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triche et la Prusse, comme membres de la confédération germanique, réservèrent aussi les droits de la Diète de Francfort relativement à la cession que le traité stipulait d'une partie du Luxembourg à la Belgique.

Ces ratifications en termes si peu explicites furent accueillies d'autant moins favorablement en Belgique qu'un nouvel événement était venu embrouiller les négociations. Ou se rappelle qu'une tentative d'insurrection avait été faite à la fin de l'année dernière, par un baron de Tornaco, dans le Luxembourg, et s'était promptement terminée par la prise ou la dispersion des insurgés. Une partie de la bande, afin d'avoir un otage pour la sûreté de ceux de leurs complices qui avaient été saisis, formèrent un guet-apens contre M. Thorn, gouverneur du Luxembourg et membre du sénat belge, l'enlevèrent de sa maison de campagne le 16 avril et l'emmenèrent à Luxembourg, où il fut jeté dans une prison comme accusé de s'être révolté en 1830 contre son souverain, d'avoir contribué de tout son pouvoir à renverser le gouvernement du grand-due et à réunir la province à la Belgique. M. Charles de Brouckère faillit être surpris de la même manière près de Maestricht, et pour un moment on put croire que la Hollande allait faire à la Belgique une véritable guerre de flibustiers. Le gouvernement belge réclama énergiquement contre cet attentat qu'il dénonça avec raison comme une violation de la loi des nations et une insulte à la dignité du pays. Il s'adressa aussitôt aux cabinets de Paris et de Londres ainsi qu'à la conférence, pour obtenir réparation de l'injure faite à la Belgique dans la personne de M. Thorn.

Cet enlèvement porta au comble l'irritation des Belges. Dans la Chambre des représentants, où il fut considéré par quelques membres comme un cas de guerre, il n'y eut qu'une voix pour presser le gouvernement de se mettre en mesure. Le ministère ne résista point à cet entraînement, quoiqu'il eût déjà beaucoup fait pour organiser l'armée sur un pied respectable, avec l'ajde de plusieurs généraux français. L'un d'eux, le général

Évain, avait même reçu des lettres de grande naturalisation, pour pouvoir occuper le ministère de la guerre.

Sur ces entrefaites, la Russie avait aussi ratifié le traité du 15 novembre: mais cette ratification qui était donnée, sauf les modifications à apporter, dans un arrangement définitif entre Ja Hollande et la Belgique, aux articles 9, 12 et 13, causa, plus encore que celles de l'Autriche et de la Prusse, un vif mécontentement dans la Chambre des représentants. Le ministre des affaires étrangères avoua que le plénipotentiaire belge avait dépassé ses instructions en acceptant la ratification de la Russie. Toutefois, en regrettant que la ratification russe ne fût pas pure et simple, il y aurait mauvaise foi, ajoutait le ministre, et même déraison à méconnaître les grandes conséquences politiques de cet acte.

Il n'en rencontra pas moins dans la Chambre une opposi tion presque unanime. « En de pareilles circonstances, disaiton, ce qu'il faut c'est le rappel immédiat de notre envoyé à Londres, ce sont des mesures énergiques, nous nous en sommes toujours bien trouvés (M. Dumortier). D'ailleurs l'enlèvement de M. Thorn n'est pas une violation du droit des gens; c'est un acte d'hostilité que nous avons le droit de repousser par un autre acte d'hostilité, car nous sommes en état de guerre (M. Charles de Brouckère). Il est temps, continuait le même orateur, de couper court aux attermoiements: si le ministère ne veut pas prendre des mesures, c'est à nous de les provoquer et avant la fin de la séance je déposerai sur le Lureau la proposition d'une adresse au roi. »

Après tout ce qui s'est passé, disait M. Destouvelles, notre défiance est bien légitime. Voyez la Russie ratifiant le 18 janvier, et n'échangeant sa ratification que trois mois après. Remarquez tout ce qui a dû suivre : voyez l'envoyé russe allant sonder le terrain à la cour de Prusse, à La Haye, et n'arrivant à Londres que pour s'entendre avec les plénipoten tiaires de Prusse et d'Autriche, afin de ratifier, tout en rendant les ratifications illusoires. L'Autriche fait des réserves dans l'intérêt de la confédé ration germanique; la Prusse et l'Autriche se chargent de la question du Luxembourg; enfin la Russie se réserve la navigation des eaux intérieures, du chemin de Sistard et de la dette. Tous les rôles sont bien partagés, et

la victime de ce drame, c'est la Belgique. L'énergie seule pourra la tirer de l'abîme où les voies diplomatiques l'ont entraînée. »

Enfin, sur la proposition de MM. Gendebien et Leclercq, qui avaient soutenu que la Belgique ne devait plus avoir foi dans la conférence de Londres, la Chambre nomma une commission chargée de rédiger au roi une adresse dans ce sens (12 mai).

