Page images
PDF
EPUB

résister à l'injuste attaque. A mon appel, ma nation s'est décidée à se sauver par la résistance, et, dans cette épreuve suprême, elle confia son sort à mes mains. Aidé par le patriotisme et le caractère guerrier du peuple hongrois, deux mois suffirent pour organiser, habiller, armer une armée de 200,000 hommes, qui non-seulement battit les vieilles troupes de l'empereur d'Autriche en vingt batailles rangées, mais encore a, dans une seule campagne, écrasé sa puissance à tel point, qu'elle ne put se sauver autrement qu'en appelant 200 mille Russes à son secours, et même ce secours ne l'aurait pas sauvée sans la trahison d'un de mes généraux; car il est aujourd'hui historiquement avéré, et reconnu même officiellement par l'Autriche, que le prince Paskéwich, commandant en chef de l'armée russe, avait déjà tout disposé pour sa retraite générale sur sa base d'opérations en -Gallicie, quand Gorgey, gagné par la diplomatie russe, nous a trahis.

Telle est, monsieur le Président du Conseil, d'importance de la Hongrie pour l'Autriche. Avec la Hongrie, l'Autriche a des chances pour la victoire contre beaucoup d'ennemis. Contre la Hongrie, elle ne peut pas même tenir une seule campagne; car c'est la Hongrie qui fait sa force cette force ôtée à l'Autriche, elle reste impuissante; cette force tournée contre elle, elle est perdue.

Ces considérations déjà graves par elles-mêmes acquièrent un poids additionnel par leur rapport à l'Italie, un poids dont la gravité ne saurait être exagérée. Bien que la campagne de 1796 en Italie ait été la plus glorieuse et la plus heureuse de toutes celles de Napoléon, à quoi aboutissaient toutes ses batailles gagnées, le Quadrilatère pris et tant d'armées autrichiennes détruites? A la paix de Campo-Formio, par laquelle l'Autriche vaincue acquit la Vénétie.

C'est que l'Italie est un champ de bataille où on peut battre l'Autriche, mais on ne saurait la vaincre; cent fois battue, elle revient cent fois à la charge, si on la laisse disposer de la Hongrie. Elle ne peut être vaincue qu'en Hongrie et par la Hongrie.

Le général prussien Radovicz disait : « On défend le Rhin sur le Pô. Po. » Les Allemands d'aujourd'hui disent: « On défend le Danube allemand sur le Pô. » Moi je dis :'« Ce n'est que sur la Theiss et sur le Danube hongrois qu'on peut assurer et qu'on peut stratégiquement compléter les victoires tactiques qu'on remporte sur le Pô, et même ces victoires tactiques ne sont pas certaines si le Pô n'est pas aidé par la Theiss. »

Ces considérations ont été parfaitement appréciées par le tant regretté comte de Cavour. L'idée de laquelle il ne s'est départi en nulle circonstance jusqu'à sa mort. L'idée fondamentale de sa politique était que si on se décidait à faire la guerre à l'Autriche, soit pour

compléter, soit pour consolider la régénération de l'Italie, il était nonseulement utile, mais absolument indispensable de faire tout le possible pour s'assurer le concours de la nation hongroise. Il agissait sur cette idée en 1859. C'est avec cette idée qu'il s'apprêta à faire la guerre à l'Autriche, aussitôt que les affaires de l'Italie méridionale le permettraient. Il avait coutume de dire : « Les forces qui me manquent en Italie, je les trouverai en Hongrie. » Il espérait pouvoir le faire déjà en 1861, et c'est dans cet espoir qu'il m'appela dès 1860 en Italie; c'est dans cet espoir qu'il s'est concerté avec moi, qu'il arrêta de concert avec moi le plan d'action et qu'il a mis la main avec la plus grande énergie à en préparer l'exécution. M. C*** le sait, et l'accord formel qui se trouve dans les archives secrètes de l'Etat l'atteste; l'accord dont luimême, par une lettre que j'ai dans mes mains, m'a annoncé l'approbation par le conseil des ministres, et dont Sa Majesté le Roi m'a fait l'honneur de me signifier personnellement la sanction.

