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pelé; et cela même eût été un hors-d'œuvre inutile, puisque l'on pouvait toujours, en appelant par la suite, obtenir le relief sans aucune espèce de difficulté. Moribus nostris (dit Groenewegen, dans son Traité de legibus abrogatis, sur la loi 3, de temporibus et reparationibus appellationum, au Code), nullo negotio adversùs lapsum fatalium restitutiones conceduntur.

» Cela posé, on voit ce que signifie, dans le décret du grand conseil de Malines, la clause qui tient Charles de Cassina pour diligent à l'égard de tout écoulement de fataux relatifs à l'appel de la sentence du 24 décembre 1785. Cette clause renferme évidemment un relief de laps de temps; et dès-là, elle prouve que, par la requête sur laquelle a été rendu le décret dont il s'agit, Charles de Cassina s'était déclaré appelant de la sentence du 24 décembre 1785.

» Mais reprenons la suite du décret du grand conseil de Malines : Déclare néanmoins que, dans l'entre-temps et jusqu'à autre disposi tion, le suppliant sera en curatelle, lui défend en conséquence d'aliéner ni de charger ses biens meubles et immeubles, de même que de contracter des dettes ; fait défenses à ses débiteurs de lui payer ou à ses constitués, le tout à peine de nullité ; nomme pour curateur l'avocat en ce conseil, Pouppèz minor, à l'effet de régir et administrer les biens du suppliant, et de gérer généralement toutes ses affaires, moyennant qu'il prête le serment suffisant; le tout par provision, et jusqu'à ce que sa majesté aura disposé sur la requête du suppliant du 24 décembre 1785.

» Quelle était cette requête qui avait été présentée le 24 décembre 1785, par Charles de Cassina, au gouvernement de Bruxelles? Il serait sans doute important de le savoir; mais les demandeurs en cassation n'ont pas jugé à propos de nous en instruire.

>> Quoi qu'il en soit, en résumant toutes les dispositions du décret que nous venons de par courir, nous remarquons quatre choses qui paraissent dignes d'une attention particulière:

» 10 Un sursis à l'exécution du décret d'interdiction provisoire du 30 juillet 1785, de la sentence d'interdiction définitive du 24 décembre, et du décret du magistrat de Malines du 9 novembre de la même année;

» 2o Un relief de laps de temps accordé à Charles de Cassina, pour l'appel de la sentence du 24 décembre 1785;

cée

>>30 Une interdiction provisoire, prononpar décret nouveau et pour l'avenir seulement: déclare que le suppliant SERA en curatelle, lui défend en conséquence d'aliéner;

» 4° Une requête présentée au gouvernement par Charles de Cassina, on ne sait à quelles fins, mais le même jour qu'avait été rendue la sentence d'interdiction définitive, de la juridiction de Boulers.

» De ces quatre points, c'est surtout le premier et le troisième qu'il importe de ne pas perdre de vue le premier, en ce qu'il tient en état de surséance tout ce qui avait été fait jusqu'alors pour l'interdiction de Charles de Cassina ; le troisième, en ce qu'en interdisant provisoirement Charles de Cassina, il suppose qu'il n'est pas encore interdit valablement, et ne statue que pour l'avenir.

» A ce décret succède immédiatement, dans l'ordre des pièces produites, un autre décret du 17 novembre 1788, par lequel le grand conseil de Malines autorise le curateur de Charles de Cassina à agréer, c'est-à-dire, ratifier, l'acte passé à Cambrai le 10 octobre 1785; et cela, porte-t-il, aux fins reprises dans la lettre de la dame de Cassina du 28 août, lettre par laquelle la dame de Cassina priait le curateur de lui faire connaître s'il entendait faire sortir effet à l'acte de Cambrai, pour m'assurer, disait-elle, avant que je m'adresse au curé de ma paroisse, s'il n'y aura aucune difficulté éventuelle relativement aux arrangemens civils.

» Ces termes, avant que je m'adresse au curé de ma paroisse, se réfèrent au mode de procéder qu'avait établi un édit de l'empereur Joseph II, du 28 septembre 1784, pour les séparations volontaires de corps entre mari et femme.

