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ART. 3821

INSTRUCTION CRIMINELLE, RÉFORME, DÉFENSEUR, JUGE D'INSTRUCTION, INTERDICTION DE COMMUNIQUER, COMMUNICATION DE LA PROCÉDURE, DÉTENTION PRÉVENTIVE, DURÉE.

La réforme de l'instruction criminelle est à l'ordre du jour. L'article ci-après, que j'emprunte à la Gazette du Palais, traite d'une façon très pratique ce sujet délicat (1).

La Réforme de l'Instruction criminelle.

Parmi les idées émises sur les projets de réforme de l'instruction criminelle, il en est quelques-unes qui paraissent à peu près abandonnées, au moins pour le moment. Ainsi, la publicité complète de l'instruction préparatoire n'a plus guère de partisans; on ne se représente pas bien le magistrat tenant une audience d'instruction, procédant sous les yeux du public à l'audition des témoins, à l'interrogatoire des inculpés, initiant ainsi l'auditoire à toutes les mesures prises pour élucider une affaire grave et difficile, rechercher des complices, ordonner des perquisitions, décerner des mandats, etc.; on aboutirait, suivant l'expression d'un éminent magistrat, à organiser légalement l'impunité des criminels (2).

Il en est de même, croyons-nous, de la présence de l'inculpé, assisté de son défenseur, à toutes les mesures d'instruction et notamment à l'audition des témoignages: un témoin entendu dans ces conditions refuserait de parler, ou ne parlerait que sous l'impression d'un sentiment de crainte qui enlèverait à son témoignage toute sa valeur et toute son utilité.

La présence du défenseur aux interrogatoires ou aux confrontations a encore ses partisans; elle nous paraît cependant présenter plus d'inconvénients que d'avantages, et il n'est même pas bien sûr qu'une innovation semblable serait accueillie favorablement par le barreau. En effet, quel sera en pareil cas le rôle de l'avocat ? Assistera-t-il impassible et muet à tout ce qu'il entendra, sans pouvoir faire une observation? Ce rôle purement passif n'est guère dans les habitudes militantes du barreau; il serait pour l'avocat une pure perte de temps sans utilité pour son client. Lui donnera

(1) Comparer le projet de loi et l'exposé des motifs reproduits infrà, p. 151 et suiv.
(2) M. Jacomy, avocat général à la Cour d'appel de Paris, discours de rentrée de 1895.
TOME XXXVIII

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t-on le droit d'intervenir? et il sera tenté de le faire au moment où une question précise est sur le point de provoquer chez l'inculpé une réponse qui peut le compromettre. Le magistrat du ministère public sera-t-il présent en même temps que l'avocat, ce qui paraitrait conforme à la logique ? Il est facile de se rendre compte des inconvénients multiples que présenterait un pareil mode de procéder.

Si nous écartons ces diverses hypothèses, s'ensuit-il qu'il n'y ait rien à faire ? C'est ce qu'il convient d'examiner.

Lorsqu'on critique ou même qu'on déplore l'étendue presque illimitée des pouvoirs conférés par la loi au juge d'instruction, à quel point de vue se place-t-on ?

S'agit-il d'un de ces crimes atroces, effrayants, dont il y a lieu de rechercher l'auteur, un Troppmann si l'on veut, et de le déférer à la vindicte publique ? On se gardera bien de prétendre que les pouvoirs du juge d'instruction sont trop étendus. Jamais on ne trouvera le parquet assez énergique, la police assez active et vigilante, et le juge suffisamment armé! Loin de vouloir restreindre ses pouvoirs, on voudrait plutôt les étendre, si la chose était possible; car il faut à tout prix que ce redoutable criminel soit découvert, jugé et puni!

