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» Mais il y a plus : cette différence est encore basée sur la volonté expresse du législateur. Prenez la peine de lire le plaidoyer que je viens de citer, et (autant qu'il peut m'en sou. venir, car je n'ai ici d'autre livre de droit que les cinq Codes) vous y verrez

>> 1o Qu'elle est motivée, quant aux meubles, sur le principe consacré par l'art. 2279 du Code civil, qu'en fait de meubles, possession vaut titre, et que, hors le cas de perte ou de vol, la Revendication d'un meuble ne peut jamais être exercée contre un tiers qui l'a acquis à titre translatif de propriété, non seulement d'un précédent propriétaire qui en devait le prix, mais même d'un simple détenteur à titre de louage, de prêt à usage ou de dépôt.

» 20 Qu'elle est motivée, quant aux immeubles, sur l'art. 2125 du même Code, lequel établit, comme je l'ai déjà remarqué, que l'hypothèque dont un acquéreur a grevé le bien qui est l'objet de son acquisition,s'évanouit du moment où le vendeur rentre dans son bien, par la résolution de la vente, faute de paiement du prix.

» En effet (ai-je dit lors de l'arrêt du 2 décembre 1811), il en est de la faculté d'aliéner comme de celle d'hypothéquer: celle-ci n'est même qu'une branche de celle-là ; et dans tous les temps, dans tous les pays, on a constamment fait marcher l'une de front avec l'autre ; en sorte que pouvoir hypothéquer et pouvoir aliéner au préjudice d'un tiers, sont absolument la même chose; et qu'il est impossible de concevoir l'idée d'un possesseur, soit capable, soit incapable d'hypothéquer incommutablement, sans que, par là même, l'idée de la capacité ou de l'impuissance de ce possesseur de faire une aliénation incommutable, se présente à l'esprit avec tous les caractères de l'évidence. Si donc l'acquéreur d'un immeuble qui n'en a pas payé le prix, ne peut pas le grever d'une hypothèque incommutable au préjudice de son vendeur, il est clair qu'il ne peut pas non plus le vendre, l'échanger, le donner incommutablement, au préjudice de celui-ci.

>> Voilà comment on raisonne pour décider que l'effet de la résolution de la vente d'un immeuble, à défaut de paiement du prix, peut être poursuivi contre un tiers - acquéreur; et, comme vous le voyez, ce raisonnement est sans réplique; aussi n'y a-t-il, sur ce point, aucune ombre de difficulté.

» Maintenant, à la place de la vente d'un immeuble, mettons la vente d'un effet mobilier, et appliquons-y la même manière de rai

sonner.

» Du principe que les meubles n'ont point de suite, et que même un simple détenteur non

propriétaire qui n'en est saisi, ni par suite d'une trouvaille, ni par celle d'un vol, peut le transférer incommutablement, sans que la Revendication du propriétaire véritable puisse les atteindre dans les mains du tiers-acquéreur, il résulte évidemment que l'art. 578 du Code de commerce n'avait pas besoin de déclarer explicitement, comme il le fait, que la Revendication ne peut plus avoir lieu, si, avant l'arrivée des marchandises, elles ont été vendues sans fraude, qu'il ne l'a dit que par surabondance, et que, ne l'eût-il pas dit, la chose n'en aurait pas moins eu lieu de plein droit.

» Mais aussi il suit de là, par une conséquence invincible, que ces marchandises peuvent, tant qu'elles sont en route et avant leur arrivée à leur destination, être engagées ou affectées par privilége, et que la Revendication qui s'en fait ensuite ne peut nuire ni à l'engagement ni au privilége dont elles ont été frappées intermédiairement ; car, encore une fois, la faculté de vendre au préjudice du vendeur primitif, emporte nécessairement celle d'affecter, d'engager, d'une manière incommutable.

>> Supposons que les marchandises qui sont l'objet de votre procès, au lieu de vous être adressées directement pour être vendues tout de suite pour le compte de votre commettant, ne l'aient été qu'à la charge que vous les feriez débarquer à Rotterdam; que là vous les donneriez en nantissement à un tiers pour une somme déterminée, et que vous ne les feriez venir à Anvers, dans vos magasins, pour les vendre,qu'après les avoir retirées des mains du prêteur, en le remboursant : supposons qu'en conséquence vous ayez ainsi engagé ces marchandises; et que, cela fait, le vendeur de votre commettant se fût présenté chez le préteur de Rotterdam pour revendiquer les marchandises déposées entre ses mains à titre de nantissement.

