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Mais la Serbie n'a pas seulement un intérêt naturel dans le déve-* loppement de ses relations par le Danube; elle a aussi des droits qu'elle doit défendre avec la même énergie qu'elle aspire à progresser moralement et matériellement. Or, j'ai regret à dire, mais en même temps je m'efforcerai de démontrer que la décision de la question des Portes de Fer par la Conférence serait contraire à un droit naturel et à un droit acquis de la Serbie.

J'ai dit à un droit naturel, car, les Portes de Fer étant situées sur la côte serbe, il s'ensuit naturellement qu'aucune résolution ne saurait être prise à cet égard sans le consentement exprès de la Serbie.

Permettre que la Conférence européenne, soit directement, soit indirectement, décide que les Portes de Fer seront ouvertes et charge qui bon lui semble de l'exécution des travaux, ce serait créer un précédent très-dangereux, dont le premier effet serait d'anéantir le droit du peuple serbe sur son propre territoire. Le gouvernement serbe, qui est responsable devant la nation pour tous ses actes (1), et dont le premier devoir est de maintenir intacts les droits de la Principauté, ne peut que protester contre toute résolution de cette nature.

Cette protestation ne se base pas seulement sur le droit naturel : elle a aussi sa raison d'être dans un droit acquis.

Lorsque le Congrès de Paris, par l'article 17 du traité du 30 (18) mars 1856, établit une commission riveraine qu'elle chargea de faire exécuter les travaux nécessaires sur tout le parcours du Danube, et par conséquent aussi le long de la rive serbe, il trouva tout naturel que la Serbie eût voix dans cette commission, et il lui reconnut le droit d'y être représentée par un commissaire.

La sphère d'activité de la commission riveraine est clairement définie par le traité de Paris. L'article 17, § 2, porte « qu'elle s'occupera de faire disparaître les entraves, de quelque nature qu'elles puissent être, qui s'opposeraient encore à l'application au Danube des dispositions du traité de Vienne », et dans le § 3 du même article, il est dit << qu'elle ordonnera et fera exécuter les travaux nécessaires sur tout le parcours du fleuve ».

Il ne saurait exister aucun doute quant au sens véritable des dispositions. Il est évident que le soin de faire disparaître les obstacles qui

du traité de Paris, elle fut défendue avec non moins d'énergie par le plénipotentiaire d'Autriche. La Turquie appuya, mais faiblement, le dire de l'Autriche. La Conférence n'avait pas, du reste, à rectifier l'acte élaboré à Vienne : elle ne pouvait que refuser d'en prendre acte et inviter les riverains à y apporter les modifications nécessaires. C'est ce qui eut lieu. Protocoles de la Conférence, Paris, 1858; protoc. no 18.

(1) A. Ubicini, La Constitution de la principauté de Serbie, art, 100 et suiv.

gênent la navigation aux Portes de Fer appartient exclusivement à la commission riveraine.

La commission, qui, en 1857, sous la présidence de l'Autriche, rédigea l'acte de la navigation du Danube, n'en a jamais fait doute. L'article 37 de cet acte, portant « que la commission chargera des experts d'étudier la nature des obstacles physiques que présente actuellement le fleuve », ajoute expressément : « Il est entendu que la partie connue sous le nom des Portes de Fer formera un des objets principaux de cet examen. » Le rapport officiel du commissaire serbe constate que la commission, voulant détruire ces obstacles, décide « que des droits de navigation pourraient être prélevés pour couvrir les frais des travaux et des établissements ayant pour but d'entretenir et d'améliorer la navigation du Danube, qui seraient d'un commun accord reconnus nécessaires par la commission riveraine dans l'intérêt de la navigation; que, cependant, les droits de cette nature, leur quotité et leur mode de perception ne pourront être de même établis que d'un commun accord, et ne devront pas être fixés plus haut qu'il ne sera nécessaire pour couvrir les frais de construction et d'entretien et les intérêts du capital » (1).

Votre Excellence voudra bien excuser ces citations, qui étaient nécessaires pour démontrer que non-seulement le sens de l'article 17 ne permet aucune équivoque, mais que même dans la pratique ou n'a jamais mis en doute que la question des Portes de Fer ne ressortit à la commission riveraine.

Considérant donc :

1° Que les deux Portes de Fer (2) sont situées le long de la rive serbe ;

2o Que, d'après la teneur du traité de Paris, la question des Portes de Fer, dans son ensemble comme dans ses détails, ressortit à la commission riveraine;

3o Que, d'après l'article 17 du même traité, la Serbie a voix consultative et délibérative dans cette commission;

4o Que, d'après la Constitution de la Principauté, le gouvernement serbe est responsable devant la nation pour toute atteinte portée à son droit.

Le gouvernement princier se voit dans la nécessité de protester

(1) Art. 21, § 2, de l'acte relatif à la navigation du Danube.

(2) On distingue, en effet, deux Portes de Fer (Demir Kapou, en turc), les hautes et les basses; les premières, formées par les rapides, entre Drenkova et Orsova; les secondes, situées en aval de cette dernière ville. Ce sont les Portes de Fer proprement dites.

éventuellement contre toute solution, directe ou indirecte, dè la question des Portes de Fer, autrement que par la commission riveraine.

