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Arrêt du 18 thermidor an 12, au rapport de M. Gandon, par lequel,

<< Attendu, sur les premier et second moyens, que la rédaction du jugement attaqué satisfait à ce qu'exige la loi du 24 août 1790;

» Sur les troisième et quatrième moyens, qu'il n'y a eu, ni usurpation de pouvoir, ni violation d'autorité de la chose jugée, si les arrêts rendus au parlement de Paris en 1782 et 1783, long-temps avant la Réunion du pays de Liége, n'avaient l'autorité de la chose jugée dans ce pays étranger alors;

pas

>> Sur les cinquième et sixième moyens, que les décrets des échevins de Liége n'avaient point préjugé que les arrêts du parlement de Paris devaient être exécutés dans le territoire liégeois, lorsqu'avant de s'occuper de la question, les échevins avaient exigé qu'on leur présentât des lettres réquisitoriales en forme ;

» Sur le septième moyen, qu'il n'existait aucune convention entre la France et le de pays Liége, pour que les jugemens rendus dans un pays, fussent exécutés dans l'autre ; que le traité souscrit à Maestricht, en 1615, n'a établi de réciprocité qu'entre le duché de Brabant et le pays de Liége, en sorte qu'il est absolument étranger; que les demandeurs n'ont même cité aucun exemple d'un jugement français dont l'exécution ait été permise contre un Liégeois, dans le pays de Liége, sans que les juges du lieu aient pris connaissance des moyens de nullité et des injustices allégués contre ce jugegement;

» Sur le huitième moyen, que la famille Sélys, liégoise, obligée de plaider en France, puisqu'elle était demanderesse, et que son débiteur demeurait en France, n'a pas, pour cela, contracté l'obligation de subir, sur ses biens et sa personne, à Liége, l'exécution des jugemens rendus en France;

» Que la réunion postérieure du pays de Liége à la France n'a apporté aucun changement aux droits acquis aux Liégeois ; que ceux-ci ont été réunis avec tous leurs droits, leurs actions et leurs exceptions; d'où il résulte que le jugement attaqué ne contient aucune contravention aux lois;

» La cour rejette le pourvoi.... ».

§. II. Autres questions sur cette matière. V. l'article Pays réunis, et le Répertoire de jurisprudence, au mot Réunion.

REVENDICATION. §. I. 1o Le propriétaire d'un meuble ou d'un billet au porteur peut-il le revendiquer sur une tierce-personne à qui l'a transporté celui auquel il l'avait confié à titre précaire?

20 En matière de Revendication, le deman deur qui n'a pas, devant les premiers juges, conclu aux dommages-intérêts résultant du procès qui le prive de la jouissance de sa chose, peut-il, sur l'appel du jugement qui l'a débouté, conclure à ce que ces dommages intérêts lui soient adjugés, et le tribunal d'appel peutil, en réformant le jugement de première instance, les lui adjuger en effet?

Sur ces questions et sur trois autres qui sont indiquées aux mots Faillite, §., Interdiction, §., et Meuble, §., j'ai donné, à l'audience de la cour de cassation, section civile, le 13 nivôse an 12, des conclusions ainsi conçues :

« Cette affaire, qui vous est présentée comme la cause des mœurs, de l'honnêteté publique et de la propriété, offre à votre examen plusieurs questions intéressantes par leur objet, et plus encore par les conséquences que peut avoir leur décision.

» Dans le fait, en novembre 1797, Antoine Vanbomel, domicilié à Leyde, en Hollande, associé au commerce de sa mère (la veuve Van bomel), et marié, mais non commun en biens, avec Jeanne-Cornélie Vanderkun, disparaît tout à coup de son domicile, et vient à Paris avec la veuve Vandinter, femme que des pièces authentiques dont il vous a été rendu compte par le cit. rapporteur, prouvent n'avoir eu jusqu'alors aucune espèce de fortune, et avoir été, au contraire, réduite constamment à gagner sa subsistance par le travail de ses mains.