>> Voici quelles étaient là-dessus les dispositions de cet édit; il importe de les bien connaître, et vous verrez bientôt pourquoi:

» Art. 45. La séparation volontaire de table et de lit ne pourra avoir lieu, que lorsque les deux conjoints étant convenus d'habiter séparément, se seront en outre préalablement entendus et arrangés sur ce que chacun d'eux gardera de biens ou d'effets, sans qu'à ce sujet il leur soit permis d'instituer une procédure en règle, ni au juge de porter sentence formelle.

» Art. 46. Les conjoints étant d'accord sur ces objets, seront tenus, avant de se séparer, de se présenter en personne à leur juge, pour lui affirmer simplement que c'est de leur franche et libre volonté qu'ils se séparent mutuellement, et qu'ils sont contens des arrangemens convenus entre eux, N'ÉTANT PAS NÉCESSAIRE QU'ILS FASSENT CONNAÎTRE AUX JUGES EN QUOI CES ARRANGEMENS CONSISTENT.

» Pour éviter cependant que ces séparations ne se multiplient trop, le juge n'écoutera pas les conjoints, s'ils ne lui produisent un té

moignage par écrit de leur curé, pasteur ou pope.

» Art. 47. A cet effet, ils devront, avant que de se présenter au juge, comme il est dit en l'article précédent, s'adresser personnellement à leur curé, pasteur ou pope, lequel essaiera d'effectuer la réunion de pareils époux, tant par de fortes remontrances sur les devoirs de leur conscience, que par tout autre moyen de persuasion; et ce ne sera qu'après avoir employé infructueusement cette voie, que le curé, pasteur ou pope leur donnera un témoignage par écrit, portant qu'il a fait tout son possible pour les engager à se réunir, sans avoir pu y réussir; et s'il juge que, dans les circonstances, la séparation est convenable et d'équité, il en fera mention dans ce témoignage.

»Vous voyez, par ces dispositions, ce que sig. nifiaient, dans la lettre de la dame de Cassina, du 28 août 1788, ces termes, avant que je m'adresse au curé de ma paroisse : il est clair que la dame de Cassina se proposait de donner une forme légale à la séparation de corps qui avait été convenue entre elle et son mari, par l'acte passé à Cambrai, le 10 octobre 1785; et que, pour y parvenir, elle entendait suivre la marche tracée par l'édit de 1784, c'està-dire, se présenter devant le curé de sa paroisse, y faire comparaître son époux avec elle, en retirer un certificat de non conciliation, et obtenir ensuite du grand conseil de Malines, un décrét qui lui en eût donné acte. » Effectivement la dame de Cassina s'est adressée au curé de Saint-Pierre et Saint-Paul à Malines; mais ce n'était pas assez pour par. venir à régulariser la séparation volontaire de corps : l'art. 47 de l'édit voulait que le mari se présentât également devant lui, et il n'y paraissait pas disposé.

Que faire dans cette circonstance? La dame de Cassina a présenté au grand conseil de Malines, une requête par laquelle, après avoir rendu compte des faits, et notamment du silence que gardait son mari sur la sommation qu'elle lui avait faite de se présenter devant le curé, elle concluait à ce qu'il fût tenu de se conformer, à cet égard, aux dispositions de la loi, dans la huitaine, sous telle peine que de

raison.

» Sur cette requête, décret du 10 février 1789, qui ordonne à la suppliante et à Charles de Cassina de s'adresser personnellement devant le curé de l'église des Saints Pierre et Paul, en cette ville, aux jour et heure à préfixer par ledit curé, et ce en conformité de l'art. 47 de l'édit du 28 septembre 1784 et du TOME XIV.

premier article du contrat passé à Cambrai, le 10 octobre 1785.

» En exécution de ce décret, et après l'avoir fait signifier au procureur de son mari, la dame de Cassina comparaît devant le curé de SaintPierre et Saint-Paul; mais elle y comparaît seule, son mari continue de garder le silence.

>> Les choses en cet état, la dame de Cassina obtient du curateur Pouppez, alors conseiller au grand conseil de Malines, comme on le voit par la requête dont nous venons de parler, un acte par lequel il approuve et ratifie les conventions passées à Cambrai le 18 octobre 1785. Cet acte est du 20 février 1789.

» Munie de cet acte et du certificat du curé constatant qu'elle s'était présentée devant lui, mais sans être accompagnée de son mari, la dame de Cassina revient au grand conseil de Malines, et demande que sa séparation soit décrétée, ainsi que l'acte passé à Cambrai le 10 octobre 1785.

