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rain-Pontife un pouvoir très-limité, c'est-à-dire plus limité que les possessions actuelles, quoique réellement indépendant.

Tout cela ne représente encore que des intentions et des dispositions d'esprit. Ces ouvertures n'ont, jusqu'à présent, aucun caractère officiel; on ne peut encore les considérer comme des propositions. Cependant, même sous cette forme, elles ont un tel degré de probabilité et de gravité qu'elles méritent d'être examinées et posées par le gouvernement du Roi.

C'est à vous qu'il appartient, monsieur le général, de réfléchir à tout cela, et de voir si l'heure n'est pas venue d'entrer dans une voie nouvelle ayant bien ses embarras, mais qui possède l'avantage d'être ouverte et de s'avancer vers un but très-clair, bien défini, de toute évidence, d'une issue certaine, autant du moins que les calculs humains peuvent présenter de sécurité.

J'ajouterai que ce plan ne peut être exécuté, à mon jugement, que par le ministre actuel. Il a l'autorité nécessaire pour le faire admettre par l'opinion publique du pays.

Le plan, dont il est question ci-dessus, doit, pour avoir une raison d'exister, être suivi d'un fait intérieur grave. Je sais que je touche un point délicat pour tous et spécialement pour Votre Excellence. Mais je sais que je peux et dois tout vous dire. Vous tiendrez de mon opinion tel compte que vous jugerez utile. Le fait dont je parle est le désarmement. Je crois que si nous entrons dans une voie de rapprochement avec l'Autriche (rapprochement qui peut amener les traités dont vous me parlez dans votre lettre), il n'y aura pas besoin de songer à faire la guerre. Ce serait alors une illusion que de penser à une conflagration européenne. Elle n'aura pas lieu, autant qu'il est possible de faire des conjectures. L'idée de la guerre écartée, et en adoptant le système de la reconnaissance de la part de l'Autriche, et celui de mettre, à tout prix, de l'ordre dans nos finances et dans l'administration, l'idée du désarmement se présente d'elle-même. Je n'ajoute rien sur un sujet sur lequel Votre Excellence est beaucoup plus compétente que moi. Il suffit que je l'aie indiqué. Si vous le jugez à propos, vous me communiquerez votre avis, afin qu'à l'occasion j'aie une direction qui me guide, et il est probable qu'il portera sur ce dernier point. Quant à ce que M. Drouyn de Lhuys m'a dit et ce que j'ai pu apprendre d'un autre côté, cela n'a trait qu'à la reconnaissance de l'Italie par l'Autriche et par l'Espagne, et nullement à la question du désarmement, sur laquelle personne ne m'a dit le moindre mot.

Signé: NIGRA.

No 7

LE GÉNÉRAL DE LA MARMORA AU CHEVALIER NIGRA, A PARIS

Turin, le 22 novembre 1864.

Les questions sur lesquelles Votre Excellence appelle toute mon attention, dans sa lettre du 19, sont assez graves. Tellement graves qu'avant d'en référer à mes collègues, j'ai l'intention de bien réfléchir moi-même. Personne ne peut douter que la reconnaissance du royaume d'Italie par l'Autriche ne soit un grand fait, en tant qu'il porterait un coup mortel à tous les Princes dépossédés qui ne peuvent plus espérer que dans les secours de l'Autriche.

A mon avis, cette reconnaissance suffirait pour classer l'Italie au nombre des grandes puissances européennes.

Ces avantages et d'autres sont incontestables.

Mais, si nous ne trouvons pas un moyen de laisser au moins comprendre que la reconnaissance de l'Autriche nous peut amener à la cession de la Vénétie, je ne sais comment on pourra faire accep

ter.

Signé: LA MARMORA.

No 8

LE CHEVALIER NIGRA AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Paris, le 26 novembre 1864.

Selon M. Drouyn de Lhuys (et selon moi aussi), l'Autriche se refusera à toute proposition de cession de la Vénétie contre une compensation en argent. M. Drouyn de Lhuys n'admet pas le moindre doute pour le moment, mais il croit qu'à l'avenir on pourra vaincre la répugnance de l'Autriche si, au lieu d'argent, on lui propose un échange de territoire.

....

No 9

LE GÉNÉRAL DE LA MARMORA AU CHEVALIER NIGRA, A PARIS

Florence, le 4 août 1865.

Après le départ de Votre Excellence de Florence, le ministre de Prusse est venu deux fois chez moi. Il ne m'a pas lu de notes diplomatiques, je ne crois pas qu'il en eût reçu; mais, avec des télégrammes à la main de son premier ministre Bismarck, il m'a demandé la première fois, en insistant davantage la seconde fois, de déclarer quelle serait l'attitude de l'Italie dans le cas probable d'une guerre entre la Prusse et l'Autriche.

Comme Son Excellence peut se l'imaginer, j'ai reçu ces communications avec la plus grande réserve, et, avant de montrer la satisfaction que me faisait éprouver intérieurement un événement aussi favorable à nos destinées, j'ai soulevé des doutes et des difficultés, assurément non dénuées de fondement, mais principalement dans le but de gagner du temps.

Si le gouvernement prussien (ai-je dit au ministre d'Usedom) a sérieusement l'intention de faire la guerre à l'Autriche, qu'elle nous fasse une proposition sérieuse et formelle, et nous l'examinerons; mais s'il s'agit seulement d'une déclaration de notre part pour exercer une pression diplomatique en faveur de la Prusse, cela ne nous convient pas.