» Dans ce cas, nul doute que la Revendication ne fût bien fondée, puisque les marchandises auraient encore été en route, et qu'elles ne seraient encore entrées, ni dans les magasins du failli, ni dans ceux du commissionnaire chargé de les vendre pour le compte du failli.

>> Mais oserait-on dire que le vendeur primitif eût pu exercer cette Revendication, sans rembourser le prêteur de Rotterdam qui aurait intermédiairement acquis un droit de gage sur les marchandises?

» Oh! Je ne crains pas de dire qu'il n'y a pas un jurisconsulte qui pût aller jusques-là : et cependant c'est jusques-là qu'il faut aller pour faire prévaloir la Revendication exercée, dans

votre espèce, par le vendeur de votre commettant, sur le privilége que vous aviez légalement acquis, d'après l'art.93 du Code de commerce, avant l'arrivée des marchandises dans vos magasins; car ce privilége n'est ni moins favorable ni moins solide que celui qui s'acquiert par la voie du nantissement.

» Prétendre, après cela, que ce privilége ne peut avoir lieu que contre les créanciers du commettant, et qu'il est sans effet à l'égard du vendeur primitif, c'est bouleverser toutes les notions du droit.

» Sans doute, l'art. 2095 du Code civil définit le privilége un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires; mais l'art. 2073 du même Code dit pareillement que le gage confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose qui en est l'objet, par privilége et préférence aux autres créan ciers; et assurément on ne concluera point de ce dernier texte, que le gage acquis par nantissement sur des marchandises sujettes à Revendication de la part du vendeur primitif, s'évanouit à l'instant où le vendeur exerce la Revendication. Pourquoi donc en serait - il autrement du privilége acquis à un commissionnaire de la manière indiquée et garantie par l'art. 93 du Code de commerce? Ce privilége constitue, aussi bien que le gage, un droit réel; c'est par conséquent un droit qui s'exerce envers et contre tous; et par conséquent encore, il s'exerce envers et contre le vendeur revendiquant (qui d'ailleurs ne revendique, , que parcequ'il est lui-même créancier de son prix ), ni plus ni moins qu'envers et contre les autres créanciers du failli; autrement, il faudrait, en fermant les yeux à l'évidence elle-même, méconnaître la grande maxime que qui peut le plus, peut nécessairement le moins; il faudrait dire que le failli n'a pas pu engager ou affecter par privilége, au préjudice de son vendeur, des objets dont il aurait incontestablement pu, par une vente, assurer l'incommutable propriété à un

tiers.

» Par là se détruit encore l'objection tirée de ce que les articles du Code de commerce relatifs à la Revendication, ne rappellent pas le 93 qui concerne le privilége du commissionnaire. En ne le rappelant pas, le révoquent-ils, ou du moins le modifient-ils en faveur du revendiquant? Ni l'un ni l'autre. Il était inutile de le rappeler, parcequ'il subsistait par lui-même, parceque seul il suffisait pour mettre le commissionnaire à l'abri de toute inquiétude. La part du commissionnaire était faite par l'un : s'occuper de lui une seconde fois dans les au

tres, c'eût été une redondance indigne du style simple et majestueux des lois.

» A çes moyens de droit, que je regarde comme décisifs et péremptoires, se joignent toutes les considérations qui sortent de l'atteinte que porterait à la sûreté du commerce, et de la vaste porte qu'ouvrirait à la fraude, l'arrêt dont vous avez à vous plaindre, s'il était maintenu : je ne doute pas qu'elles ne contribuent puissamment à déterminer en votre faveur des magistrats qui ne sont pas moins attentifs aux intérêts généraux de la société, que fidèles et impartiaux organes des lois.

» Au surplus, quel motif pourrait les faire hésiter à casser cet arrêt?

» Douteraient-ils qu'il soit en opposition directe avec la loi, et que l'on puisse lui reprocher autre chose qu'un mal jugé? Cela est impossible.

» Cet arrêt ne peut pas co-exister avec l'art. 93 du Code de commerce, il faut, de toute nécessité, ou anéantir l'un, ou, en abrogeant l'autre, lui épargner le danger d'une violation ultérieure.

