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industrie et une petite perte, il est facile de convertir en décimes de cuivre, qui, s'ils rentrent en France et y sont reversés au pair, même avec une faible perte, laisseront encore, défalcation faite des menus frais de l'opération, un bénéfice de 5 à 6 0/0 aux mains du spéculateur. Dans tel autre pays, d'outre-mer, la prime de l'or est si forte (jusqu'à 33 0/0) que l'opération bien conduite et renouvelée avec persistance, à courts intervalles, devient une spéculation fructueuse entre toutes. C'est, Messieurs, pour cette raison que le billon étranger tend constamment à entrer en France par nos frontières de terre ou de mer.

Cette spéculation est illégale. Nous vous remettrons tout à l'heure sous les yeux les textes qui l'interdisent. Mais il en est une autre qui prend le billon étranger, non plus à sa source,mais à son débouché, en France même. Une fois la première spéculation faite et son objet répandu dans toutes les mains, ou bien une fois le billon introduit par cette infiltration lente des rapports internationaux quotidiens, qui est sa première source d'afflux, on le recueille jour par jour et, après ce drainage, on le verse par masse snr tel ou tel point. Ce qui permet de tirer de ce simple déplacement un bénéfice, c'est que, tout au moins dans l'état actuel des choses, il existe entre les différentes places, pour ce billon d'origine étrangère, des différences sensibles en réceptivité. Les caisses publiques le refusent, encore pas toujours, témoin la Poste jusqu'à ces derniers temps. Mais dans les relations privées, telle ville se montre réfractaire, telle autre facile. De telle sorte qu'en achetant, peu à peu, dans une place devenue réfractaire, le billon étranger qui n'y a plus sa circulation franche, on trouve encore un bénéfice à l'expédier sur une place facile et à l'y écouler au pair, même au rabais.

Enfin, Messieurs, pour en finir, avec ces explications préalables, il est une troisième forme de spéculation que vous pouvez voir fonctionner au grand jour, sous la protection même de l'administration publique, dans nos grandes maisons de crédit. Elle consiste, comme la précédente, dans le drainage du billon étranger circulant en France, dans son acquisition au rabais et sa revente à bénéfice; mais elle en diffère en ce qu'au lieu de reverser ce billon sur telle ou telle place française bien choisie, la banque spéculatrice a pour programme de le rapatrier chez lui.

De ces trois spéculations la première seule augmente, sans aucun déchet, la masse de billon circulante. La troisième a tout au moins pour but de dégager cette masse de ses éléments parasites. La seconde semble, au premier abord, laisser cette masse dans l'état où elle la trouve. Mais, en y regardant de plus près, on reconnait que (même la troisième et surtout la seconde), ces deux spéculations, malgré leur apparence, ont encore pour effet indirect d'attirer en France soit du billon nouveau, soit même celui que la troisième a fait sortir, par l'appât d'un marché ouvert à de fructueuses négociations.

II

C'est, Messieurs, la seconde des trois spéculations que j'ai cru devoir décrire avec soin, que vous défère comme aussi contraire aux lois que la première, le pourvoi de M. le Procureur général de Lyon, en même temps que l'Administration des Finances encourage ouvertement la troisième, où elle cherche un déversoir. C'est cette seconde spéculation, toute intérieure, achat et revente en France même, sans aucun lien avec une introduction en France déterminée, que l'arrêt attaqué innocente et que le pourvoi du Procureur général incrimine. C'est elle et nulle autre. Mais il est si facile de s'y tromper, soit avec le titre de la poursuite, soit avec les vaguesénonciations de l'arrêt entrepris et du jugement qu'il confirme, que je suis amené à vous imposer un nouveau détour, rien que pour dégager le véritable point de fait.