Comme, en réponse à mes observations précédentes, le ministre d'Usedom en est venu, lors de sa seconde visite, à me répéter que la Prusse était décidée à faire la guerre à l'Autriche, je lui ai déclaré positivement que nous ne pouvions prendre d'engagement sans connaître quelles seront les intentions de l'empereur des Français, et je n'ai pas hésité à lui suggérer que le gouvernement prussien en fit

autant.

« Vous comprenez, ai-je répliqué à d'Usedom, de quelle importance il est pour nous, et même pour vous, de savoir si la France sera favorable ou contraire à cette guerre. »

J'ai répété à plusieurs reprises au ministre prussien que nous devions mettre beaucoup de prudence à nous engager dans une nouvelle guerre avec l'Autriche, d'autant plus que nous sommes persuadés que ce sera une guerre à outrance. L'Autriche cherchera naturellement à détruire l'Italie, et nous, nous ne pourrons remettre l'épée au

fourreau jusqu'à ce que l'Autriche n'ait plus un soldat en Italie.

C'est pourquoi, avant de nous engager avec la Prusse, nous ne devons pas non plus exclure la supposition que l'Autriche, voyant de loin la tempête qui menace de fondre sur elle, et dans l'impossibilité de courir les risques d'une longue guerre à cause de l'état désespéré de ses finances et de la confusion politique dans laquelle elle se trouve, se résolve en définitive à faire le sacrifice de la Vénétie.

Votre Excellence aura remarqué que tous les journaux allemands en parlent; et ne voyant pas démentir ces nouvelles, je commence à croire moi-même que quelque chose se traite entre Vienne et Paris. Tenez-vous bien sur vos gardes, parce que ce pourrait être encore un jeu du gouvernement autrichien. Pour sortir des difficultés présentes, personne n'est mieux que Votre Excellence en position de juger de la chose.

Pour mieux aiguillonner l'esprit belliqueux et l'amour-propre des Prussiens, j'ai dit à d'Usedom que personne ne prenait au sérieux les menaces de la Prusse, et l'Autriche peut-être moins que les autres puisqu'elle désarmait précisément en ce moment.

J'ai ensuite déclaré au baron Malaret à plusieurs reprises, pour que le gouvernement français en soit bien informé, que, à quelque moment que la guerre entre la Prusse et l'Autriche vienne réellement à éclater, il était impossible que l'Italie n'y prit point part. Aucun gouvernement ne pourra l'empêcher.

Signé: LA MARMORA.

No 10

LE CHEVALIER NIGRA AU GÉNÉRAL LA MARMORA.

Paris, le 8 août 1865,

Le courrier m'a apporté votre lettre du 4, dans laquelle vous me parlez de choses très-graves.

Je ne pourrai y répondre que dans quelques jours, parce que l'Empereur est absent, et que M. Drouyn de Lhuys ne retournera pas à Paris avant le 13 ou le 14.

En attendant, je profite de l'occasion, pour vous communiquer mes impressions,

La rupture entre les deux grandes puissances allemandes est pour nous un des événements les plus heureux et des plus souhaitables que la fortune de l'Italie puisse faire naître, parce qu'il nous donne le moyen d'avoir la Vénétie, et de l'avoir sans le secours de la France. Mais quoique cette éventualité soit possible, elle est bien loin d'avoir le caractère de certitude nécesaire pour que nous puissions prendre un engagement positif et immédiat.

Au moment où je vous écris, la convention de Gastein est encore possible; je le sais d'une manière positive. J'espère que l'entrevue n'aura pas lieu, et que, si elle a lieu, elle n'aboutira à rien; mais cependant il est possible qu'elle ait lieu. Donc, vous avez agi très-prudemment, en révoquant en doute, dans votre entretien avec d'Usedom, la probabilité d'une rupture entre l'Autriche et la Prusse, et en faisant sentir au ministre de Prusse que vous prendriez en considération une proposition sérieuse dans le cas d'une guerre véritable et sérieuse, mais que le gouvernement italien ne servirait pas d'épouvantail à l'Autriche dans les mains de M. de Bismarck. Mais la Prusse craint que lorsque le moment sera venu, la France ne fasse connaître son veto à l'Italie. A mon avis, il faut ôter cette idée fausse de l'esprit des hommes d'État prussiens. La France peut nous donner des conseils amicaux, comme on s'en donne entre puissances alliées (1), mais la France ne veut ni ne peut nous signifier aucun veto, et quant à nous, nous ne saurions nous y soumettre.

1o Il ne croyait pas à une entente à Gastein, quand même l'entrevue aurait lieu.

Si cela se vérifie (disait le ministre Nigra) et nous le saurons après que l'entrevue aura ou n'aura pas eu lieu, il conviendra d'attendre ou de faire naître d'autres occasions.

2o Que l'Autriche ne se résoudra jamais à céder la Vénétie tant que que l'Empereur actuel vivra, à moins d'y être forcée par les armes. 3o Qu'aucun ministère en Prusse ne peut céder un pouce de territoire allemand.

4° Que l'empereur Napoléon a cessé d'ambitionner le Rhin. Cependant une promesse formelle de rectifier la frontière rhénane peut l'engager à faire la guerre dont il a horreur au moment présent.

5o Que la seule solution possible était une alliance italo-prussienne avec la neutralité française, qui amènerait nécessairement la neutralité de l'Angleterre et de la Russie.

(1) La lettre dit alliées, mais elle veut dire amies, parce qu'a'ors nous n'avions d'alliance avec personne. Note du général de La Marmora.

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