C'était, de sa part, une démarche visiblement illégale; car du moment que son mari n'avait pas comparu personnellement devant le curé, et qu'il n'avait pas réitéré en sa présence la déclaration de sa franche et libre volonté de se séparer d'avec sa femme, il ne pouvait plus y avoir lieu à séparation volontaire de corps; et d'ailleurs cet édit lui défendait expressément d'instituer à ce sujet une procédure en règle; il faisait même plus, il interdisait au juge de porter sentence formelle ; de manière qu'à défaut de consentement exprimé simultanément par les deux parties devant le curé, tout était dit, il n'y avait plus rien à faire.

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Cependant le grand conseil de Malines à cru devoir entendre Charles de Cassina, avant de statuer sur la requête de son épouse : il lui a ordonné de comparaître en personne devant le conseiller rapporteur, pour se déclarer, à peine d'etre censé consentir à la séparation.

>> Cette fois Charles de Cassina s'est présenté; mais bien loin de consentir à la séparation, il s'y est formellement opposé; il a même déclaré que les arrangemens passés à Cambrai, n'éque des projets, que ni lui ni sa famille n'en étaient contens, et qu'ils étaient proscrits par les coutumes de Flandre.

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» En conséquence, arrêt du grand conseil de de Malines, du 28 mai 1789, qui déclare que le décrètement requis par la dame de Cassina, ne peut s'accorder quant à présent, elle néanmoins entière de se pourvoir là et ainsi qu'elle trouvera convenir, à la charge de son mari, si elle croit en avoir matière.

» Le sens de cet arrêt n'est ni obscur ni équiil refuse à la dame de Cassina le décrèvoque: tement, c'est-à-dire, l'homologation qui formait

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l'objet de sa demande, parceque l'édit de 1784 ne permet la séparation volontaire de corps que du consentement mutuel des époux, formellement et librement énoncé devant le curé de leur domicile. Mais il ne juge, ni que la dame de Cassina n'est pas en droit de se faire séparer pour causes déterminées et par jugement contradictoire, ni que les conventions passées à Cambrai ne doivent pas avoir leur effet, en ce qu'elles ont d'étranger à la séparation de corps; et la preuve qu'il ne juge ni l'un ni l'autre point, c'est qu'il réserve indéfiniment à la dame de Cassina toutes les actions qu'elle peut avoir à exercer contre son mari.

» Au surplus, de la procédure dont nous venons de vous rendre compte, il résulte une conséquence fort importante dans la discussion actuelle: c'est que le curé de la paroisse de Saint-Pierre et Saint-Paul de Malines a été, en 1789, considéré par le grand conseil comme le propre curé de Charles de Cassina et de son épouse; et s'il l'était en 1789, il l'était nécessairement aussi à l'époque où Charles de Cassina avait été interdit provisoirement; car il n'avait pas pu depuis changer de domicile. Poursuivons.

>> Nous venons de dire que la dame de Cassina pouvait encore, nonobstant l'arrêt du grand conseil, du 28 mai 1789, se pourvoir en justice réglée, , pour faire prononcer sa séparation de corps, et que même cet arrêt lui en faisait implicitement la réserve.

» Cette action, aux termes de la première partie de l'art. 45 de l'édit du 28 septembre 1784, devait être portée devant le juge civil. Ainsi l'avait sagement réglé Joseph II, et c'était de sa part une innovation aux règles observées jusqu'alors dans la Belgique, tant autrichienne que française.

» Mais cette innovation ne fut pas de plus longue durée que la plupart des autres lois que lui avait suggérées son esprit philosophique. Les prêtres et les moines soulevèrent le peuple belge en leur faveur : une insurrection toute sacerdotale embrasa ces belles contrées ; et le successeur de Joseph II ne parvint à l'éteindre, qu'en remettant les choses sur l'ancien pied.

» Nous tenons à la main une déclaration du 16 mars 1791, par laquelle il a notamment révoqué l'édit du 28 septembre 1784; et ce n'est pas sans étonnement que nous avons vu les demandeurs, dans leur mémoire en cassation, présenter cet édit comme ayant continué de faire loi dans la Belgique, jusqu'à la réunion de ce pays à la République française.

» Quoi qu'il en soit, la dame de Cassina s'est pourvue en 1792 devant l'official de Malines, pour faire prononcer sa séparation de corps ; et

elle a obtenu, le 5 juillet de la même année, une sentence conforme à sa demande.

