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former des doutes sur leurs intentions à cet égard, les consé quences d'une telle incertitude ne fussent de nature à compromettre la paix générale. Le protocole d'échange resta ouvert pour la Prusse, l'Autriche et la Russie, qui essayèrent encore une fois de terminer le différent belge-hollandais en obtenant de mutuelles concessions des deux parties.

Le cabinet russe envoya le comte Orloff à La Haye, où il arriva le 20 février, avec la mission spéciale d'engager le roi de Hollande à accepter le traité dans son état actuel, sauf à modifier ses articles par un autre traité définitif entre les deux pays. Cette mission, qui était la preuve la plus évidente que la Russie n'avait point d'armée à mettre aux ordres du roi de Hollande, n'eut pourtant aucun succès. Le cabinet hollandais exposa les changements qu'il était disposé à faire aux premiers protocoles pourvu qu'ils fussent insérés dans un nouveau traité; mais il ne voulait pas consentir à se lier par celui qui existait, avec la chance d'obtenir par des négociations futures ce qu'il croyait avoir le droit d'exiger comme condition essentielle de tout arrangement. Il demandait, 1o la rectification de l'article qui a rapport à la navigation intérieure et au droit de pilotage et de balisage sur l'Escaut, rectification qui était à faire conformément au memorandum hollandais du 14 décembre dernier; 2° la suppression du projet de route ou canal à l'usage des Belges dans la province de Limbourg; 3° la capitalisation de la partie de la dette attribuée à la Belgique (la citadelle d'Anvers et les forts sur l'Escaut resteraient au pouvoir des Hollandais jusqu'à ce que cette capitalisation fùt effectuée); 4o un arrangement relatif à la liquidation du syndicat d'amortissement en harmonie avec les propositions contenues dans le memorandum du 14 décembre et dans le projet présenté le 30 janvier dernier par les plénipotentiaires hollandais: 5o afin d'assurer à la Hollande une contiguïté de possessions et une libre communication entre Bois-le-Duc et Maestricht, dans le sens de l'annexe A du 12e protocole, en compensation des colonies cédées par la Hollande, le terri

toire hollandais dans le Limbourg comprendrait, outre la portion accordée par le traité, les communes de Lommel et de Zuid Willems-Vaart, avec celles qui bordent le canal, et un rayon nécessaire pour la sûreté de Maestricht; 6° l'échange total ou partiel du Luxembourg serait réservé pour une négociation spéciale et prochaine. A ces conditions le roi Guillaume proposait de reconnaître l'indépendance de la Belgique et la royauté de Léopold ; il était d'ailleurs expressément stipulé que cette ouverture serait considérée comme nulle si aucun arrangement basé sur ces propositions ne s'ensuivait.

Le comte Orloff quitta La Haye le 22 mars, ayant remis à cette cour, de la part de l'empereur Nicolas, une déclaration par laquelle elle était informée que la Russie ayant épuisé tous les moyens de persuasion et de conciliation, la Hollande n'avait à en attendre désormais ni secours ni appui (voy. l'Appendice). S. M. I. ne prendrait point part à des moyens qui auraient pour but de contraindre le roi des Pays-Bas, par la force des armes, à souscrire aux 24 articles; mais considérant qu'ils contiennent les seules bases sur lesquelles puisse s'effectuer une séparation de la Belgique et de la Hollande, sauf les amendements admissibles dans un traité final entre les deux pays, S. M. I. pensait qu'il était juste et raisonnable que la Belgique restât en possession des avantages résultant pour elle des articles en question, et notamment de la neutralité déjà reconnue en principe par le roi des Pays-Bas. Par une conséquence nécessaire de ce principe, S. M. I. ne s'opposerait à aucune mesure répressive que la conférence adopterait pour garantir et défendre cette neutralité, si elle venait à être vio

lée

par le renouvellement des hostilités de la part de la Hollande. Dans le cas où malheureusement cela arriverait, S. M. I. se réservait de s'entendre avec ses alliés sur les moyens les plus propres à rétablir promptement cette neutralité, afin de préserver la paix générale de toute atteinte. La Prusse et l'Autriche adhérèrent de tous points à cette déclaration.