Bientôt la commission eut connaissance d'une note en date du 11 mai, que l'envoyé belge, M. Van de Weyer, avait reçu ordre de mettre sous les yeux de la conférence et dont le langage ferme et digne attestait que le ministère avait devancé les vœux de la Chambre. Cette note déclarait que le gouvernement belge s'abstiendrait de toute négociation ultérieure, jusqu'à ce que le traité eût reçu un commencement d'exécution dans les parties non susceptibles de modifications d'après les trois cours du Nord elles-mêmes, c'est-à-dire jusqu'à l'évacuation du territoire irrévocablement attribué à la Belgique. Les membres de la commission pensèrent que l'adresse projetée ne pouvait pas aller plus loin que cette note, et il fut convenu qu'on ne ferait qu'en paraphraser le fond pour donner au roi l'assurance qu'afin de soutenir ce système la Belgique était prête à tous les sacrifices. L'adresse conçue dans cet esprit fut adoptée à l'unanimité et remise au roi le jour même (14 mai). Le sénat vota aussi et présenta une adresse semblable.

Mais, par une nouvelle transgression de ses devoirs, l'envoyé Felge à Londres ne remit point à la conférence la note du 11 mai. Ce fait, rapproché de l'acceptation de la ratification russe sans autorisation, fit croire qu'il y avait deux directions dans la politique du gouvernement : celle du ministère et celle d'une influence occulte à laquelle l'ambassadeur obéissait de préférence. La Chambre prit alors le parti de refuser un nouveau crédit demandé par le ministre de la guerre jusqu'à ce que la note eût été remise. Le général Goblet fut chargé de cette mission, et il partit pour Londres, où il continua avec la confé

rence les négociations commencées par M. Van de Weyer, qui n'en conserva pas moins son titre de plénipotentiaire.

Cependant la Chambre, mécontente de ce que le gouvernement persévérait dans un système de temporisation dont la Belgique se trouvait si mal, ne cessa pas de harceler le ministère de ses plaintes jusqu'au jour (18 juillet) où une ordonnance royale le tira d'embarras en déclarant la session close, et mit fin à toute demande d'explications sur l'état des affaires extérieures.

Entre les lois les plus remarquables qui sont émanées de cette législature, il faut citer la loi qui a fondé l'organisation judiciaire sur le principe de l'inamovibilité, celle qui a établi en Belgique le système monétaire français, et la création d'un ordre national au nom de Léopold, destiné à récompenser les services rendus à la patrie.

Reprenons maintenant les négociations qui se poursuivaient à Londres, au point où nous les avons laissées plus haut.

La conférence avait déclaré le 4 mai aux plénipotentiaires hollandais que le traité maintenant ratifié par les cinq puissances formait la base invariable de la séparation, de l'indépendance, de la neutralité et de l'état territorial de la Belgique. La cession d'une portion du Luxembourg était donc définitivement fixée; mais les termes de cette déclaration ne semblaient pas exclure la possibilité de quelques changements sur d'autres points en litige, tels que la navigation intérieure et la dette. En même temps la conférence avait demandé à être informée si les plénipotentiaires hollandais étaient autorisés à négocier un traité séparé avec la Belgique; elle avait requis pareillement que M. Thorn fût mis en liberté. Les plénipotentiaires, dans leur réplique en date du 7, répétèrent que l'état territorial fixé par le traité était essentiellement contraire aux arrangements conclus précédemment entre la Hollande et les cinq puissances. Toutefois ils exprimèrent leur satisfaction de ce qu'il y avait une perspective d'arrangements favorables et d'amendements à plusieurs articles jusqu'alors inadmissibles;

ils ajoutèrent que, si le même système de modifications était appliqué à d'autres articles, il conduirait au terme de toutes les discussions et à la consolidation de la paix générale. En réponse à la question relative à la faculté de traiter avec la Belgique, ils s'en référèrent aux pleins pouvoirs en vertu desquels ils avaient agi jusqu'à présent, et qui les autorisaient à traiter directement avec la conférence. Ils annoncèrent ensuite, par ordre de leur cour, que lorsqu'un traité de séparation aurait été négocié entre les cinq puissances et la Hollande, celleei ne ferait aucune difficulté d'en conclure un autre avec la Belgique sur les bases du premier. Quant à la mise en liberté de M. Thorn, ils déclarèrent verbalement que, quoique son arrestation n'eût pas eu lieu d'après les ordres du gouvernement hollandais, le roi ne pouvait oublier que plusieurs de ses sujets étaient détenus en Belgique sans plus de motifs, et ils indiquèrent la convenance et la justice d'un échange.

Dans son protocole du 29 mai, la conférence exprima l'opinion que ces prisonniers n'étaient pas dans le même cas que M. Thorn; que, puisque l'arrestation avait été faite sans l'autorisation du grand-duc de Luxembourg, qu'elle n'était pas avouée par lui, ils avaient la ferme espérance que M. Thorn serait rendu sur-le-champ à la liberté. En conséquence ils avaient consenti à solliciter de la Belgique l'élargissement des personnes qui y auraient été arrêtées par voie de représailles et à réclamer aussi la mise en liberté de ceux qui avaient ap partenu aux bandes insurgées dans le Luxembourg (1).

Les plénipotentiaires hollandais avaient également communiqué à la conférence les changements que la Hollande demandait dans le traité du 15 novembre. Si ces changements n'étaient

(1) Ces insurgés, mis en jugement à Namur, furent acquittés et rendus à la liberté, ce qui n'empêcha pas M. Thorn de rester prisonnier. Ce ne fut que vers la fin de l'année que la diète germanique consentit à l'échanger contre un membre du gouvernement civil de Luxembourg (M. Pescatore), que la gendarmerie belge avait arrêté par représailles, au mois d'octobre. Ann. hist. pour 1832.

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