» Le 5 décembre suivant, le conseil de la commune de Leyde, sur la requête de son épouse, le frappe d'interdiction et le place sous la curatelle du cit. Vanderkun, son beaufrère.

» Le 13 nivôse an 6, en vertu d'une ordonnance du comité de la justice civile et criminelle de la même commune, et à la réquisition du gouvernement batave, Antoine Vanbomel est arrêté à Paris et conduit en Hollande par des gendarmes.

» La veuve Vandinter l'accompagne. Arrivée à Anvers, elle y dépose entre les mains du cit. Leysen, une boîte de fer-blanc. Cela fait, elle continue sa route avec lui.

>> Le 18 ventôse suivant, le curateur à l'interdiction d'Antoine Vanbomel, instruit du dépôt de la boîte de fer-blanc, la fait saisir et arrêter; un juge de paix d'Anvers est appelé pour en faire l'ouverture; il y procède sans que la veuve Vandinter soit présente ni appelée ; et il trouve dans cette boite vingt-six récépissés de l'emprunt forcé que la république batave avait ouvert quelque temps avant la fuite d'Antoine Vanbomel, avec une déclaration d'Antoine

Vanbomel lui-même, datée de Leyde, le 3 novembre 1797, et portant qu'il reconnaît avoir vendu ces récépissés à la veuve Vandinter, pour la somme de 24,210 florins, argent de Hollande, reçue comptant.

Le 3 messidor de la même année, le comité de la justice civile et criminelle de Leyde rend une ordonnance qui met les biens d'Antoine Vanbomel en commission, c'est-à-dire, le déclare failli, et nomme pour curateurs à sa faillite les cit. Vanberghen et Vanhemeren.

» Près de deux années s'écoulent, sans que la saisie-arrêt de la boîte de fer-blanc éprouve aucune réclamation de la part de la veuve Vandinter. Ce n'est que le 12 frimaire an 8, que, par un exploit signifié au domicile du commissaire du gouvernement, celle-ci fait citer le cit Vanderkun au tribunal civil du département des Deux-Nèthes, pour en voir ordonner la main levée.

» Le cit. Vanderkun, ou plutôt son agent d'Anvers, ne comparaît sur cette citation, que pour demander qu'elle soit déclarée nulle, comme donnée à trop bref délai; et il invoque l'art. 3 du tit. 3 de l'ordonnance de 1667.

» Mais par jugement du 22 du même mois, le tribunal des Deux-Nèthes, s'élevant au-dessus de la loi, et statuant, par le plus monstrueux abus de pouvoir, en premier et dernier ressort, rejette l'exception du cit. Vanderkun, et donne main-levée à la veuve Vandinter de la boîte contenant les vingt-six récépissés. Ce jugement a été cassé, sur nos conclusions, le 22 prairial an 9.

» Dans l'intervalle, et pour empêcher l'exécution de ce jugement pendant que le cit. Vanderkun en poursuivait la cassation, la mère, l'épouse et les curateurs à la faillite d'Antoine Vanbomel font de nouveau saisir et arrêter la boite de fer blanc: la première, par exploit du 29 frimaire, la seconde, par exploit du 16 nivôse, et les troisièmes, par exploit du 2 pluviôse

an 8.

» De là, trois instances au tribunal civil de l'arrondissement d'Anvers, dans lesquelles la veuve Vandinter réclame les vingt-six récépissés, comme lui appartenant par cela seul qu'elle en a la possession, et que ce sont des effets payables au porteur.

» De leur côté, la veuve Vanbomel, sa bru et les curateurs à la faillite de son fils, soutiennent que, de ces vingt-six récépissés, il en appartient à la première quinze, à la seconde quatre, et que les sept autres doivent être remis aux troisièmes, comme n'ayant pu être aliéne's par Antoine Vanbomel, au préjudice de ses créanciers.