Cependant la Belgique qui avait vis-à-vis de la conférence

l'avantage de pouvoir réclamer l'accomplissement d'un traité signé par les représentants de toutes les puissances qui la composaient, était plus impatiente que jamais de tout délai et demandait une ratification et une exécution immédiate. L'état d'incertitude et d'angoisse où elle languissait, et qui paralysait son commerce et son industrie; les fausses nouvelles, les bruits alarmants que répandaient les organes de l'opinion orangiste, à qui les temporisations des trois cours servaient de moyen pour alimenter l'inquiétude générale; la situation précaire d'Anvers toujours sous le coup du canon hollandais, tout cela faisait que le public et les Chambres manifestaient avec une égale force leur défiance et leur lassitude des lenteurs de la diplomatie.

Déjà, dans la discussion de la liste civile, au mois de février, un membre du sénat, M. le comte de Robiano, s'était vivement élevé contre la proposition de la voter pour toute la durée du règne, lorsque l'étendue du pays, ses ressources, le nombre de ses contribuables et son existence même n'étaient pas encore définitifs. L'orateur demandait que la liste civile ne fût que temporaire et conditionnelle. Mais, quelque disposé que fût le sénat à partager l'opinion de M. de Robiano sur le malaise de la Belgique, le projet de loi n'en fut pas moins adopté à la presque unanimité des voix, tel qu'il avait été voté le 2 février, sans discussion, pour ainsi dire, par la Chambre des représentants. Ce projet fixait la dotation royale à la somme annuelle de 1,300,000 florins (2,751,320 francs), et mettait à sa charge l'entretien et l'ameublement des châteaux de Bruxelles, de Lacken et d'Anvers, déclarés résidences royales.

Les accusations furent plus formelles, les interpellations plus pressantes dans la Chambre des représentants, lorsqu'elle vint à discuter le budget. Plus d'une fois, le ministre des affaires étrangères, M. de Meulenaëre, dut prendre la parole pour expliquer et justifier le système du gouvernement. Ce système n'avait encore produit que les ratifications de la France et de l'Angleterre, et c'est à présenter ce résultat sous

le jour le plus favorable qu'il s'attacha dans la séance du 21 mars. Après avoir dit que la diplomatie avait réconcilié la Belgique avec l'Europe et réalisé pacifiquement le but de la révolution, l'indépendance belge, il ajoutait :

La révolution de juillet a pris l'initiative en acceptant le système politique des traités de 1815; et, en entrant dans la voie des négociations, la Belgique a dû suivre la France. Au point où nous sommes parvenus, notre nationalité, notre indépendance, ne sont plus un problème; aucun incident politique, une guerre, même malheureuse, avec la Hollande, ne pourraient amener notre anéantissement comme nation. Depuis l'acceptation des 24 articles, le gouvernement n'a eu et n'a pu avoir d'autre système que de les maintenir, de conserver à cet acte son caractère d'irrévocabilité et de parvenir à son exécution. La Belgique n'est plus en cause; 'Angleterre et la France sentent qu'il est de leur honneur qu'un traité qu'elles ont solennellement ratifié soit maintenu. Ce traité, ainsi ratifié, est à l'abri des vicissitudes ministérielles. Je vais jusqu'à dire que, pour l'annuler, il faudrait un changement de dynastie soit en France soit en Angleterre.

