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Voici les faits en quelques mots :

Le 2 janvier 1896, vers six heures du soir, un nommé S.., passager, était introduit et enfermé, suivant l'usage, dans le posterefuge de la commune de C...Le lendemain, lorsque le garde champêtre vint ouvrir la porte, il remarqua que l'intérieur du bâtiment était en feu et que le passager avait été à moitié carbonisé. Un médecin appelé aussitôt constata la mort du malheureux et exprima l'avis qu'il avait été asphyxié par la fumée s'étant dégagée de la paille qui lui avait servi de couche et qui s'était enflammée,

La disposition du cadavre révélait que S... avait été surpris par l'incendie pendant son sommeil, qu'il avait cherché à fuir ou à réclamer du secours, mais que la clôture solide de l'édifice et son éloignement de toute habitation avaient rendu vains ses efforts. A qui incombait la responsabilité de ce déplorable accident? Le maire, en ordonnant de fermer à clef la porte du refuge pendant la nuit, avait négligé d'obvier aux inconvénients de cette grave mesure, soit en prescrivant au garde champêtre des rondes fréquentes autour de l'édifice, soit en faisant établir une communication entre celui-ci et les habitations voisines, soit en prescrivant d'autres mesures de précaution. Il était seulement interdit aux passagers d'allumer du feu ou de la lumière. Or, précisément S... portait dans une poche de vêtement des allumettes qu'il avait dû faire prendre et dont la flamme s'était sans doute communiquée pendant son sommeil à la paille sur laquelle il était couché.

C'est dans ces circonstances que M. X..., maire de C..., a été traduit devant le tribunal de Chartres comme prévenu d'avoir, par son imprudence ou sa négligence, causé involontairement la mort du sieur S.., et que le tribunal l'a condamné à 200 fr. d'amende. Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur, etc.

La décision sur laquelle mon honorable correspondant appelle mon attention devrait être considérée comme inexacte, si l'on prenait d'une manière absolue la théorie consacrée par un arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1863 (S. 64.1.371; Bull. cr., no 67), et qui consiste à considérer l'art. 319, Cod. pén., comme inapplicable, lorsqu'on ne peut reprocher au prévenu d'homicide involontaire que d'avoir omis de prendre certaines mesures qui ne lui étaient prescrites par aucune loi, ni par aucun règlement, et à déclarer qu'on ne saurait voir l'acte de maladresse, d'imprudence, de négligence, d'inattention ou d'inobservation des règlements

exigé par la loi, dans le défaut d'une précaution qu'aucun ordre ne commandait. Dans l'espèce du jugement du tribunal de Chartres, en effet, nulle loi, nul règlement n'imposait au maire l'obligation de prendre les mesures de précaution que ce jugement lui a imputé à faute de n'avoir pas prises.

Mais l'interprétation que je viens de rappeler et qu'admettent, en la reproduisant, MM. F. Hélie, Théor. du Cod. pén., t. 4, n. 1415 (6e édit.) et Blanche, Etudes pratiques sur le Cod. pén., t. 5, n. 19 (2o édit.), ne saurait être suivie à la lettre. Si l'inobservation des règlements est une des causes pour lesquelles l'homicide commis involontairement constitue le délit puni par l'art. 219, Cod. pén.,les autres causes que prévoit cet article ne sont point subordonnées à l'existence d'ordres ou de règlements dont l'inexécution les engendrerait. La maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence n'impliquent point du tout ou n'impliquent pas nécessairement l'inobservation de prescriptions légales ou réglementaires. Ainsi, par exemple, l'imprudence résulte de cela seul que l'auteur de l'homicide aurait pu l'éviter, s'il eût été prévoyant. La négligence consiste dans l'omission d'une précaution qui eût prévenu l'homicide. Tel, par exemple, le fait de l'hôtelier qui laisse mourir sans secours un de ses hôtes pris subitement de maladie (Cass., 7 janvier 1859, Bull. cr., no 5; F. Hélie, op. cit., n. 1419 à 1421). V. aussi Trib. corr. de Nantes, 19 février 1867 (J. M., p. 10. 95), et mon Mémorial du Ministère public, vo Homicide involontaire, n. 1 à3.