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l'ignore ;

» De qui elle les a achetés? Elle répond qu'elle ne se le rappelle pas ;

» Si elle n'a pas d'autre preuve de l'acquisition qu'elle prétend en avoir faite, que le billet signé Antoine Vanbomel, et trouvé dans la boîte de fer-blanc, au moment où s'en est faite l'ouverture? Elle répond qu'elle ne connaît que les récépissés en blanc au porteur, qu'elle ne convient pas de l'existence ni de la teneur du billet;

» Si ce n'était pas Antoine Vanbomel qui était propriétaire de ces récépissés? Elle répond que c'est elle seule qui est propriétaire; Si, lorsqu'elle les a achetés, elle en a tiré quittance? Elle répond qu'elle ne se le rappelle plus;

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» Si elle a reçu les récépissés des personnes mêmes qui les réclament? Elle répond qu'elle l'ignore;

>> Si elle ne connaît personne à qui les réclamans les aient cédés? Elle répond toujours qu'elle l'ignore ;

» Si elle a des moyens d'existence, si elle fait un commerce, quel en est le genre, et depuis quel temps elle le fait? Elle répond qu'elle fait depuis quinze ans le commerce de linons, dentelles ct batistes, assertion hautement démentie par les pièces authentiques que nous avons déjà eu l'honneur de vous rappeler.

» Des réponses qui manifestaient aussi évidemment la mauvaise foi de la veuve Vandinter, auraient pu dispenser les demandeurs de toute preuve ultérieure. Cependant, pour satisfaire complètement à l'interlocutoire du 29 germinal an 8, ils ont rapporté des quittances du receveur de l'emprunt forcé batave, et des extraits des registres de commerce de la maison Vanbomel, qui constataient que les sommes représentées par les vingt-six récépissés,avaient été versées au trésor public de la Haye, savoir, 12,210 florins par la société existante entre la veuve Vanboniel et son fils, 8,000 florins par la veuve Vanbomel en son nom, et 4,000 florins par la femme Vanbomel. Celle-ci a de plus produit la grosse de son contrat de mariage, du

» Le 29 germinal an 8, jugement préparatoire quel il résultait qu'en se mariant, elle s'était

séparée de biens d'avec son epoux, et qu'elle s'était réservé la jouissance personnelle de ses propres.

A la vue de ces preuves, le tribunal civil de l'arrondissement d'Anvers ne croit pas pouvoir hésiter; il rend, le 18 germinal an 9, trois jugemens qui admettent les Revendications exercées par les demandeurs, et ordonnent que les vingt-six récépissés leur seront remis.

» La veuve Vandinter se rend appelante de ces jugemens, et sur cet appel, les trois instances portées au tribunal de Bruxelles, y sont jointes et plaidées cumulativement.

» Le 12 thermidor an 10, jugement qui infirme, déclare nulles les saisies- arrêts, déboute les demandeurs de leurs conclusions, et les condamne aux dommages-intérêts envers la veuve Vandinter. Ses motifs sont

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Que, si, comme le soutiennent les intimés, c'est Vanbomel fils qui en a disposé, et que soit par son fait qu'ils ont passé entre les mains de l'appelante, il suit seulement de là qu'il peut y avoir eu, de sa part, abus de confiance, soit comme membre de la société qui avait pourni les fonds, soit comme agent de la maison de commerce et des affaires de sa mère et de son épouse; mais nullement que le tiers acquéreur fuisse être évincé, sauf les droits de la veuve Vanbomel et de l'épouse de ce fils contre ce dernier;

>>Que l'action pauliane ne peut compéter,dans le cas particulier, aux curateurs commis à la liquidation de la masse d'Antoine Vanbomel, vu que la faillite de la maison de commerce dont il était associé, n'est pas constatée ; et que d'ailleurs l'époque à laquelle les effets ont passé entre les mains de l'appelante, est incer. taine;

Que les prétendues liaisons qui auraient
TOME XIV.

pu exister entre Antoine Vanbomel et l'appelante, n'ont pas constitué cette dernière dans l'interdit d'acquérir les effets dont il s'agit;

» Que des réponses de l'appelante aux inter rogatoires sur faits et articles, il ne résulte aucun aveu qui atténue la preuve de la propriété par elle soutenue.