[ocr errors]

Cette politique, le comte de Cavour l'a léguée à ses successeurs dans la présidence du Conseil. Messieurs . . . . y ont toujours adhéré. La guerre a beaucoup tardé à venir, elle a tardé au risque de laisser la Hongrie se fatiguer dans l'attente et se perdre par une transaction. Heureusement, l'obstination avec laquelle l'Autriche a persisté à lui refuser ses droits les plus élémentaires, a sauvé la Hongrie de ce danger. Aujourd'hui déjà nul homme sérieux en Hongrie ne croit plus à la possibilité d'une transaction, pas même M. Deak n'y croit plus. La nation entière est profondément convaincue qu'une Hongrie autonome et nationale et l'Empire autrichien ne peuvent exister ensemble sous un même souverain: ou la Hongrie devrait absorber l'Autriche, c'est ce que la dynastie ne peut accorder, ou la Hongrie devrait être absorbée par l'Autriche, c'est à quoi la Hongrie ne pourrait jamais consentir, car en y consentant elle se suiciderait.

Nous, Hongrois, nous ne sommes pas des révolutionnaires, monsieur le Ministre. Les idées fougueuses, les théories impétueuses des soidisant régénérateurs du siècle n'ont aucune prise sur nos sentiments ni sur nos esprits; nous ne sommes ni novateurs, ni démagogues; ardemment attachés aux traditions historiques de nos pères, sincèrement monarchiques par conviction et par notre caractère historique, nous aimons l'ordre et la tranquillité; parmi toutes les nations de l'Europe, nous sommes (j'ose le dire) la nation la plus loyale et la plus longanime dans sa loyauté; dans le cours de trois cent cinquante ans, nos aïeux, nos pères, et nous-mêmes, moi en particulier, à qui l'étrange concours des circonstances fit venir pendant un moment le sort de la maison de Habsbourg dans le creux de ma main, nous avons épuisé tous les moyens imaginables pour arriver à un accord équitable avec

la dynastie autrichienne. Cent fois trompés, cent fois payés pour notre loyauté par l'ingratitude la plus noire, nous sommes cent fois revenus à l'épreuve; mais enfin nous nous sommes vus forcés, par l'inutilité de nos efforts de trois cent cinquante ans, à reconnaître que si nous voulons rester nation, nous sommes contraints, absolument contraints à nous émanciper de la domination autrichienne, car il y a une contradiction historique, logique, irréconciliable, entre nous et la maison d'Autriche.

Non! nous ne sommes pas révolutionnaires; mais nous voulons vivre, nous voulons être nation, nous ne voulons pas déchoir à la position d'une province allemande de l'Empire polyglotte autrichien. Venise aussi veut se soustraire à la domination autrichienne; estelle révolutionnaire pour cela? Non! Elle veut vivre de sa vie nationale : elle veut que l'Italie soit aux Italiens. Nous voulons nous aussi que la Hongrie vive de sa vie nationale, qu'elle soit Hongrie, nation et non province autrichienne.

C'est ce sentiment, dont le cœur de tant de Hongrois est plein, qui vous assure, monsieur le Général, le concours dévoué de la Hongrie; ce concours vous est assuré aujourd'hui avec plus de certitude que jamais, car c'est précisément en ce moment que la Hongrie voit échouer la dernière tentative de conciliation, que par un excès de loyauté elle a offerte à la maison d'Autriche. Pourquoi ne pas profiter de ce sentiment? Pourquoi ne pas vous assurer un surcroît de forces qui convertirait la probabilité de votre victoire en certitude?

Loin de moi la pensée de méconnaître les puissantes ressources dont vous disposez. Je sais tout ce qu'une armée comme celle de l'Italie peut valoir avec un Roi comme le vôtre, et un capitaine comme vous pour chef, et soutenue par l'admirable patriotisme de la nation; mais vous êtes trop prévoyant pour méconnaitre la force de l'ennemi.

Dans l'armée autrichienne, parmi les 80 régiments (de quatre bataillons chacun) d'infanterie de ligne, il y a 33 régiments exclusivement hongrois (sans compter les Croates et les Esclavons). Parmi les 42 régiments de cavalerie autrichienne, il y a 14 régiments hongrois purs. C'est une force formidable de 160 à 170,000 hommes en troupes bien aguerries.