» Dans le langage du pays, cette sentence était un acte de divorce; car divorce et séparation de corps étaient alors synonymes dans dans toute la Belgique; et si la chose était moins notoire, le chap. 121 des Chartes générales de Hainaut nous en fournirait la preuve : il est intitulé, des biens qui devront compter à gens divorcés, et dans chacun des articles qui le composent, il est parlé du divorce, non comme emportant la dissolution du mariage, mais comme dispensant seulement les époux d'habiter ensemble. Ainsi, rien d'étonnant si, dans le jugement attaqué, la sentence du 5 juillet 1792 est qualifiée d'acte de divorce.

>> Nous voici parvenus au dénouement de toute cette affaire.

Le 8 pluviôse an 2, Charles de Cassina décède et laisse pour unique héritière la dame Murat, sa sœur,

» Le 4 prairial an 6, la dame veuve de Cassina se pourvoit contre la dame Murat et son mari, pour les faire condamner, entre autres choses, à lui payer les arrérages échus jusqu'au 8 pluviôse an 2, de la pension viagère stipulée à son profit par l'acte passé à Cambrai le 10 octobre 1785.

» Le 13 floréal an 8, le tribunal civil du département de l'Escaut lui adjuge ces arrérages, mais seulement à compter de la sentence de séparation de corps du 5 juillet 1792.

>> Appel de la part de chacune des parties. » Le II ventôse an 9, jugement du tribunal d'appel de Bruxelles, qui rejette l'appel des demandeurs, et faisant droit sur celui de la dame veuve de Cassina, les condamne à payer à celle-ci les arrérages échus de sa pension viagère, depuis le 10 octobre 1785 jusqu'au 8 pluviôse an 2.

» C'est contre ce jugement qu'est provoquée votre censure suprême ; et vous savez déjà quels sont les moyens des demandeurs : ils se réduisent à ces trois propositions :

» L'acte du 10 octobre 1785 est nul par la nature de ses dispositions; et en le jugeant valable, le tribunal d'appel a tout à la fois appliqué faussement les usages des ci-devant province de Brabant et seigneurie de Malines, et violé les art. 1, 2 et 3 de la rubrique 17 de la coutume d'Alost.

>> L'acte du 10 octobre 1785 est nul par l'incapacité dont avaient frappé Charles de Cassina, le décret d'interdiction provisoire et la sentence d'interdiction définitive des 30 juillet et 24 décembre 1785; et en le jugeant valable, le tribunal d'appel a contrevenu tant à l'autorité de la chose jugée par ce décret et cette

sentence, qu'aux lois romaines et aux dispositions de la coutume d'Alost concernant les

interdits.

» Enfin, l'acte du 10 octobre 1785 a été annulé par l'arrêt du grand conseil de Malines, du 28 mai 1789; et en le jugeant valable, le tribunal d'appel a violé l'autorité de la chose jugée par cet arrêt.

» Reprenons successivement chacune de ces trois propositions.

» Vous remarquez d'abord, sur la première, que les demandeurs' passent condamnation sur l'assertion consignée dans le jugement du tribunal d'appel, qu'il est constant et d'une jurisprudence notoire que, sous les ressorts des coutumes et usages des ci-devant provinces de Brabant et de Malines, il était permis aux époux de faire entre eux telles conventions matriomoniales, tels changemens et modifications à leur contrat de mariage,qu'ils trouvaient convenir; que les époux pouvaient égalemen tdissoudre leur communauté conjugale, faire une Séparation des biens meubles et immeubles, sans que, pour rendre ces contrats obligatoires entre eux, il fút nécessaire d'avoir un décret du juge civil, ou une séparation de corps et d'habitation du juge ecclésiastique.

» Et dans le fait, nous pouvons attester au tribunal que telle était la jurisprudence invariable du conseil de Brabant et du grand conseil de Malines. Il nous a passé par les mains une foule d'arrêts qui ne permettent pas, à cet égard, le plus léger doute.

» Mais nous devons ajouter que cette jurisprudence n'était restreinte, ni au ressort du conseil de Brabant, ni à la partie du ressort du grand conseil de Malines l'on appelait que seigneurie de Malines même.