» En effet, sur quel fondement l'arrêt restreint-il cet article de manière à en exclure le cas de Revendication de la part du vendeur primitif des marchandises sur lesquelles le commissionnaire a fait des avances de bonne foi? Il ne le restreint ainsi que par le motif que la résolution de la vente primitive, faute de paiement du prix, entraîne la résolution des droits transmis intermédiairement à des tiers par le fait de l'acheteur failli. Or, ce motif est souverainement faux: il est surtout condamné par le rapprochement des art. 2279 et 2125 du Code civil, et de l'art. 578 du Code de commerce; articles qui, par leur ensemble, démontrent jusqu'à l'évidence que la résolution de la vente d'un meuble, faute de paiement du prix, laisse dans leur parfaite integrité tous les droits des tiers - acqué

reurs.

>>Mais du moment qu'il est impossible, je ne dis pas de justifier, mais de pallier le motif qui a déterminé l'arrêt à restreindre, comme il l'a fait, l'art. 93 du Code de commerce, que reste-t-il ? Rien que la généralité indéfinie et illimitée de cet article; cet article conserve nécessairement toute l'étendue que le législateur a voulu lui donner, et lui a donnée en effet; et, dès-lors, comment l'arrêt échapperait-il à la cassation?

>>Pour tout dire, en un mot, il faudrait, pour maintenir l'arrêt, sanctionner cet insoutenable paradoxe, que qui peut vendre incommutablement au préjudice du vendeur primitif, ne peut pas engager, affecter, hypothéquer incommu

tablement, au préjudice du même individu ».

Sur ces moyens, développés et mis dans un nouveau jour par M Crassous, avocat des sieurs Thuret et compagnie, à l'audience de la première et de la troisième chambre de la cour su. périeure de justice de Bruxelles, formées en cour de cassation, arrêt du 13 novembre 1818, par lequel,

« Attendu que, d'après la disposition de l'art. 578 du Code de commerce, il est incontestable que celui à qui on a vendu et livré des mar chandises dont il n'a pas payé le prix, peut néanmoins, pendant qu'elles sont encore en rou. te, les vendre à un tiers, au préjudice du vendeur primitif; que cette vente est incommutable,et que le droit acquis à ce tiers l'emporte sur le droit de Revendication accordé par l'art.576;

» Qu'il suit de là qu'il peut pareillement les engager, et les affecter par privilége; et que la Revendication qui s'en fait ensuite ne peut nuire, ni à l'engagement, ni au privilége dont elles ont été intermédiairement frappées;

» Et la raison de cette conséquence est facile à saisir; c'est que, suivant les principes reconnus vrais par tout le monde, il en est de la faculté d'aliéner comme de celle d'hypothéquer, d'affecter, d'engager; celui qui peut vendre incommutablement au préjudice de son vendeur, peut, de même, engager et affecter la chose, au préjudice de ce même vendeur; car qui peut le plus, peut le moins;

» Attendu, dans l'espèce de la cause, que c'est dans le temps que Cheminant et Kerckhove pouvaient vendre incommutablement, et au préjudice des défendeurs, les marchandises dont il s'agit, que les demandeurs ont acquis, en vertu de l'art. 93 du Code de commerce, le privilége qu'ils réclament; qu'ainsi, ce privilége ne pouvait leur être enlevé ;

» Attendu que l'arrêt attaqué a méconnu cette vérité; et qu'en la méconnaissant, il a violé ledit art. 93 du Code de commerce;

>> Ouï le rapport de M. le conseiller Faider et les conclusions conformes de M. le procureur général,

» La cour casse l'arrêt rendu par la seconde chambre de la cour supérieure de justice de Bruxelles, le 10 avril 1817; condamne les défendeurs aux dépens, ordonne la restitution de l'amende.... » .

II. La seconde question a été jugée, peu de temps après, par suite de la même affaire.

Les syndics de la faillite de Cheminant et Kerckhove ayant pris connaissance du jugement par défaut du tribunal d'Anvers, du 3 juin 1816, qui admettait la Revendication des sicurs Hawkes et Malonek, y ont formé opposition,

et ont demandé leur renvoi devant les tribunaux d'Angleterre.