Si, au contraire, on se trouve en présence de faits d'ordre particulier, d'accusations graves, mais non encore évidentes, contre un homme jusque-là réputé honnête, que sa situation sociale ou sa notoriété semblaient préserver du soupçon et contre lequel cependant l'action publique est mise en mouvement? Le raisonnement change, parce que le point de vue est différent. Cet homme est mis en état d'arrestation; la détention préventive commence pour lui. Qui sait combien de temps elle va durer? Et les perquisitions, les saisies, l'examen de ses papiers, de sa correspondance ! Ses parents et ses amis se récrient et protestent contre ces mesures qu'ils trouvent abusives. Ils demandent à le visiter; le juge répond par une interdiction générale de communiquer. On lui choisit un défenseur; il n'obtient pas l'autorisation de conférer avec lui. Tout cela, s'écrie-t-on, est odieux, intolérable ! Il faut changer la loi, il faut restreindre des pouvoirs aussi exorbitants!

Ce qui rend la question particulièrement délicate, c'est que les deux raisonnements sont également justes: il n'y a que le point de vue qui diffère. Et cependant il faut prendre un parti. Si les pouvoirs du juge d'instruction sont trop étendus, qu'on les restreigne!

Mais alors les malfaiteurs en profiteront peut-être. Si cette étendue de pouvoirs est une nécessité, il faut l'accepter avec toutes ses conséquences possibles et pour tous les cas qui se présenteront, car il ne peut y avoir dans la loi deux poids et deux mesures; c'est simplement une question de prudence et de modération laissée à l'appréciation du juge.

La difficulté est donc de donner à ce problème une solution qui, sans compromettre les intérêts de la société, donne cependant satisfaction aux réclamations pressantes qui se manifestent de toutes parts, et fasse disparaître la possibilité de certains abus. Ce n'est pas chose facile, et cependant tout le monde a le sentiment qu'il y a des réformes à opérer et que le moment est venu de faire quelque chose.

Quand le législateur de 1856 a supprimé la chambre du conseil comme juridiction d'instruction, il a concentré tous ses pouvoirs entre les mains du juge d'instruction. Ce changement considérable a été vivement critiqué: Prenez garde, a-t-on dit, vous allez décréter l'omnipotence du juge et livrer l'inculpé à l'arbitraire, aux erreurs, aux défaillances, aux excès de pouvoir d'un magistrat unique et souverain.

Si la loi du 17 juillet 1856 a créé l'omnipotence du juge, elle a créé en même temps et surtout son isolement, avec tous les inconvénients et les dangers qu'il entraîne. La direction d'une instruction criminelle n'est pas toujours simple et facile à chaque instant le juge se trouve en présence de mesures graves à ordonner, dont il assume toute la responsabilité, et il éprouve souvent des hésitations et des embarras pour lesquels il ne peut prendre conseil que de sa conscience et de ses réflexions.

Sans doute, il lui est loisible de s'éclairer officieusement des lumières du chef du parquet, qui ne lui refuse jamais son concours et ses avis; mais il faut prendre garde que les magistrats du parquet n'interviendront en pareil cas qu'avec une certaine réserve, pour ne pas risquer de créer, au moins en apparence, une confusion de pouvoirs préjudiciable à l'indépendance du juge, aux intérêts de l'inculpé, et par conséquent à la bonne administration de la justice.

Il ne faut pas oublier, en effet, que, depuis la suppression dé la chambre du conseil, le juge d'instruction est, à lui seul, une juridiction, juridiction à laquelle le parquet défère par voie de réquisitoire les affaires que le juge a charge d'instruire. Le parquet

est l'autorité qui requiert, le juge d'instruction est la juridiction qui statue et ordonne: ces deux pouvoirs s'exercent parallèlement et ne doivent jamais empiéter l'un sur l'autre, sous peine de paraître se confondre, tandis que la loi a pris soin de les définir et de les distinguer.

C'est donc dans la loi elle-même que le juge d'instruction devrait trouver les moyens de s'éclairer et de se protéger contre l'étendue de ses pouvoirs, contre les difficultés qu'il rencontre, contre les hésitations qu'il éprouve. Or, dans la loi, il ne trouve aucun secours, puisque son pouvoir est à peu près sans limite.

