous commettrions une grave erreur en prenant la responsabilité de l'initiative des hostilités.

L'Empereur m'a dit une parole qui m'a ouvert un vaste horizon. Il a dit que pendant la campagne il pourrait advenir qu'il fût utile que l'Italie ne fit pas la guerre avec trop de vigueur; mais j'ai dit à l'Empereur que nous commencerions la guerre avec une grande énergie, que nous ignorions les assurances données par l'Autriche à la France. Et que, si pendant la guerre on faisait des propositions, alors ce serait le cas d'examiner la conduite à tenir.

Signé: NIGRA.

No 226

LE COMTE D'USEDOM AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Florence, le 12 juin 1866.

Par un télégramme arrivé cette nuit, le comte de Bismarck me fait savoir qu'il s'attend à un commencement des hostilités dans peu de jours.

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Par rapport à l'affaire hongroise .. le comte de Bismarck m'ordonne en ce moment même de communiquer à Votre Excellence, que le gouvernement est prêt à fournir une moitié des fonds nécessaires à l'affaire hongroise et slave, si le gouvernement italien veut se charger de l'autre.

On aurait besoin :

1o D'un million de francs pour le prime-abord et les préparatifs; 2o De deux millions pour le moment d'une entrée en campagne effective de la part des populations en question.

Ce serait donc pour chaque gouvernement respectif un million et demi.

Le comte de Bismarck, dans le cas que la proposition fût acceptée

de la part du gouvernement italien, pour venir en aide à une entreprise d'un intérêt commun aux deux pays, ne sait pourtant comment faire parvenir avec la célérité nécessaire ces sommes à leur destination. Il serait fort obligé à Votre Excellence si Elle voulait faire faire l'avance de la moitié prussienne par le Trésor italien, et je suis autorisé dans ce cas de donner promesse officielle du remboursement par mon gouver

nement.

Comme il y a dans le Quadrilatère tant de régiments croates, je crois qu'il importerait beaucoup si on pouvait faire éclater le plus tôt possible un mouvement de l'autre côté de l'Adriatique.

Signé: USEDOM.

No 227

LE GÉNÉRAL KLAPKA AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Bruxelles, le 10 mai 1866.

Général, nous nous approchons au moment suprême qui décidera de de l'avenir de l'Italie aussi bien que de l'existence de la Hongrie.

Je mets mes services à la disposition de Sa Majesté le Roi, et serais heureux s'il m'était permis de contribuer dans la faible mesure de mes forces à la réalisation du grand but que se propose l'Italie en ce

moment.

Le comte C*** vient de me prévenir des démarches qu'il a faites auprès de Votre Excellence afin de mettre en accord le travail et les préparatifs du Comité national de Pesth avec les plans et projets du gouvernement italien.

En effet, c'est de ce noyau-là que doit partir en Hongrie le signal de lalutte; c'est ce noyau patriotique qui, avec ses nombreuses ramifications dans le pays, avec l'organisation de 1863 et 1864 toute faite, ou très-facile à refaire, doit conserver entre ses mains la direction. Sans lui, sans sa participation directe toute levée de boucliers échouerait infailliblement.

Pour entraîner la Hongrie, pour la convaincre de la nécessité d'une lutte suprême, je me permettrais donc de prier Votre Excellence de ne rien négliger pour se mettre parfaitement d'accord avec le Comité national de Pesth, en sanctionnant la Convention qui en principe fut déjà acceptée par le gouvernement italien, et qui seule paraît offrir aux

chefs du parti national en Hongrie la garantie suffisante pour exposer, avec une conscience pure et nette, l'avenir de leur patrie au sort des

armes.

Le temps presse. Plus tôt Votre Excellence s'entendra avec le représentant du comité de Pesth, plus tôt il y aura à espérer de trouver toute la Hongrie prête entrer en lice pour seconder vos efforts en Italie.

Nous avons encore nos armes dans les Principautés. Précieux avantage que nous n'avions pas en 1859.

J'ai rempli mon devoir de patriote en attirant l'attention de Votre Excellence sur toutes ces questions, et je serais heureux si j'étais bientôt appelé à remplir mes devoirs de soldat sur le champ de bataille.

