Page images
PDF
EPUB

quatre siècles, objets d'admiration et d'envie pour toutes les nations de l'Europe, le ministère pensait qu'on ne pouvait mieux en confier la garde qu'à la royauté, ne fût-ce que pour empêcher leur conservation d'être mise en question chaque année par le vote des lois de finance.

Des raisons analogues conduisaient le président du conseil à demander le maintien dans la dotation royale de divers établissements d'industrie, tels que les manufactures de Sèvres et des Gobelins, qui sont aussi des établissements nationaux, des ateliers modèles dont la perfection est d'une veritable utilité aux progrès des arts et des industries particulières sans jamais entrer avec elles dans une concurrence dangereuse.

Enfin, après avoir parlé des charges et des dépenses inhérentes à la royauté, M. Casimir Périer arrivait à la somme nécessaire pour constituer la liste civile (1). Mais, ne voulant pas aborder ce sujet, par un sentiment de convenance plus facile à saisir qu'à exprimer, le ministre annonçait que, d'accord avec une auguste volonté, il laissait à la Chambre le soin de résoudre cette question et même de la poser.

Avant que la commission chargée d'examiner le projet de loi dont nous venons de rapporter brièvement les motifs eût communiqué son travail à la Chambre, un des membres de cette commission, M. de Cormeuin, avait commencé par publier dans les journaux des lettres sur la liste civile (2), qui firent une vive sensation. Elles abordaient toutes les questions relatives à la liste civile et s'appliquaient à les résoudre de manière à restreindre, dans les limites aussi étroites que possible, la double dotation de la royauté.

Il s'en fallut de beaucoup que les idées émises par M. de Cor

(1) Cette somme était fixée à 18 millions dans le projet de loi présenté par M. Laffitte, le 15 décembre 1830,

(a) Elles ont paru dans le Courrier français et dans le National des 24, 23 et 31 décembre 1831, et du 4 janvier 1832.

menin fussent adoptées par la commission nommée pour examiner le projet de loi.

[ocr errors]

La France, disait-elle par l'organe de M. de Schonen, dans la séance du 29 décembre 1831, donne au roi, pour la dotation de sa couronne, Paris, le Louvre et les Tuileries, palais consacrés depuis long-temps à la demeure de nos rois, et qui ne peuvent convenir qu'à eux, comme les représentants de la majesté du peuple français; et dans les départements, les châteaux, parcs, domaines, forêts de Versailles, Marly, Meudon, Saint-Cloud, Saint-Germain, Fontainebleau, Compiègne, Rambouillet et Pau. Nous lui donnons beaucoup, Messieurs, car nous lui donnous le Jeu de Paume de Versailles. (Sensation.)

- Cette dotation, ainsi que vous le remarquez, Messieurs, sauf cependant de nombreuses distractions sur lesquelles nous appellerons bientôt votre attention, est à peu près la même que celle de 1791 et de 1814.

Après un long examen, la commission avait aussi été d'avis, à peu près unanime, pour conserver dans le domaine de la couronne les manufactures, ces monuments d'une grande et habile industrie qu'aucune entreprise particulière ne saurait égaler.

Les manufactures, continuait le rapporteur, sont moins des établisse ments commerciaux que des écoles pour les élèves, des musées et des ļaboratoires pour les savants. Sèvres renferme tout ce qui tient aux arts céramiques; c'est le dépôt le plus complet de toutes les poteries, faïences et porcelaines du monde à toutes les époques. Les Gobelins sont une école de teinture. L'une et l'autre n'ont pas pour but le profit, mais le perfectionnement. Les Gobelins et Beauvais subviennent aux besoins de la couronne et ne vendent rien aux particuliers. Sèvres, quelle que soit l'élévation de ses prix, toujours au-dessus de ceux du commerce, vend à perte; il n'y a donc point de concurrence, et par conséquent point de monopole.

De cet état de choses résultent une perfection dans les produits qui enfante l'emulation, et des découvertes d'une grande utilité, soit pour la théorie des arts, soit pour leurs procédés, et que jamais les savan's directeurs de ces établissements n'auraient eu le moyen de faire dans une position moins favorable.

