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Et des Portraits qui l'ont déshonoré,
Montrer enfin le modèle sacré.

Puiffe le tien, fenfible à mes prières,
S'offrir de même à mon cœur agité!
Puiffai-je voir le plus tendre des frères,
Joignant toujours le fens & la gaîté,
Les vers légers & les devoirs auftères,
L'égalité des vertus folitaires

Aux tons divers de la Société,
Et couronnant des palmes littéraires
Son front brillant de gloire & de santé!
Vœux incertains! pendant que fous ta glace
Rien ne flétrit la fleur de fes beaux jours,
Que tu le peins tel qu'il parut toujours,
Plein d'enjoument, & de force & de grace ;
Du fort peut-être éprouvant les rigueurs,
Pâle de crainte, accablé de fouffrance,
Entre les bras de fes amis en pleurs,
Sa foible voix invoque ma préfence.
Cruelle idée! affreux preffentiment!
Portrait menteur n'abuse plus mon ame.
Quand je quittai l'ami que je réclame,
C'étoient ces traits. Qu'eft-il en ce moment?
Du Temps rapide ignore-t-il l'outrage?
Dans les longs jours d'un trifte éloignement,
Ce Dieu cruel femble. augmenter fa

rage.

Ah! c'en eft trop. Je brife le lien
Qui fur ces bords me tient dans les alarmes.

Mon cœur ardent, uni bientôt au fien,
De l'amitié goûtera tous les charmes;
Et, près de lui, fans crainte, fans regret,
Au feul plaifir je donnerai les larmes.
Dont ma douleur baigne en vain fon Portrait.

VERS

Sur les quatre Ages de l'Homme.

L'HOMME enfant, par fes cris femble prévoir

. fon fort;

Jeune, d'un föl amour fon cœur eft la victime; Bientôt l'ambition va l'entraîner au crime; 3 L'avarice l'attend aux portes de la mort, st (Par M. B. de W****

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LES DEJEUNÉS DU VILLAGE,

où les Aventures de l'innocence.

PREMIER DÉJEUNÉ.

LA

E

J'AVOIS pour voifine de campagne unc perite vieille, d'un naturel aimable & d'une figure où l'on voyoit encore toutes les traces de la beauté. Son teint avoit perdu fa fleur ce n'étoit plus le duvet de la pêche, mais c'étoit le poli, & même un peu du vermillon d'une belle poinme d'api confervée pendant l'hiver. Le jeu de fa phyfionomie étoit plein de fineffe & de vivacité; quelques étincelles de feu jailliffoient même encore de les yeux lorfqu'ils s'animoient; de jeunes femmes lui auroient envié la douceur & le charme de fon fourire; & à fon enjouement, à fon défir de plaire, aux traits de fenfibilité qui lui échappoient, fur-tout aux graces de fon efprit & à celles de fes manières, il n'eft perfonne qui n'eût dit, comune Fontenelle, que l'Amour avoit paffé par-lt.

A s

Elle s'étoit formé dans fon village une petite fociété d'amis, qui alloient tous les matins prendre avec elle du thé au lait tantôt dans un falon riant, & tantôt en plein air fous un frais berceau de verdure. 'étois du nombre de ces amis. Elle aimoit à conter les hiftoires du temps paffé, & nous aimions fort à l'entendre.

Madame, lui dîmes-nous un jour, tous vos récits nous enchantent; mais celui dont nous felions le plus curieux, ce feroit, il faut l'avouer, l'hiftoire de votre jeuneffe. Vous n'êtes pas dégoûtés, nous dit-elle; & en effet, fi je voulois, j'aurois bien de quoi vous amufer. Mais je ne parle jamais de moi; & la raifon, c'eft qu'en parlant de foi, on femble toujours fe flatter, cu du moins s'épargner foi-même; & jamais l'auditeur ne manque de rabattre du bien & d'ajouter au mal.

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Nous l'affurâmes tous que nous l'en croirions for fa foi, & que chacune de fes paroles feroit prife à la lettre. Quei, ditelle, jamais vous me ferez tentés de fuppofer dans mes récits quelques petites réicences, & d'y fuppléer? Non, jamais. -Et tant que je vivrai, vous me garderez le fecret? Oui, tant que nous vivrons nous - mêmes. - Oh, non, dit- élle, ce feroit trop exiger de vous; & du moins dois-je permettre qu'à mon âge vous puiffiez raconter, chacun à vos amis, ce que la bonne Madame de Clofan vous aura dit

de fes jeunes folies. Mais je vous avertis que l'hiftoire en eft un peu longue, que j'y ferai des paufes, & que nous en avons pour trois ou quarre Déjeunés. Tant mieux, lui dîmes-nous; & après nous avoir veisé du thé, elle commença fon récir.

J'étois née riche fans le favoir: mon père, habile Négociant, avoit péniblement amaffé de grands biens, enfermés dans son porte-feuille. J'étois encore enfant lorsqu'il mourut; je n'avois déjà plus de mère; & je reftai, felon l'ufage, à la merci d'un oncle, mon tuteur, & d'une tante, fon époufe, tous deux gens dévots, mais avares, & de mon bien comme du leur. Je n'ai pas befoin de vous dire qu'étant durs pour eux-mêmes, en qualité d'avares, ils ne l'étoient pas moins pour moi.

Leur première penfée fut que, fi je favois de bonne heure quelle étcit ma fortune, par cette feule idée, & malgré tous feurs foins, je ferois un enfant gâté. Cette prévoyance étoit fage; mais leur prudence alla trop loin; & pour me rendre plus docile & me tenir plus dépendante, ils me firent accroire que mes parens ne m'avoient rien laiffé. De tous les bijoux de ma mère, ce petit cœur d'or fut le feul que l'on me donna. Quant aux biens de mon père, on eut le même foin de les faire valoir, & de me les cacher. Ainfi je me croyois un objet de pitié pour ceux de mes parens qui

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