>> Le grand conseil de Malines embrassait dans son ressort toute la Flandre autrichienne, et il n'admettait, sur ce point de jurisprudence, aucune distinction entre les différentes parties

de son territoire.

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Il y a plus : le parlement de Douai, en suc.cédant au grand conseil de Malines pour la Flandre française, a constamment suivi, sur cette matière, les principes qu'il avait trouvés en vigueur dans ces contrées, au moment où Louis XIV les avait soumises à sa juridiction. C'est ce que prouve notamment un arrêt dont voici l'espèce :

>> Durets, né dans ce qu'on appelait alors la caste nobiliaire, avait épousé la demoiselle Herpin, fille d'un négociant. Le contrat de mariage avait été passé à Lille; les époux y avaient leur domicile, et la femme continuait,

au profit de la communauté, le commerce dans lequel elle avait été élevée. En 1733, Durets, qui se voyait assez de biens pour vivre tranquillement, voulut quitter le commerce; la femme, se flattant d'y continuer les premiers gains qu'elle y avait faits, pensait différemment. Pour mettre la paix dans le ménage et conserver les intérêts du mari sans préjudicier à ceux de la femme, les deux époux firent entre eux, le 2 août, un acte de Séparation de biens, qui fut publié à la juridiction consulaire de Lille,conformément à l'ordonnance de 1673; et il est à remarquer que, par cet acte, la dame Durets renonçait à tous les droits de survie qui, par son contrat de mariage, avaient été stipulés en sa faveur, pour le cas où elle accepterait la communauté.

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Cependant Durets vint à mourir, et alors sa veuve, regrettant le sacrifice qu'elle avait fait de ses gains de survie, obtint, contre l'acte du 2 août 1733, des lettres de rescision, à l'aide desquelles el demanda que ses droits fussent réglés comme s'il n'y avait pas eu de Séparation de biens. Elle insistait beaucoup sur l'avantage qu'elle avait fait à son mari en renonçant à ses gains nuptiaux ; et c'était, selon elle, une contravention à l'art. 4 du chap. 3 de la coutume de Lille, portant que deux conjoints par mariage ne peuvent directement ou indirectement advanchier l'un l'autre.

» Par sentence du 11 décembre 1742, les mayeur et échevins de Lille, sans s'arrêter aux lettres de rescision dont la veuve Durets fut déclarée n'avoir besoin, annulèrent le contrat de séparation, et ordonnèrent que celle-ci jouirait de tous ses droits de veuve commune.

» Les héritiers du mari interjetèrent appel de ce jugement, et aprés une instruction trèsapprofondie, il est intervenu arrêt en ces termes: Ouï le rapport de M. Beauvoir de Séricourt, conseiller, la cour a mis et met l'appelnéant; émendant, déboute ladite Harpin de lation et la sentence dont a été appelé au février 1742, de la somme de 30,000 florins la demande par elle faite en sa requête du 23 par elle prétendue comme veuve commune, de la moitié de tous les acquets faits pendant sa conjonction, de l'une de chaque espèce de pièces de ménage à son choix, du collier de perles et de la bague de diamant mentionnés au procès.

»Vous voyez que, dans cette espèce, on ne s'est pas arrêté à l'argument que tirait la veuve Durets de la disposition de la coutume de Lille, qui prohibait toute espèce d'avantages même indirects entre époux; et l'on n'a fait en cela que se conformer à la doctrine de Stokmans, qui, dans son recueil d'arrêts du conseil de Brabant, §. 59, après avoir établi, en se fon

dant sur un arrêt rendu de toutes voix, en mai 1661, posse, constante matrimonio, revocari pacta nuptialia inita antè nuptias, et posse mulierem conjugatam renunci are lucris nuptialibus etiam factis et faciendis, si non intervenerit metus aut dolus, ajoute aussitôt: et id habet quoque locum ubi prohibitæ sunt donationes inter conjuges.