Déclarés non-recevables dans cette opposition, sous le prétexte que les sieurs Cheminant et Kerckove avaient implicitement reconnu la compétence du tribunal d'Anvers, en laissant prendre défaut, ils se sont pourvus par appel devant la cour supérieure de justice de Bruxelles; et par arrêt du 22 janvier 1819,

« Considérant que, quoique le jugement par défaut du 3 juin 1816, contre Cheminant et Kerckhove, soit régulierement signifié, on ne voit cependant pas qu'il ait été exécuté contre eux ou leurs représentans, avant l'opposition y faite par ces derniers; que par conséquent, conformément à l'art. 158 du Code de procédure civile, ils étaient, aux termes de cette opposition, fondés à exciper de l'incompétence du juge

quo;

» Attendu qu'aux termes de l'art. 831 du Code de procédure civile, la demande en validité de la saisie-Revendication doit être poursuivie devant le tribunal du domicile de celui sur qui elle est faite;

» Attendu au surplus que les deux parties sont étrangères, ayant leur domicile en Angle terre, où d'ailleurs la convention a eu lieu; et qu'ainsi, dans l'espèce, aucune d'elles n'était justiciable des tribunaux du royaume des Pays-Bas;

» Par ces motifs, la cour, M. le premier avocat-général pour le procureur général entendu et de son avis, met le jugement dont appel, au néant; et faisant ce que le juge à quo eût dú faire, admet les appelans opposans audit jugement par défaut; et faisant droit, déclare que le tribunal d'Anvers était incompétent pour connaître de la matière; renvoie les parties à se pourvoir pour tout, y compris même les frais, devant qui de droit ».

§. VIII. Du principe que la demande en Revendication ne doit être intentée que con, tre celui qui possède ou détient la chose revendiquée, s'ensuit-il que, lorsqu'avant la Revendication d'un bien prétendu communal, ce bien avait été partagé, en exécution de la loi du 10 juin 1793, entre les habitans de la commune défenderesse, le juge doit mettre celle-ci hors de cause, sauf au demandeur à se pourvoir contre les possesseurs actuels ?

V. l'article Communaux, §. 1I.

§. IX. Les héritiers d'une femme qui n'a pas été personnellement partie dans une procédure dirigée contre son mari en Revendication d'immeubles possédés par ce

lui-ci comme propres de communauté, et dans laquelle le revendiquant conclud à la restitution des fruits perçus, ont-ils qualité pour reprendre l'instance? V. l'article Reprise d'instance, §. 2.

REVERSION. §. I. 1o Avant la loi du 17 nivóse an 2, le bisaïeul et la bisaïeule qui avaient constitué une dot à leur fille en lamariant, et lui avaient fait une donation entre-vifs après son mariage, pouvaient-ils, en pays de droit écrit, reprendre par droit de retour, dans la succession de leur arrière-petit-fils, décédé sans enfans après son père et sa grand’mère, les biens qu'ils avaient constitués en dot ou donnés entre-vifs à celle-ci?

2o Le pouvaient-ils, lorsque leur fille et leur petit-fils avaient disposé de tous leurs biens, l'une en faveur de son fils, l'autre en faveur du sien ?

Le 30 avril 1771, Joseph Delarivière et Etiennette Clavet, sa femme, domiciliés dans le Forez, marient Jeanne Delarivière, leur fille, à Pierre Feyon, et lui constituent en dot une somme de 10, 000 livres, dont 8, 000 payables comptant, et le surplus après leur

mort.

De ce mariage naît un enfant, nommé Jean Feyon. Quelques années après sa naissance, le 11 octobre 1782, Joseph Delarivière et sa femme, pour donner de nouvelles marques de leur amitié à leur fille, lui font, avec réserve d'usufruit, donation entre-vifs de tous leurs biens meubles et immeubles.

Le 12 avril 1785, Jeanne Delarivière, femme Feyon, fait un testament par lequel elle institue pour son héritier universel, Jean Feyon, son fils unique, en le grevant de substitution, en cas de mort sans enfans, au profit de différens neveux qu'elle appelle par ordre successif. Le 20 juin suivant, elle meurt.

Jean Feyon, son fils, devenu son héritier, épouse Anne Chosson, de qui il a une fille, nommée Marie-Clotilde Feyon.

Le 19 thermidor an 3, attaqué d'une maladie grave, il fait un testament dans lequel trois dispositions sont à remarquer: 1o il lègue à Anne Chosson, son épouse, l'usufruit de la moitié de ses biens; 20 il institue Marie-Clotilde Feyon, sa fille, héritière universelle; 30 dans le cas où elle viendrait à mourir avant lui, il lui substitue Anne Chosson, son épouse.