Je prie Votre Excellence d'agréer l'expression de mon entier et res pectueux dévouement.

N 228

Signé: G. KLAPKA.

M. LOUIS KOSSUTH AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

La Hongrie, par sa position géographique, par l'étendue et la fertilité de son territoire, par le nombre et le caractère guerrier de sa population et par le contingent qu'elle fournit en conséquence à l'armée autrichienne, constitue le pivot de la puissance de la maison d'Autriche.

L'Autriche peut perdre cent batailles, elle peut perdre Vienne et tout les pays mêmes que l'on appelle ses provinces héréditaires: elle ne se donne jamais pour vaincue tant que la Hongrie lui reste.

La Hongrie est à l'Autriche ce que la terre était au géant Antée : une source intarissable du renouvellement de ses forces.

Les vingt-cinq ans de guerre du premier Empire l'ont prouvé: aussi cette vérité n'a jamais échappé à aucune puissance qui se trouvait en guerre avec l'Autriche.

Napoléon Ier lui-même, quoique vainqueur de cinq coalitions, à l'apogée de sa fortune, avec Vienne dans ses mains, s'en est souvenu et adressa sa fameuse proclamation à la nation hongroise. La Hongrie

d'alors n'était pas encore la Hongrie d'aujourd'hui. Loyale jusqu'au suicide, se fiant encore à la reconnaissance de la maison d'Autriche qu'elle avait déjà tant de fois sauvée, elle ne répondit pas à l'appel du vainqueur du monde. Napoléon, après ce refus, arracha à l'Autriche la Styrie, la Carinthie, la Carniole, le Frioul, la Dalmatie et Cattaro; mais il laissa aux Habsbourgs la possession de la Hongrie. Avec cette Hongrie à sa disposition, l'Autriche s'est relevée de sa chute, et Napoléon mourut à Sainte-Hélène.

C'est un terrible enseignement pour quiconque fait la guerre à l'Autriche.

Napoléon III n'a pas manqué de se le rappeler en 1859. Avant de s'engager dans la guerre d'Italie, il m'a appelé à Paris du fond de mon exil, pour s'entendre avec moi, et pour s'assurer par mon entremise du concours éventuel de la Hongrie. Même après avoir vaincu à Magenta et à Solferino, il me dit à Valeggio les mots suivants : « Si l'Autriche n'accepte pas la paix, j'aurais besoin de votre concours : hâtez vos préparatifs! » L'Autriche a accepté la paix, et par quel motif l'a-t-elle acceptée? Parce qu'elle craignait la dissolution que la levée du drapeau de l'indépendance de la Hongrie aurait jetée dans son armée; parce qu'elle savait que si elle ne se résigne pas à céder la Lombardie, les flots de la guerre soulèveront la Hongrie, et alors elle se savait perdue.

Sans cette crainte, malgré Solferino, on n'aurait pas entendu parler ni de Villafranca ni de Zurich. Ah! car l'Autriche, elle, le sait bien ce que lui vaut la Hongrie. Cette Autriche qui, avec la Hongrie pour son appui, est sortie plus puissante que jamais du terrible orage des guerres du premier Empire; cette Autriche qui, disposant encore de la Hongrie, a su se relever de sa chute à Solferino au point d'oser provoquer aujourd'hui la Prusse et l'Italie réunies contre elle; cette Autriche qui, non-seulement les ose provoquer, mais quand l'Europe entière s'apprête à lui parler de la cession de la Vénétie, elle répond en mettant l'Italie en demeure de renoncer à ce qu'elle a déjà accompli. Cette Autriche si fière, si arrogante, n'a su résister à la Hongrie, seule, en 1849 !

Nous étions sans soldats, sans armes, sans argent, abandonnés par tout le monde, n'ayant rien à notre appui que notre bon droit, la justice de notre cause, et le sentiment de notre devoir envers notre patrie, quand l'Autriche, déjà victorieuse de l'Italie, nous attaqua à l'improviste avec toutes ses forces. Nous n'étions pas, nous ne sommes pas révolutionnaires, mais nous sommes une nation qui veut vivre en nation, parce que nous en avons le droit, et nous nous en sentons la force. Il fallait ou se laisser effacer d'entre les nations vivantes ou

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