Je veux croire que mon gouvernement n'aura pas besoin de recourir à cette réserve expresse de ses droits. Ce qui me confirme dans cette pensée, c'est en premier lieu la bienveillance de la Sublime-Porte envers la Serbie, et ensuite l'appréciation éclairée de Votre Excellence de la solidarité qui existe entre les intérêts de la Sublime-Porte et ceux de la Serbie. En outre, l'époque extraordinaire où nous vivons et qui fait sentir impérieusement aux nations la nécessité de pouvoir se fier à la sainteté de leurs droits nous donne l'espoir qu'il ne sera rien fait qui soit de nature à ébranler l'entière confiance que de tout temps le peuple serbe a placée dans l'auguste protecteur de la Serbie pour la conservation de ses droits, confiance qui lui a permis de consacrer jusqu'ici tous ses efforts au maintien de l'ordre intérieur, ainsi qu'au développement matériel et moral du pays.

Agréez, etc.

N 23

M. MIJATOVITCH AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE DE LONDRES

Londres, le 10/22 février 1871.

Excellence, j'ai l'honneur de vous transmettre une copie du Mémoire contenant l'exposé des vues du gouvernement serbe dans la question des Portes de Fer, que j'ai eu l'honneur de remettre à S. Exc. Musurus-Pacha.

Le gouvernement serbe ne fait aucun doute que le représentant de la Sublime-Porte, appréciant comme il convient les rapports légaux qui existent entre la puissance suzeraine et la Principauté, voudra bien exposer et appuyer près de la Conférence les vues de la Serbie dans une question qui la touche de si près. Cependant, j'ai reçu l'ordre de faire connaître à Votre Excellence, ainsi qu'aux autres représentants des puissances garantes, les motifs qui ont porté le gouvernement serbe à réserver les droits qui ont été reconnus à la Principauté par les traités, et que la Constitution lui faisait un devoir de maintenir.

C'est pour obéir à cet ordre que je prends la liberté de transmettre la copie susmentionnée à Votre Excellence, me bornant à ajouter que, dans l'opinion du gouvernement princier, il y aurait urgence à ce que la commission riveraine se réunît de nouveau pour examiner et résoudre les importantes questions dont le traité de Paris lui a remis la décision.

Agréez, etc.

N° 24

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH

A LONDRES

Belgrade, 6/18 février 1871.

L'agent diplomatique de l'Autriche-Hongrie insiste pour que nous donnions notre adhésion au projet que le gouvernement impérial-royal a présenté à la Conférence.

Nous avons répondu que nous ne pouvions nous départir d'un droit acquis, mais que nous consentions à ce que la Conférence décidât qu'une taxe serait prélevée sur les navires, pourvu que la décision sur tous les autres points fût remise à la commission riveraine, en un mot que nous adhérions à la rédaction énoncée dans votre lettre no 7.

N° 25

M. MIJATOVITCH AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Télégramme.

Londres, le 6/18 février 1871.

J'ai remis le Mémoire contenant l'exposé des vues du gouvernement, avec la réserve formelle de notre droit.

Nous avons la chance de réussir. La Conférence a suspendu ses séances jusqu'à l'arrivée du délégué français (1).

(1) 7 février. Les séances ne furent reprises que le 13 mars, après l'arrivée à Londres du plénipotentiaire français, duc de Broglie. Il y eut donc une interruption de plus d'un

muis.

No 26

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH
A LONDRES

Belgrade, 10/22 février 1871.

Monsieur, par mon télégramme du 6 courant, je vous ai informé de la démarche de l'agent diplomatique de l'Autriche-Hongrie auprès du gouvernement princier et de la réponse qui lui a été faite.

Je crois devoir aujourd'hui vous communiquer en détail, pour votre gouverne, la conversation que nous avons eue avec M. Kallay.

Et d'abord, je dois remarquer que M. Kallay s'était déjà entretenu à deux reprises avec le gouvernement au sujet de la question des Portes de Fer. Une première fois, quand il nous communiqua le texte du projet austro-hongrois, et, plus tard, lorsque, d'après l'ordre qu'il avait reçu par télégramme du comte de Beust, il vint pour expliquer les motifs que devaient nous porter, selon lui, à modifier nos résolutions premières, nous faire de nouvelles représentations pour nous engager à abandonner notre point de vue, car le comte ne doutait pas que notre opposition ne provînt d'un malentendu avec M. Kallay.

Mais, avant d'entrer dans le détail de ce dernier entretien, je crois devoir joindre ici en traduction le texte du projet austro-hongrois tel qu'il nous a été communiqué en copie par M. Kallay.

Ce projet se compose des deux articles suivants :

« Art. 1er. Les conditions de la réunion annuelle de la commission riveraine établie par l'article 17 du traité de Paris du 30 mars 1856 seront fixées par une entente préalable entre les puissances riveraines, et en ce qui concerne toute modification à l'article 17 dudit traité, par une convention spéciale entre les puissances cosignataires.

« Art. 2. Ayant égard aux intérêts du commerce, à l'urgence et à l'importance des travaux à exécuter pour faire disparaître les obstacles et les dangers qui mettent entrave à la navigation du Danube dans les hautes et les basses Portes de Fer, S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie, s'arrangera avec ses coriverains de cette partie du fleuve, à l'égard des conditions techniques et financières d'une opération ayant pour objet d'écarter les obstacles ci-dessus mentionnés au moyen de travaux à entreprendre par le gouvernement impérial-royal.

« La règle établie par l'article 15 du traité de Paris, qu'il ne sera

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