Le 21 germinal an 4, décès de Jean Feyon. Marie-Clotilde Feyon, sa fille, le suit de près: elle meurt le 18 ventôse an 5, laissant pour héritière ab intestat Anne Chosson, sa mère.

Le 28 prairial an 6, Joseph Delarivière et
TOME XIV.

Etiennette Clavet font assigner Anne Chosson, veuve de leur petit-fils et héritière de leur arrière-petite-fille, pour voir dire qu'ils sont rentrés, par droit de retour, dans tous les biens par eux constitués en dot et donnés entre-vils à Jeanne Delarivière, leur fille; et qu'en conséquence, elle sera tenue de leur restituer les 8,000 livres payées à Jean Feyon, leur gendre.

Anne Chosson répond 1o que le droit de retour a été anéanti par la survie d'un enfant de la donataire à celle-ci; 2o qu'il n'aurait pu avoir lieu que dans le cas où la donataire serait morte sans avoir disposé.

De là, deux questions à juger.

Le 4 floréal an 9, jugement du tribunal civil de l'arrondissement de Montbrison qui déclare que les biens constitués en dot et donnés entrevifs à Jeanne Delarivière par Joseph Delarivière et Etiennette Clavet, ont fait retour à leur profit; en conséquence, condamne Anne Chosson à leur rendre la somme de 8,000 livres reçue d'eux par Pierre Feyon, déduction faite de ce qu'elle justifiera devoir être déduit et compensé, et sauf la retenue de la moitié dont elle a l'usufruit par l'effet de la disposition de Jean Feyon, son mari.

Appel de la part d'Anne Chosson.

Lc 25 nivôse an 11, jugement du tribunal d'appel de Lyon qui infirme celui du 4 floréal an 9, et déboute Joseph Delarivière et Etiennette Clavet de leurs demandes, « attendu >>que Jeanne Delarivière, donataire, a laissé »à son décès un fils qu'elle a institué son héri» tier universel, par son testament du 12 avril » 1785; que cet enfant, institué héritier, a >>appréhendé la propriété des biens constitués >> et donnés à titre de succession ; qu'il en a lui. même disposé par testament du 19 thermidor »>an 3, en faveur de sa fille unique ; que l'effet » du retour légal, en supposant qu'il dût avoir >>lieu, a cessé par ces dispositions, et qu'elles font obstacle à son ouverture ».

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Joseph Delarivière et Etiennette Clavet se pourvoient en cassation.

« Ils attaquent (ai-je dit à l'audience de la section des requêtes, le 28 thermidor an 11). ils attaquent le jugement du tribunal d'appel de Lyon, comme violant à la fois la loi 6, D. de jure dotium, la loi 12, C. communia utriusque judicii, et l'art. 5 de la loi du 23 ventôse an 2.

» Ces lois, disent-ils, nous déféraient, pars droit de retour, les biens que nous avions donné à notre fille Jeanne Delarivière ; et cependant le tribunal d'appel de Lyon a jugé que ces biens n'étaient pas rentrés dans notre propriété. A la vérité, pour juger ainsi, il s'est fondé, d'une part, sur ce que Jeanne Delarivière avait laisse

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un enfant; et de l'autre, sur ce que son enfant et elle-même avaient disposé par leurs testamens de l'universalité de leurs biens; mais ce sont là de vains prétextes, la raison les condamne, et les lois ne les avouent pas.

» Il n'y a, en effet, selon nous, aucun doute que les dispositions de Jeanne Delarivière et de Jean Feyon, son fils, ne soient ici absolument insignifiantes.

» Ce n'est pas que nous regardions comme une loi proprement dite, relativement à la cause actuelle, la maxime avancée par Furgole, dans sa Question 24 sur les donations, que le retour légal étant fondé sur une stipulation tacite, inhérente à la donation, doit, comme le retour conventionnel, avoir son effet contre tous ceux qui possèdent les biens donnés, n'importe à quel titre; et que, par conséquent, il doit avoir lieu nonobstant les dispositions testamentaires ou entre-vifs faites par le donataire : que même il doit résoudre toutes les aliénations que le donataire a pu faire des biens donnés, et éteindre toutes les hypothèques dont il les a grevés.