Les ôter à l'ennemi et les ajouter à vos forces fait une différence de 340,000 hommes, et encore cette force n'est que celle de l'armée : la nation peut, elle aussi, en fournir autant. Quelle autre alliance pourrait donc vous assurer un si puissant concours? La France elle-même n'a pu donner à l'Italie en 1859 que 200,000 hommes, et ceci est bien évident, car ailleurs vous ne pourriez trouver qu'une armée, tandis qu'en nous vous trouvez non-seulement une armée, mais encore toute

une nation de soldats. Or, si on n'essaye pas de décider ces régiments hongrois à se battre pour l'Italie, ils se battront contre l'Italie; c'est la nécessité de la situatiou. Vous pouvez les vaincre, soit; mais combien de sang italien épargné! et quelles chances de victoire assurée si la Hongrie, au lieu de devoir se battre contre l'Italie, apporte son concours à l'Italie ! Je me rappelle avec admiration vos nobles paroles à la tribune, qui me prouvèrent combien vous tenez à épargner autant que possible le sang italien.

Je suis en conscience convaincu, monsieur le Général, qu'une entente avec la Hongrie est encore plus fortement recommandée par les circonstances actuelles qu'elle ne l'était autrefois. La Prusse, sans doute, est une puissante alliée; mais je me permets de vous faire remarquer que son alliance jette presque la totalité de la Confédération-Germanique dans la balance du côté de l'Autriche. C'est grave! extrêmement grave!

D'ailleurs, sous le point de vue stratégique, l'importance de la Hongrie sera non moins immense, précisément dans cette guerre. Les armées de l'Italie seront toujours séparées par toute l'étendue de l'empire autrichien. Quoiqu'on puisse s'entendre sur l'ensemble du plan de campagne, on ne pourra jamais combiner la suite des opérations sujettes à l'influence modificatrice de l'action de l'ennemi; moins encore pourront les deux armées se trouver réunies sur un champ de bataille.

L'Autriche, au contraire, placée au milieu, agira évidemment sur le plan de rester sur la défensive contre l'Italie jusqu'à ce qu'elle aura porté quelque grand coup à la Prusse, et alors elle jettera des masses imposantes sur l'Italie d'un bout de son empire à l'autre.

Elle pourra le faire aisément et en peu de jours à l'aide de ses chemins de fer, si elle se sent rassurée du côté de la Hongrie.

Car c'est la Hongrie qui, par sa situation géographique, est appelée à lui servir de base; c'est là que déjà elle a établi ses dépôts, ses magasins; c'est la Hongrie qui lui servira de pivot dans ses grandes conversions stratégiques.

Menaçons-la dans la base, enlevons-lui son pivot, coupons-lui ses lignes de communication, isolons ses deux ailes, et, attaquée par l'Italie sur sa gauche, par la Prusse sur sa droite, par la Hongrie dans sa base, dans son cœur même, elle sera perdue.

Croyez-moi, monsieur le Général, entendons-nous. Je ne demande pas à Votre Excellence des faveurs; tout ce que je vous demande est un examen impartial de la situation. Je vous demande les moyens de ranger la Hongrie du côté de votre patrie. Aide pour aide, secours pour secours, intérêt pour intérêt.

Si, par hasard, le bruit des petites misères de la vie des émigrés avec ses petites dissensions était arrivé jusqu'à vous, je vous supplie de ne point l'honorer de votre attention; ces petitesses s'effacent devant la gravité des intérêts: elles se sont déjà effacées devant la gravité de l'action. Ordonnez, et je m'empresserai de me rendre à Florence, et nous nous entendrons, j'en suis certain, à l'avantage de nos deux pays. Veuillez agréer, monsieur le Président du Conseil des ministres, les hommages respectueux de votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Signé: LOUIS KOSSUTH,

Ancien Gouverneur de la Hongrie.

No 229

M. OLDOINI AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Munich, le 12 juin 1866.

Pfordten m'a dit que la situation est devenue tellement lourde qu'il faut en sortir.

Bavière votera jeudi à Francfort pour la mobilisation de l'armée fédérale.....

Pfordten m'a répété qu'en cas d'attaque quelconque du territoire fédéral de notre part, il n'y a pas besoin de délibération de la Diète, mais simplement d'application du principe de la défense de la Confédération.

En sortant du ministère, les ministres de Prusse et de France m'ont dit, le premier: C'est la guerre, et il ne s'agit plus que de choisir heure, et le second sans s'expliquer: N'avoir plus de doute sur la décision sérieuse de la Bavière.

Signé OLDOINI.

« PreviousContinue »