Comment ne pas reconnaître, dès lors, qu'il y a imprudence et négligence de la part du maire qui, en ordonnant la fermeture complète du poste-refuge destiné à recevoir les passagers sans asile, n'a pris aucune mesure de précaution pour assurer à ceux-ci en cas de danger, résultant soit d'une subite et grave indisposition, soit d'un incendie, d'une inondation,d'un éboulement ou de toute autre cause mettant ses jours en péril, le moyen de sortir de ce refuge ou tout au moins de réclamer des secours? Il n'était pas nécessaire, évidemment, qu'une loi ou un règlement lui prescrivit d'employer un moyen de prévenir la mort de l'individu renfermé dans le refuge. L'humanité lui en créait le devoir, et l'omission d'une semblable précaution constituait de sa part une faute justifiant suffisamment l'application de l'art. 319.

Peu importe d'ailleurs que, par sa propre imprudence, la victime de l'accident l'ait elle-même provoqué. Cette imprudence n'ex

clut pas la faute de celui dont les agissements ont été la cause première de l'homicide involontaire. Ainsi l'a décidé la Cour de cassation (arrêts des 16 juin 1864, Bull.cr.,n° 155; 4 novembre 1865, Bull., no 192; 23 février 1893, Bull., no 55; 29 février 1884, Bull., n° 69), et l'enseignent les auteurs (F. Hélie, t, 4, n. 1414; Blanche, t. 5, n. 19).

Cependant la Cour de cassation elle-même a jugé, par un arrêt du 12 mars 1878 (S. 78.1.270), que lorsqu'un employé de chemin de fer a été victime de son imprudence dans l'exécution d'une manœuvre, sa mort ne constitue pas un homicide involontaire imputable au chef d'équipe par qui la manoeuvre était dirigée, et qui eût pu prévenir l'accident par une plus exacte surveillance, en se fondant sur ce que ce défaut de surveillance, qui n'avait été que la cause indirecte de la mort de l'employé, et n'avait d'ailleurs motivé aucune poursuite correctionnelle, avait pu être considéré par la Cour d'appel comme un simple quasi-délit. Mais ce n'est là qu'une décision d'espèce qui n'infirme nullement le principe énoncé ci-dessus.

A annoter au Mémor. du Minist. publ., v° Homicide involont., n. 3.

DOCUMENTS DIVERS

ART. 3819.

ALLUMETTES CHIMIQUES, VENTE A DOMICILE, COLPORTAGE, FRAUDE, TRANSPORT, AMENDE, CONFISCATION, MINEUR, PARENTS, SURVEILLANTS NATURELS, FABRICATION FRAUDULEUSE, ARRESTATION, EMPRISONNEMENT, PATES PHOSPHORÉES, USTENSILES, DÉTENTION, PEINE.

Loi du 16 avril 1895 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1895.

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Art. 18. Les art. 3 de la loi du 28 janvier 1895, 2 et 3 de la loi du 28 juillet de la même année sont modifiés et complétés conformément aux dispositions des articles ci-après.

19.

-

Les dispositions de l'art. 225 de la loi du 28 avril 1816 sont applicables à la vente à domicile, au colportage et à la fabrication frauduleuse des allumettes chimiques.

Le transport des allumettes pour le compte des fraudeurs et contre

bandiers est puni d'une amende de cent à mille fr. (100 à 1000 fr.), de la confiscation des allumettes et des moyens de transport.

Les transporteurs pourront invoquer le bénéfice des dispositions de l'art. 13 de la loi du 21 juin 1873.

Seront condamnés comme coauteurs directs de l'infraction et punis comme tels, les parents ou surveillants naturels du mineur âgé de moins de seize ans, s'il est établi qu'ils ont incité celui-ci à commettre une contravention en matière d'allumettes chimiques.

20. Tout individu convaincu de fabrication frauduleuse d'allumettes chimiques sera immédiatement arrêté, constitué prisonnier et puni d'une amende de trois cents à mille fr. (300 à 1000 fr.) et d'un emprisonnement de six jours à six mois. En cas de récidive,l'amende ne pourra être inférieure à cinq cents fr. (500 fr.).