» Il ne faut pas, au surplus, aller chercher bien loin la raison fondamentale de cette jurisprudence. Le droit romain, qui forme la loi subsidiaire des anciens ressorts du parlement de Douai, du grand conseil de Malines et du conseil de Brabant, défendait aussi les donations entre mari et femme; mais il leur permettait expressément de faire entre eux tous les contrats non gratuits qui sont autorisés entre personnes étrangères les unes aux autres. C'est ce que prouvent, par rapport au contrat de vente, la loi 7, §. 6, D. de donationibus inter virum et uxorem; par rapport au mandat, la loi 9, §. dernier, D. de jure dotium; par rapport au prêtà usage, la loi 28, §. pénultième, D. de liberatione legata; par rapport au commodat, la loi 7, §. 5, D. de donationibus inter virum et uxorem. Et Voët, dans son Commentaire sur le digeste, liv. 24, tit. 1, no 8, tire de ces différens textes la conséquence que, jure civili, contractus omnes onerosi inter conjugessubsis tunt, si bona fide geruntur; neque, continue-til, maritalis potestas ex jure hodierno apud Hollandos contractibus inter conjuges celebrandis impedimento est. Il répète la même chose sous le titre de ritu nuptiarum, no 63: Maritum autem cùm suá propria uxore contrahere, uti jure romano permissum fuit, ità et nihil impedit ex hodierno jure, si modò contractus talis non incidat in prohibitam inter conjuges donationem. C'est ce qu'enseigne également Rodemburg, dans son Traité de jure conjugum, tit. 2, chap. 4, no 21.

» Par là, se trouve écartée à l'avance l'ouverture de cassation que les demandeurs puisent dans les dispositions de la coutume d'Alost, relative aux avantages entre époux.

» La coutume d'Alost n'est pas là-dessus plus prohibitive que celle de Lille; et elle fait, comme celle de Lille, partie des coutumes de la ci-devant province de Flandre. On a donc pu, en l'an 9, juger dans l'une, comme on avait jugé dans l'autre en 1742, que des époux peuvent, nonobstant la prohibition de s'avantager réciproquement, dissoudre leur communauté conjugale et se séparer de biens.

» Or, une fois la faculté de se séparer de biens par un simple contrat, admise et reconnue, il s'ensuit nécessairement que l'on peut, par le même acte, stipuler en faveur de la

femme une pension alimentaire; car il faut bien que la femme reçoive un équivalent quel. conque de tout ce que lui fournissait la communauté pour sa nourriture et son entretien. Une pareille stipulation rentre visiblement dans la classe des contrats onéreux que les lois romaines autorisent entre mari et femme, et que les auteurs. belges attestent être pareillement autorisés dans leur pays.

» Il importerait donc bien peu à la décision de la cause actuelle, que Charles de Cassina et son épouse eussent été, à l'époque du contrat du 10 octobre 1785, domiciliés dans la commune d'Alost. Mais ce fait n'est pas même justifié par les demandeurs, et nous avons déjà observé que la preuve du contraire est écrite dans le décret du grand conseil de Malines, du 10 février 1789.

» Du reste, il est fort indifférent que, par leur contrat de mariage, Charles de Cassina et son épouse se soient soumis à la coutume d'Alost pour tous les cas non prévus dans cet acte. Cette soumission n'a pu avoir d'effet que pour les droits nuptiaux proprement dits; elle n'a pu en avoir aucun pour les conventions particulières que les époux seraient dans le cas de faire entre eux; et dès-là, nous devons, sous tous les rapports, tenir pour bien constant, que l'acte du 10 octobre 1785 n'est pas nul par la nature de ses dispositions.

» Mais ne l'est-il pas à raison de l'incapacité de Charles de Cassina ?

>> Sur cette seconde question, il existe un principe incontestable : c'est que tout interdit est incapable de contracter, et que les obliga. tions qu'il souscrit, sont nulles de plein droit. Il s'agit donc uniquement de savoir si Charles de Cassina peut être considéré comme ayant été interdit dès le moment où a été passé l'acte du 10 octobre 1785.

>> Sans contredit, à cette époque, il existait contre lui un décret d'interdiction provisoire. » Mais déjà nous avons observé que rien ne justifie que ce décret lui eût été signifié, et nous n'avons pas besoin d'ajouter que c'était aux demandeurs à rapporter la preuve de ce fait essentiel et fondamental.

» Il y a plus : quand il serait prouvé que la signification de ce décret eût précédé le contrat du 10 octobre 1785, les demandeurs n'en seraient pas plus avancés ; pourquoi ? Parceque le décret du grand conseil de Malines du 17 janvier 1786, a tenu en état de surséance celui des juges de Boulers du 30 juillet 1785; parcequ'il a frappé du même sursis, tout ce qui s'était ensuivi de ce dernier décret; parcequ'il a déclaré que provisoirement Charles de Cassina

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