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» C'est contre ce jugement que les demandeurs se pourvoient en cassation. Si vous n'aviez à examiner leurs demandes que sous les rapports de la justice et de l'équité, nous ne balancerions pas à vous dire que, non par une iniquité réfléchie (à Dieu ne plaise que nous fassions un pareil reproche à des magistrats joissant à si juste titre de l'estime générale ), mais du moins par une de ces graves erreurs dont les intentions les plus pures ne préservent pas toujours des hommes instruits, il a, parmi les nombreuses inductions qui sortaient des circonstances de la cause, préféré celles que réclamait une femme indigne de toute confiance, à celles qui s'élevaient en faveur de légitimes propriétaires odieusement dépouillés.

» Mais ce n'est pas sur une demande en révision que vous avez à prononcer, c'est sur une demande en cassation, et notre ministère est rigoureusement circonscrit dans l'examen de ce seul point: Y a-t-il ou n'y a-t-il pas, dans le jugement attaqué, contravention formelle à quelque loi?

» Pour établir l'affirmative, les demandeurs emploient six moyens : deux de forme, et quatre tirés du fond de la cause,

» Le premier moyen de forme tend à établir que le tribunal d'appel de Bruxelles a violé Part. 15 du tit. 5 de la loi du 24 août 1790, en ne posant pas toutes les questions que l'affaire présentait à décider, mais seulement celle de savoir si les vingt-six récépissés litigieux devaient être remis à la veuve Vandinter.

>> Il faut convenir que cette question est extrêmement complexe, et qu'il aurait été plus conforme à l'esprit de la loi, de poser, en la divisant, toutes les questions antécédentes, dont elle n'eût dû qu'être le corollaire. Cependant, il faut convenir aussi que la lettre de la loi a été satisfaite; et nous ne pouvons pas, en matière de cassation, être plus rigoureux que la loi. Sans doute, l'extension que nous lui donnerions dans la cause actuelle, aurait l'avantage de réparer une grande iniquité, et la justice sourirait elle-même à cette extension. Mais combien de jugemens sages et équitables seraient à leur tour dans le cas d'être annulés, si nous adoptions un pareil rigorisme! Entre ces deux inconvéniens,

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» Il faut, à cet égard, distinguer entre les trois affaires qui, en première instance, ont été, comme nous l'avons déjà dit, jugées séparément.

» Dans le jugement rendu entre la veuve Vanbomel et la veuve Vandinter, on voit celle-ci conclure aux dommages-intérêts, dès l'intro. duction de la cause; et non seulement on ne l'y voit pas abandonner, mais, au contraire, on l'y vòit reproduire plusieurs fois ce chef de demande.

>> Dans le jugement rendu entre l'épouse d'Antoine Vanbomel et la veuve Vandinter, les conclusions de celle-ci ne sont pas relatées, il y est seulement dit qu'elles ont été rédigées par écrit et déposées sur le bureau.

» Mais dans le jugement rendu entre les curateurs à la faillite d'Antoine Vanbomel et la veuve Vandinter, nous voyons celle-ci conclure simplement à la main-levée des récépissés réclamés par ses adversaires, sans parler de dommages-intérêts.

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Dès-là, point de doute que les conclusions en dommages-intérêts que la veuve Vandinter a prises en cause d'appel, ne fussent nouvelles à l'égard des curateurs. Mais étaient-elles nouvelles, dans le sens de la loi du 3 brumaire an 2? La nouveauté dont elles semblent porter le caractère, est-elle précisément celle que prohibe en cause d'appel l'art. 7 de cette loi? En un

mot, cette nouveauté est-elle réelle, ou bien n'est-elle qu'apparente? Voilà ce que nous avons à examiner.