A l'égard des modifications dont le public est vivement occupé depuis quelque temps, le gouvernement n'a reçu de communications d'aucun genre: il a donné pour instructions invariables à ses agents à Londres et Paris de regarder toute modification préalable comme impossible, et de e déclarer en toutes occasions. Tandis que nous tenions ce langage à l'étranger, nous avons continué à organiser à l'intérieur notre armée : car nous avons compris qu'à la suite d'une révolution la diplomatie n'est rien si elle n'est appuyée par des armements. Nous croyons être sur le point de recueillir les fruits des négociations entamées depuis l'acceptation des 24 articles. Ce n'est pas au gouvernement qu'il faut imputer les hésitations et les retards. Notre position, à l'égard de la conférence de Londres, et en particulier vis-à-vis des puissances qui ont ratifié le traité, est facile à saisir. En nous proposant les 24 articles, les cinq cours, dans une note du 15 octobre 1831, se sont réservé la tâche et ont pris l'engagement d'obtenir l'adhésion de la Hollande à ces articles, quand même elle commencerait par les rejeter. La France et la Grande-Bretagne, en ratifiant le traité, lui ont donné le caractère d'une convention irrévocable faite séparément par la Belgique avec chacune de ces puissances. La Belgique peut donc se prévaloir de deux genres d'engagements, des engagements contractés par la conférence, alors qu'elle proposa les 24 articles, et des engagements contractés par la France et l'Angleterre par leur ratification. Ces engagements n'ont pas été pris légèrement et à huis-clos, mais à la suite de longues et laborieuses négociations, auxquelles toute l'Europe a, en quelque sorte, assisté; ils ont été contractés à la face du ciel et de la terre, et pas un homme dans le monde civilisé n'en ignore ni la nature ni la gravité. Méconnaître ces engagements, les révoquer aujourd'hui, ce serait rendre désormais toute négociation impossible; ce serait nier le droit des gens, la morale des nations. Le gouvernement belge a compris ses droits et ses devoirs, mais aussi il a fait la part des circonstances; il a pensé que des réclamations trop vives, faites dès l'expiration du premier terme fixé pour l'échange des ratifications, auraient pu amener une rupture entre les

cinq cours; il n'a pas voulu être responsable de cette rupture devant l'Eu rope; il a pu consentir à des prorogatious successives, mais il croit être arrivé à la dernière. Nous savons, Messieurs, que nous ne pouvons prendre le langage d'une puissance de premier ordre; mais la déférence a des bornes, et, en politique, la faiblesse, le désir de ne contrarier personne, amène rarement des résultats favorables: nous sommes d'ailleurs forts de nos droits; nous avons pour nous la parole de deux grandes puis

sances. »

Un mois tout entier s'écoula encore avant que M. de Meulenaëre ne pût reparaître à la tribune pour annoncer que la question du traité du 15 novembre avait fait un nouveau pas.

Le 5 avril, les plénipotentiaires de France et d'Angleterre avaient annoncé à ceux des trois autres puissances qu'ils étaient fondés à croire que ceux-ci avaient reçu maintenant les pouvoirs nécessaires pour ratifier le traité, et ils les invitaient à déclarer qu'ils étaient prêts à échanger les ratifications, ou, sinon, à expliquer les circonstances qui les en empêchaient. Les ministres de Prusse, d'Autriche et de Russie, répondirent qu'ils n'étaient pas encore autorisés à ratifier; que la raison de ce retard était dans les efforts que ces puissances avaient tentés pour obtenir l'assentiment de la Hollande aux 24 articles, et que les négociations, à cet effet, s'étaient terminées trop récemment pour que des ordres définitifs leur fussent parvenus. Les ratifications de la Prusse et de l'Autriche arrivèrent quelques jours après. Leurs plénipotentiaires exprimèrent le désir d'ajourner l'échange jusqu'à ce que celle de la Russie eût été envoyée; mais, sur le motif allégué par la France et l'Angleterre qu'il était nécessaire de dissiper une défiance et des alarmes sans fondement, l'Autriche et la Prusse ratifièrent le 16 avril, le protocole restant ouvert pour la Russie, dont la ratification ne se fit plus attendre long-temps. Ces puissances ajoutèrent toutefois à leur ratification la clause que les conditions sur lesquelles la Hollande et la Belgique finiraient par s'entendre feraient partie du traité. La Prusse manifesta en outre l'espérance que la conférence elle-même s'occuperait des modifications en faveur de la Hollande qui pourraient être introduites dans le traité des 24 articles. L'Au

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