. Beauvais offre des travaux d'un genre particulier; ils sont, pour le dessin d'ornement, ce que ceux des Gobelins sont pour les tableaux. En un mot, ces industries sont l'étonnement de l'étranger et l'orgueil du pays.»

Passant à la dotation mobilière, M. de Schonen annonçait qu'ici la commission s'était divisée; les uns voulaient que ces objets précieux décorassent un musée qui resterait étranger à la couronne et à l'administration des domaines; un ministre responsable en serait chargé. Ce musée aurait même pu coati

[ocr errors]

nuer à occuper les galeries du Louvre. Les autres, et ceux-là formaient la majorité, avaient cru qu'ils ne sauraient être mieux placés que dans les palais qu'ils décoraient actuellement.

Enfin la commission pensait, contrairement aux dispositions du projet ministériel, que la caisse de vétérance de l'ancienne liste civile ne pouvait se confondre avec la nouvelle : elle admettait en principe, et suivant toute la rigueur du droit, que les apanages avaient fait retour à l'État dès le moment même de l'avènement du roi; mais elle les réunissait au domaine de la couronne, qui n'est qu'un dépôt viager dans les mains du monarque. Elle décidait affirmativement la question du domaine privé, et finissait par proposer de fixer à une somme annuelle d'un million qui serait élevée jusqu'au double à l'époque de son mariage, la dotation de l'héritier du trône.

Restait à s'expliquer sur le montant de la liste civile ellemême. Sur ce point, la commission s'était partagée en deux fractions égales qui, après avoir reconnu à l'unanimité, disait le rapporteur, que la dot nationale dont la France veut honorer son roi, doit être digne d'elle et de lui, voulaient, la première, que le chiffre de la liste civile fût fixé à 12 millions 500,000 francs, et la seconde à 14 millions.

La liste civile actuelle, disait en terminant M. de Schonen, ne sera plus que de 15 millions, y compris le million du prince royal; 18 millions de valeurs immobiliaires seront, en outre, distraits de l'ancienne dotation. Certes, voilà d'importantes économies: 20 millions 500,000 fr. de charges annuelles de moins, et 18 millions de capitaux rendus au commerce ou à des services publics! Craignons que de plus grandes ne soient point un véritable allégement, et quelles ne jettent au contraire dans la perturbation.

Dans le sein de la commission, il a été convenu, à peu près unanimement, qu'une dette avait été contractée envers la capitale, et que c'était au roi qu'il appartenait de l'acquitter ; c'est l'achèvement du Louvre, et sa réunion, trop long-temps retardée, au palais des Tuileries. Nous n'avons laissé, dans le domaine de la couronne, les maisons sises sur le Carrousel et dans les rues adjacentes, que pour être démolies, et nous avons fait les uns et les autres entrer dans nos calculs un chiffre de deux millions à employer par an à ces travaux et pour les acquisitions qui en sont la conséquence.

[ocr errors]

Vous parlerai-je des voyages du roi et du prince royal? Vous le savez,

c'est la première fois que ces visites se font aux frais des princes et aux véritables acclamations des peuples qui se voient enrichis, en quelque sorte, par ce qui les ruinait naguère. Voilà des dépenses nouvelles et d'un intérêt national. Autrefois, les rois s'enfermaient avec le petit nombre de leurs leudes, de leurs fidèles, dans l'intérieur de leurs châteaux. La royauté populaire de juillet ouvre ses salons à tous les citoyens. Le roi est en quelque sorte l'hôte de la nation.

Enfin, Messieurs, lui et la reine ont encore d'autres devoirs à remplir, c'est d'atteindre là où la loi ni l'action régulière du gouvernement ne sauraient intervenir; et, quoi qu'on en ait dit, ils doivent être une providence pour toutes les infortunes publiques et privées.

• Messieurs, dans la position particulière où je me trouve placé comme liquidateur de l'ancienne liste civile, mieux que personne je pourrais vous dire quels maux cette providence peut soulager, quelles douleurs elle peut calmer, et quels désespoirs elle peut arrêter!

Nous avons donc cru, Messieurs, que ce n'était pas prodiguer l'argent des citoyens que de donner à la royauté le moyen de remplir sa haute et généreuse mission.»