>>Pour parvenir à une solution précise de cette question, il est un point sur lequel nous devons préliminairement nous fixer: c'est de savoir quel était l'objet des dommages-intérêts auxquels la veuve Vandinter a conclu pour la première fois en cause d'appel, contre les cura

teurs.

» La veuve Vandinter demandait ces dommages intérêts, à raison des obstacles que les curateurs avaient apportés à ce qu'elle jouit aussitôt qu'elle eût dû le faire, des effets renfermés dans la boîte de fer-blanc. Mais ces obstacles, en quoi avaient-ils consisté de la part des curateurs? Ils avaient consisté dans la saisie qu'ils avaient fait faire de la boîte, le 2 pluviôse an 8; et sans doute cette saisie doit être considérée, de la part des curateurs, comme l'exploit introductif d'instance, puisque tout saisissant est réputé demandeur; et que demander la main-levée d'une saisie, ce n'est, à proprement parler, que se défendre.

» Les conclusions de la veuve Vandinter en dommages-intérêts ne remontaient donc pas à un temps antérieur à l'introduction de la cause: elles ne se référaient donc qu'au temps écoulé depuis cette époque.

» Cela posé, l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2 empêchait-il que le tribunal d'appel de Bruxelles ne condamnât les curateurs, envers la veuve Vandinter, à des dommages-intérêts auxquels elle n'avait pas conclu à leur égard en première instance?

» Incontestablement, il s'y serait opposé,si la veuve Vandinter n'avait pu obtenir ces dommages-intérêts, qu'autant qu'elle les eût demandés expressément et nommément; car s'il fallait pour cela une demande expresse et nominative, c'était en première instance qu'elle devait être formée; elle ne pouvait plus l'être en cause d'appel.

» Mais aussi n'était-il pas nécessaire, pour obtenir ces dommages-intérêts, que la veuve Vandinter les demandât expressément? En ce cas, il importerait peu que la veuve Vandinter ne les eût demandés qu'en cause d'appel; la demande qu'elle en a faite en cause d'appel, serait alors surabondante; et la maxime quod abundat non vitiat, y recevrait une application directe et entière.

» A quoi donc se réduit, en dernière analyse, la difficulté que vous présente le second moyen de forme des demandeurs? Elle se réduit à cette seule question : les dommages-intérêts qui résultent des retards apportés par un

procès à la jouissance d'une propriété, peuvent-ils être adjugés à celui qui est définitivement déclaré propriétaire, à celui qui est définitivement réintégré dans la jouissance de sa chose, quoiqu'il n'en ait pas fait la demande expresse? Peuvent-ils lui être adjugés d'office, ou ne peuvent-ils l'être que lorsqu'il y a conclu en termes formels ?

» La loi 20, D. de rei vendicatione, met en principe qu'en demandant la restitution de sa chose, le propriétaire est censé, en définitive, avoir demandé, dès le premier pas de la contestation, tout ce qu'il aurait eu, si la chose lui eût été remise au moment où l'instance s'est engagée : Nec enim, dit-elle, sufficit corpus ipsum restitui: sed opus est ut et causa rei restituatur; id est, ut omne habeat petitor quod habiturus foret, si eo tempore quo judicium accipiebatur, restituta illi res fuisset.

De ce principe, il n'y a, comme vous le voyez, qu'un pas à la conséquence que les dommages-intérêts accessoires à la restitution d'une propriété, doivent, à compter du jour où le procès a commencé, être accordés d'office par le juge, puisque le juge, en les accordant, ne fait qu'adjuger une demande implicitement renfermée dans la demande du propriétaire en restitution de sa chose.

