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II

DEMARCATION DES FRONTIÈRES

ENTRE ÉTATS RIVERAINS

Une seconde question préliminaire se lie intimement à celle qui vient d'être sommairement discutée; elle concerne le partage des eaux entre riverains opposés.

Un fleuve qui sépare deux États offre sans doute comme frontière de précieux avantages, car tout en isolant les territoires contigus, il constitue par luimême une protection naturelle qui supplée plus ou moins aux ouvrages défensifs des frontières con

venues.

Cependant une voie d'eau mitoyenne donne fréquemment lieu à des différends, parce que la ligne de démarcation gui en divise le cours n'est pas apparente et peut incessamment changer, tandis qu'un tracé terrestre est toujours visible et fixe.

Il a été longtemps reconnu qu'à défaut de stipu

lations contraires, c'est le milieu du fleuve qui indique la limite des possessions respectives (1).

Cette règle, empruntée à la législation romaine, tend à mettre en pratique ce principe d'équité que les bénéfices d'un courant commun doivent être répartis d'une manière égale entre les riverains. Il s'en faut qu'elle remplisse toujours ce but et assure aux intéressés une garantie absolue de leur droits. Comment en effet déterminer le milieu d'une masse liquide dont la largeur dépend de son niveau, c'està-dire, d'une condition essentiellement variable, surtout quand cette masse s'écoule entre des berges basses ou inclinées? Il arrive qu'une île est tantôt dans la moitié de droite et tantôt dans celle de gauche, et par la même raison, le chenal lui-même peut être alternativement situé, eu égard au profil transversal du fleuve, dans le domaine propre de chaque riverain.

Cette objection fut soumise au congrès de Rastadt, alors qu'il s'agissait de définir les frontières de la France du côté de l'empire germanique. Les populations rhénanes s'étaient émues des propositions de la république, surtout en tant qu'elles avaient pour objet le Rhin supérieur, c'est-à-dire la région du fleuve ia plus abandonnée et par conséquent la moins stable dans son régime. De diverses parts, l'on fit appel à l'esprit de conciliation des plénipotentiaires français, qui (on ne manqua pas de le

(1) Grotius, Vattel, de Martens, Günther, Schmelzing, Klüber, Heffter, Bluntschli, etc., etc.

leur rappeler) avaient écrit dans leurs notes des 7 mars et 8 avril 1798, « qu'ils n'écarteraient rien de ce qui serait juste et concordant avec l'intérêt des deux nations ». Ce fut dans ces circonstances que se dégagea une nouvelle formule, celle dite du thalweg, suivant laquelle la limite respective est placée au milieu du chenal ou du grand courant qui dénote d'ordinaire l'endroit le plus profond (1)

Ce second mode de partage, sans être parfait, paraît plus rationnel, parce qu'en général la ligne médiane du thalweg est plus stable que la ligne médiane du fleuve, et qu'en suivant le vrai canal, c'est-à-dire la partie la plus navigable, elle semble mieux répondre à l'idée fondamentale que chaque riverain a un endroit égal à l'usage utile du fleuve commun (2). Le plus souvent le thalweg coïncide avec le milieu du cours d'eau; c'est surtout le cas dans les régions où la voie se trouve naturellement encaissée ou artificiellement régularisée. Cet état normal tend à se généraliser par suite des progrès de l'hydrotechnique et de l'importance que l'on

(1) Le thalweg est la partie la plus basse du lit sur laquelle le courant se meut avec la plus grande vitesse. Wheaton confond par erreur le milieu du fleuve avec le thalweg. (Eléments, t. I, p. 180.) Heffter au contraire les distingue. (Droit inter. europ., p. 136.)

(2) Les inconvénients inévitables de l'un et de l'autre mode de démarcation, ont suggéré l'idée d'un système mixte qui consisterait à traiter le lit fluvial comme domaine commun et à reporter sur les deux rives les frontières des États respectifs. (Eichhoff, mémoire de l'an X sur les départements du Rhin.)

attache de nos jours aux travaux d'amélioration des grands courants internationaux.

Il va sans dire qu'en pratique on ne détermine point la direction du chenal avec une précision mathématique, c'est-à-dire que l'on n'a pas recours à un mesurage minutieux propre à marquer toutes les déviations du lit fluvial dans ses plus grandes profondeurs. L'on se contente d'ordinaire d'observer la course des bateaux de plus fort tonnage, et on l'indique au moyen de signaux fixes ou de bouées. Ces jalons permettent de tracer graphiquement la ligne médiane avec une suffisante exactitude.

Le principe d'égalité d'après lequel s'établit la démarcation des frontières liquides, trouve une application précise quand une île se forme dans le cours d'un fleuve limitrophe; elle appartient au territoire contigu. Si elle surgit dans la région mitoyenne, elle est l'objet d'une division proportionnelle.

Cette répartition ne saurait avoir lieu, quand le fleuve, quittant son lit normal, se crée une nouvelle issue en faisant irruption à travers le territoire de l'un des riverains; car il s'agirait pour l'État envahi de renoncer à une partie du domaine sur lequel s'étend incontestablement sa souveraineté. Dans ce cas, l'on admet que l'ancien lit continue à servir de limite commune.

Ces développements suffisent sans doute pour motiver les trois dispositions suivantes :

ARTICLE PREMIER.

A moins de conventions contraires, l'on observera dans la démarcation des frontières fluviales la limite indiquée par le Thalweg, c'est-à-dire, par le milieu du chenal.

ARTICLE 2.

Les îles qui se forment dans un cours d'eau commun appartiennent au territoire contigu.

Celles qui surgissent dans la région mitoyenne sont partagées proportionnellement entre les États riverains.

ARTICLE 3.

Dans le cas où un fleuve se crée une nouvelle issue à travers le territoire de l'un des États riverains, l'ancien lit sert, comme par le passé, de ligne de démarcation.

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