A la suite de ce rapport il s'éleva un débat assez vif sur une proposition de M. Lherbette, tendant à obtenir l'impression et la communication de plusieurs pièces relatives à la liste civile; débats qui se renouvelèrent à la séance du 2 janvier pour cause d'insuffisance des pièces imprimées et communiquées, et que nous croyons convenable de laisser à l'écart, afin d'arriver plus tôt à la discussion générale qui s'ouvrit deux jours après.

Séance du 4 janvier. Les premiers orateurs entendus, traitant tour à tour la question de la liste civile sous ses rapports fiuanciers, politiques et moraux, s'accordaient tous pour combattre l'élévation du chiffre fixé par la commission. Selon M. de Corcelles, un revenu décent, avec la jouissance des deux plus beaux palais de la capitale et de trois ou quatre habitations royales à la campagne suffisaient incontestablement pour assurer à la couronneune situation libre, commode, fort audessus de toutes les fortunes privées, supérieure même à l'état de maison de la plupart des souverainetés étrangères. Partant de cette assertion, l'honorable membre s'attachait à réfuter les arguments de ceux qui mettaient la force et l'indépendance de la royauté dans l'immensité de ses revenus, l'étendue de sa clientèle et le prestige des arts employés à lui faire une auréole, une sorte de culte extérieur propre à subjuguer les ima

M. Dupont ne jugeait pas avec moins de sévérité la liste civile proprement dite, et finissait par ces paroles, qui forment la substance de son discours :

[ocr errors]

Messieurs, je me plaignais tout à l'heure de l'insuffisance des documents fournis par la commission; il en est un qui est à notre portée à tous, c'est la détresse publique, en présence de laquelle je n'aurais jamais le courage d'être prodigue de la fortune publique, quand même je n'aurais pas été de tout temps partisan des gouvernements à bon marché.

Je sais, Messieurs, que ce mot gouvernement à bon marché sonne mal à l'oreille de certaines personnes; permis à chacun de penser d'une autre manière que moi; mais je crois pourtant pouvoir dire que le prestige qui s'attachait autrefois aux gouvernements fastueux et dépensiers s'est considérablement affaibli dans l'esprit des peuples, et que le meilleur conseil à donner aux rois, c'est de coûter le moins cher qu'ils pourront à ceux qui leur ont confié le soin de les gouverner, et qui leur feront en affection et en reconnaissance les meilleures listes civiles qu'il y ait au monde.

« D'après ce que je viens de dire, vous croyez bien, Messieurs, que je ne voterai le chiffre ni de l'une ni de l'autre partie de votre commission; car je suis profondément convaincu que 12 millions, tout compris, suffisent grandement à tous les besoins de la liste civile du roi,

• Si par malheur la dotation de la couronne reste maintenue telle qu'elle existe aujourd'hui, et si le roi en réunit le revenu à ceux de ses biens personnels et de l'apanage d'Orléans, je voterai six millions de liste

civile.

[ocr errors]

Si vous réduisez la dotation de la couronne aux palais des Tuileries, du Louvre, de l'Elysée-Bourbon, du Palais-Royal, et des palais de SaintCloud et de Fontainebleau, avec toutes leurs dépendances, je voterai neuf millions.

Dans l'un et l'autre cas, je voterai 500,000 fr. pour la dotation du prince royal, sauf à doubler cette somme lors de son mariage.

. Dans le cas enfin où la Chambre voterait l'une ou l'autre somme proposée par la commission, je demanderai que les 27 millions précédemment touchés du trésor public soient réduits dans les proportions de la liste civile actuelle, et précomptés par douzièmes sur les paiements qui seront faits à l'avenir. »

Jusqu'alors le projet de loi tel que le ministère l'avait présenté ou qu'il était sorti des mains de la commission, n'avait encore rencontré aucun défenseur. M. le ministre de l'instruction publique fut le premier qui prit ce rôle. Répondant d'abord à M. Marschal qui avait dit qu'il s'agissait uniquement de fixer les besoins d'une famille et les dépenses d'une maison, le ministre déclarait qu'il n'était nullement de cette opinion, qu'il

« PreviousContinue »