Les allumettes ainsi que les instruments et ustensiles servant à la fabrication, seront saisis et confisqués.

La simple détention des pâtes phosphorées propres à la fabrication des allumettes chimiques sera punie des mêmes peines que la fabrication frauduleuse.

La simple détention sans déclaration préalable au bureau de la régie des ustensiles, instruments ou mécaniques affectés à la fabrication des allumettes, des bois d'allumettes blanches ou soufrées ayant moins de dix centimètres de longueur, des mèches d'allumettes de cire ou de stéarine, de matières propres à la préparation de pâtes chimiques, de boîtes vides et cartonnages destinés à contenir des allumettes,sera punie d'une amende de cent à mille fr. (100 à 1000 fr.), indépendamment de la confiscation des objets saisis.

En cas de déclaration au bureau de la régie, la fabrication sera soumise à la surveillance des employés.

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21. - La fabrication, la circulation ou la vente et l'emploi du phosphore sont soumis à la surveillance de l'administration des contributions indirectes.

Un décret déterminera les conditions dans lesquelles s'exercera cette surveillance, ainsi que les formalités à remplir par les industriels, les importateurs et les négociants; les contraventions aux dispositions de ce décret seront passibles des mêmes pénalités que les contraventions en matière d'allumettes.

22.

- Lorsque plusieurs saisies d'allumettes auront été faites séparément sur des inconnus dans le ressort d'un même tribunal et que la valeur de chaque partie saisie n'excédera pas cinquante fr. (50 fr.), la régie pourra en demander la confiscation par une seule requête, laquelle contiendra l'estimation de chaque saisie. Il sera statué sur ladite demande par un seul et même jugement.

ART. 3820.

REHABILITATION, CONDAMNATION AVEC SURSIS, RENONCIATION.

Lettre du ministre de la justice au procureur général près la Cour d'appel de Toulouse, relative à la réhabilitation et aux condamnations avec sursis.

Par votre dépêche du 18 février, vous m'avez consulté au sujet d'une demande de réhabilitation introduite par le sieur N..., condamné le 8 octobre 1892, pour coups et blessures, à 50 fr. d'amende avec le sursis de la loi du 26 mars 1891. Vous m'avez demandé s'il pouvait renoncer au bénéfice de ce sursis et exécuter effectivement sa peine afin d'être réhabilité au bout de trois ans.

Il est vrai, ainsi que vous le faites remarquer, que M. Bérenger a admis l'affirmative dans son rapport au Sénat.

Néanmoins, malgré l'autorité qui s'attache à sa parole, son interprétation ne s'appuie sur aucune disposition précise de la loi et semble en contradiction avec les principes généraux du droit.

La loi du 26 mars 1891 a essentiellement pour but de prévenir et de réprimer la récidive.

Elle a été à diverses reprises, dans les rapports et au cours des débats parlementaires, qualifiée de loi de défense et de préservation sociales. Aussi la condamnation conditionnelle et le sursis ne sont-ils pas accordés au délinquant uniquement dans son intérêt personnel, mais aussi dans l'intérêt de la société tout entière.

Il serait contraire à l'ordre public que le condamné pût par sa seule volonté modifier les termes du jugement définitif qui le frappe et les conséquences de la condamnation qu'il a encourue.

Cette modification du jugement serait d'ailleurs impraticable. En effet, le Parquet ne peut pas ne pas se conformer aux prescriptions d'une décision judiciaire, et l'administration elle-même ne saurait l'exécuter autrement que dans sa forme et teneur.

Dans ces conditions, j'estime, conformément à la jurisprudence constante de ma Chancellerie, que votre substitut de C... ne doit pas autoriser le greffier à délivrer l'extrait de jugement nécessaire à la perception de l'amende conditionnelle infligée au sieur N..., alors que ce jugement porte précisément que la peine ne doit pas être subie.

Du 20 MARS 1896. - Décis. min. just.

Le Propriétaire-Gérant: G. DUTRUC.

Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot.-J. Thevenot, successeur, Saint-Dizier (Haute-Marne).

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