» Mais cette conséquence a encore l'avantage d'être justifiée par un texte positif du droit romain. La loi 25, §.8, D. de Edilitio edicto, décide qu'en fait de dommages-intérêts dus pour le retard apporté à la livraison ou restitution d'un esclave, il faut distinguer entre le cas où ils sont dus pour le retard qui a précédé l'instance, et le cas où ils sont dus pour le retard qui a commencé avec l'instance même, et qui a duré autant qu'elle. Au premier cas, le législateur déclare que le juge ne peut adjuger que les dommages-intéréts auxquels il a été conclu expressément; mais dans le second, il veut que le juge les prononce d'office; et quelle est sa raison? Une fois, dit-il, l'instance liée sur l'esclave litigieux, tout ce qui a rapport à la restitution de cet esclave, est censé mis en jugement: Post judicium acceptum, tota causa ad hominem restituendum in judicio versatur. Ainsi, les dommages-intérêts y sont compris ni plus ni moins que les fruits: Et tam fructus quàm id quo deterior factus est, veniunt.Or,la loi impose au juge l'obligation de prononcer d'office sur tout ce qui est mis en jugement: Judici, statim atque judex factus est, omnium rerum officium incumbit, quæcumque in judicio ver

santur.

>> Et remarquez que ce texte fait marcher de pair les fruits et les dommages-intérêts. Si donc

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les fruits perçus pendant l'instance, peuvent étre adjugés en définitive sans conclusions ad hoc, nécessairement il doit en être de même des dommages intérêts. Si donc un tribunal d'appel peut adjuger des fruits perçus pendant l'instance, quoiqu'il n'y ait pas été conclu devant le premier juge, nécessairement il en doit être de même des dommages-intérêts occasionnés par l'instance ellemême. Eh bien ! Le 21 vendémiaire an 10, au rapport du cit. Delacoste, vous avez rejeté le recours en cassation formé par Dubarry, contre un jugement du tribunal civil du département de l'Aude, qu'il accusait d'avoir violé la loi du 3 brumaire an 2, en adjugeant; à la dame Loujon, à compter du jour de sa demande originaire en première instance, une restitution de fruits à laquelle cette femme n'avait conclu qu'en cause d'appel; et vous l'avez rejeté, attendu que la restitution des fruits était une conséquence de la demande en délaissement du domaine (1).

» Viendra-t-on dire qu'en prononçant ainsi, vous avez vous-même violé la loi du 3 brumaire an 2? Viendra-t-on dire que, par l'art. 7 de cette loi, les juges d'appel sont bien autorisés à sta tuer sur les intérêts ou termes de loyers ou baux échus depuis le jugement définitif ( de première instance), ainsi que sur les domma ges-intérêts ayant pu résulter à l'une des ties, depuis la même époque; mais que de là même il suit que les juges d'appel ne peuvent statuer, d'après des conclusions prises pour la première fois devant eux, ni sur les fruits échus, ni sur les dommages-intérêts soufferts pendant la cause principale ?

par

>> Ce serait s'abuser étrangement, que de tirer de ces termes de la loi une pareille conséquence.

» En s'exprimant comme elle le fait, la loi suppose que les premiers juges ont statué et sur les fruits échus et sur les dommages-intérets soufferts pendant la première instance; et si elle déclare que les juges d'appel pourront statuer, à leur tour, sur les fruits échus et sur les dommages-intérêts soufferts depuis la sentence des premiers juges, ce n'est pas pour conférer aux juges d'appel un pouvoir qu'ils n'auraient pas sans cette déclaration; c'est uniquement pour lever les doutes que pourrait faire naître dans des juges peu instruits, comme l'étaient alors plusieurs de ceux qui siégeaient dans les tribunaux de district, sa défense générale de prononcer en cause d'appel sur de nouvelles demandes. C'est donc ici le cas de la maxime, aussi exacte pour les lois qu'elle l'est

(1) V. l'article Appel, §. 14, art. 1, no 19.

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