Le législateur se décidera-t-il à rétablir la chambre du conseil ? Cela est encore douteux; dans tous les cas, la difficulté n'est pas de la rétablir, mais de l'organiser et de la mettre en état de fonctionner utilement et pratiquement. Il ne faut pas oublier qu'en 1856, c'est son organisation vicieuse et son fonctionnement défectueux qui l'ont fait supprimer. « Peut-être eût-il mieux valu, dit Faustin Hélie, au lieu de renverser une institution mal organisée, lui donner une organisation nouvelle et plus efficace ».

Quoi qu'il en soit, il ne paraît pas impossible d'apporter à l'état de choses actuel certaines modifications auxquelles applaudiraient sans nul doute les esprits libéraux, tout en tenant la balance égale entre « les intérêts de l'accusé et ceux de la société qui l'accuse »(1). Ces modifications doivent consister naturellement à limiter, dans une certaine mesure, le pouvoir discrétionnaire du juge instruc

teur.

Les critiques les plus vives et, disons-le, les mieux fondées portent principalement sur les trois points suivants :

1o Interdiction générale de communiquer;

20 Absence du droit, pour l'inculpé détenu, de communiquer librement avec son défenseur, et ensuite, même pour l'inculpé libre, de prendre connaissance de l'instruction avant l'interrogatoire définitif ou la clôture de l'information.

3o Durée illimitée de la détention préventive.

1. Interdiction de communiquer.

La faculté pour le juge de prononcer, temporairement, il est vrai, mais d'une manière générale et absolue, l'interdiction de commu

(1) Art. 312 du Code d'instruction criminelle. Formule du serment des jurés.

niquer résulte de la loi du 14 juillet 1865 (1), laquelle a ajouté à l'article 613 du Code d'instruction criminelle un troisième paragraphe ainsi conçu :

<«<Lorsque le juge d'instruction croira devoir prescrire, à l'égard d'un inculpé, une interdiction de communiquer, il ne pourra le faire que par une ordonnance qui sera transcrite sur le registre de la prison. Cette interdiction ne pourra s'étendre au delà de dix jours; elle pourra toutefois être renouvelée. Il en sera rendu compte au procureur général

C'est là une mesure générale qu

et cette dénomination est cert

appelle aussi mise au secret, pour beaucoup dans les

critiques ardentes dont elle est l'objet Mais laissons le mot, et voyons la chose.

Ce qui rend surtout critiquable la mesure édictée par l'article 613, § 3, c'est son caractère général et absolu cette généralité, sans aucun tempérament, la fait paraitre excessive et comme dépassant le but qu'on cherche à atteindre le droit de contrôle du juge, pour chaque communication, est légitime et ne pourrait disparaître sans inconvénient, autant une mesure générale aussi rigoureuse paraît vexatoire, sans utilité réelle.

Il semble bien d'ailleurs qu'on se soit rendu compte, presque immédiatement, qu'on était allé trop loin, car on a cherché à apporter un tempérament à la mesure nouvellement introduite dans le Code. Par une circulaire du 24 juillet 1866, le ministre de l'intérieur, d'accord avec son collègue le garde des sceaux, cherche à «< rendre moins fréquentes les interdictions de communiquer ». Il décide que « le juge d'instruction sera appelé à viser tous les permis de communiquer avec les détenus non jugés ». Ce magistrat, dit la circulaire, est seul à même d'apprécier l'opportunité ou le danger de ces communications, et en lui refusant la faculté d'empêcher celles qui pourraient entraver l'action de la justice, on l'oblige souvent à les interdire toutes par l'application d'une mesure quelquefois rigoureuse ». Et la circulaire se termine en disant que ce sera là un moyen « d'amener un adoucissement dans le régime de la détention préventive ».

On le voit, c'est le contrôle individuel de chaque communication qu'on a cherché à substituer à une interdiction générale. En fait,

(1) Antérieurement à la loi du 14 juillet 1865, l'interdiction de communiquer avait été établie par l'article 80 de la Constitution du 22 frimaire an VIII.

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