» Nous savons bien que cette maxime, conforme, sinon à des textes positifs, du moins au véritable esprit des lois romaines, était invariablement reçue aux parlemens de Toulouse, de Grenoble et de Bordeaux, et que le parlement d'Aix, qui ne l'admettait pas à l'égard des aliénations

titre onéreux, y tenait fortement à l'égard des dispositions à titre gratuit.

de

>> Mais nous savons aussi, et Bonnelier, dans son Supplément aux notes sur les observations ajoutées par Raviot aux arrêts de Perrier, page 5, nous assure que le parlement de Dijon tenait, au contraire, pour principe, dans les pays droit écrit de son ressort, que l'effet du droit de retour cessait lorsque le donataire avait disposé, soit entre-vifs, soit à cause de mort, des biens qu'il possédait à charge de Réversion.

» Nous savons encore, et c'est ce qui mérite ici une attention particulière, que telle était également la jurisprudence du parlement de Paris, pour les ci-devant provinces de Forez, Lyonnais, Maconnais et Beaujolais. Quoique nous ayons (dit Henrys, liv. 6, chap. 5, quest. 13) soutenu deux ou trois fois le contraire, savoir, que la fille ne peut pas, par sa disposition, faire préjudice au droit de Réversion, on a toujours jugé que ce droit n'a lieu que ab intestat. Dans un autre endroit (liv. 5, quest. 126), il rapporte un arrêt du 7 septembre 1658, qui déclare le droit de retour de la dot éteint par l'institution que la fille dotée avait faite au profit de son mari.

» Et il n'est pas douteux que cette jurisprudence, si elle était applicable à notre espèce,

ne dût mettre le jugement attaqué à l'abri de la cassation; car les lois romaines ne sont obligatoires, pour les tribunaux actuels des pays de droit écrit, qu'autant qu'elles n'y ont pas été modifiées ou abrogées par les usages locaux.

Mais peut-on, dans notre espèce, argumenter de cette jurisprudence, contre le droit de retour réclamé par Joseph Delarivière et Etiennette Clavet? Ou, en d'autres termes,peuton regarder l'exercice de ce droit, comme incompatible avec les dispositions testamentaires de Jeanne Delarivière et de Jean Feyon?

» Qu'a fait Jeanne Delarivière par son testament du 12 avril 1785? Deux choses : elle a institué pour son héritier universel, son fils unique Jean Feyon, et elle lui a susbstitué fidéi-commissairement ses neveux, dans le cas où il viendrait à mourir sans enfant.

si

>> De ces deux dispositions, la seconde, elle avait eu lieu, c'est-à-dire, si Jean Feyon, aprés avoir recueilli la succession de sa mère, était venu à décéder sans enfant, aurait infailliblement éteint le droit de retour au préjudice de Joseph Delavrière et d'Etiennette Clavet. Mais l'événement duquel Jeanne Delarivière avait fait dépendre sa substitution fidéi-commissaire, n'étant pas arrivé, cette disposition doit être considérée comme non écrite ; et dèslà, il est évident qu'elle ne peut être d'aucun effet relativement au droit de retour.

» Quant à l'institution de Jean Feyon dans tous les biens de sa mère, comment aurait-elle pu éteindre le droit de retour, si ce droit, par sa nature, pouvait s'exercer sur la succession du petit-fils, comme sur celle de la fille donataire? Dans cette hypothèse, Jean Feyon n'aurait reçu, par son institution, que ce qui lui était assuré par la loi. Héritier naturel de sa mère, il n'aurait possédé les biens donnés à sa mère qu'à la charge de retour; il n'aurait donc pas pu les posséder sans cette charge, en les recueillant comme héritier testamentaire. Le testament de sa mère, dans cette hypothèse, n'aurait rien ajouté à ses droits, il n'en aurait été que déclaratif; il n'aurait par conséquent pas dénature, dans ses mains, les biens que sa mère lui avait transmis ; et ce qui le prouve incontestablement, c'est qu'en pays coutumier, le fils ne possédait pas moins comme propre, ce qui lui advenait par le testament de son père, que ce qu'il recueillait comme héritier ab intestat de celui-ci.

» Les mêmes observations s'appliquent au testament de Jean Feyon, du 19 thermidor an 3. Par ce testament, Jean Feyon fait, à quelques légères différences près, les mêmes dispositions que sa mère avait faites le 12 avril 1785; il institue sa fille unique héritière uni

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