Le titre de la poursuite a subi de singulières variations. Au début, ce que dénonce le réquisitoire introductif est « le colportage et le commerce de monnaies étrangères » : Qualification qui embrasserait aussi bien l'os et l'argent que le billon. C'est sur une « importation » de ces mêmes monnaies que s'appuie la saisie. L'inculpation de colportage reparaît dans le « soit communiqué ». L'importation reprend sa place dans l'ordonnance de renvoi, dans ces termes: «< introduction en France de monnaies de billon de fabrique étrangère ». C'est de ce délit, ainsi qualifié, que le jugement correctionnel relaxe les prévenus. Et s'il reste en appel le champ du débat, il vient s'y greffer une inculpation subsidiaire de complicité, de cette complicité spéciale, extensive, toute douanière, et qui consiste « à s'être intéressé à un titre quelconque dans une entreprise de contrebande ».

Lisons maintenant, Messieurs, le jugement et l'arrêt

Le jugement tient tout entier dans cette courte phrase:

« Attendu que la preuve du délit d'introduction en France de monnaie de cuivre ou de billon de fabrique étrangère reproché aux deux prévenus, n'a pas été faite par les débats, qu'il y a donc lieu de les renvoyer des fins de la poursuité sans dépens; - relaxe. >>

L'arrêt n'est guère plus long :

<«< Considérant qu'il n'est pas suffisamment établi que les prévenus aient en personne et comme auteurs principaux, introduit sur le territoire français des monnaies de cuivre ou de billon de fabrique étrangère, ni même qu'ils aient participé à cette introduction, soit comme complices proprement dits, soit comme intéressés à un titre quelconque ; qu'ils sont donc en voie de relaxe. >>

Ajoutant toutefois :

<< Mais considérant que les monnaies dont l'introduction en France est interdite sous une sanction pénale constituent ainsi des marchandises prohibées et qu'il appartient à la juridiction correctionnelle d'en pronon

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cer, le cas échéant, la confiscation par mesure de police et d'ordre public, confirme le relaxe; mais prononce la confiscation des caisses de billon saisies sur Arnal, contenant ensemble 163 kilos ».

Vous avez là, Messieurs, tout l'arrêt.

Mais vous n'avez pas encore un mot du fait.

Il vous est, par cet arrêt laconique, impossible de savoir quel était l'acte précis, qualifié par la poursuite d'importation de billon étranger. Vous constatez seulement que la Cour de Lyon ne trouve pas établi, en fait, à raison des actes qui lui sont déférés et dont elle ne vous donne pas la clef, le délit qui répond à cette qualification déterminée. Mais, si cet acte répond à une qualification différente, le devoir de la Cour de Lyon était de substituer cette qualification à l'autre. Et le vôtre, Messieurs, serait de faire ce qu'elle n'aurait point fait ou plutôt d'en charger un juge de renvoi.

Dans une affaire ordinaire, la solution qui paraîtrait s'imposer, serait de casser, pour défaut, ou mieux, pour insuffisance des motifs. Mais nous ne sommes pas dans une affaire ordinaire, et vous estimerez sans doute qu'avant de recourir à un renvoi laissant planer l'obscurité sur des questions qu'il est d'intérêt public de voir le plus promptement tranchées, il faudrait s'être reconnu tout à fait impuissant à démêler le fait même; impuissant, par suite, à constater, avec les éléments du dossier, si la Cour a jugé en fait ou en droit ; si (auquel cas elle l'aurait fait souverainement) elle a tenu pour non établi le fait poursuivi; ou si elle a considéré (auquel cas vous auriez à exercer sur elle votre contrôle), que ce fait même ne tombait pas sous la qualification légale de la poursuite.

Heureusement, Messieurs, vous n'êtes point réduits à cette impuissance, et le pourvoi de M. le Procureur général de Lyon vous donne la clef qui vous manque avec l'arrêt seul.

C'est le moment de vous donner lecture de sa requête.

M. le Procureur général commence par reproduire les considérants de relaxe. Et il ajoute: «Que cet arrêt a fait une fausse application de l'article 1er du décret du 11 mai 1807, de l'article 2 du titre VI de la loi du 4 germinal an II, des articles 41, 42, 51 et 53 de la loi du 28 avril 1816 et de l'article 1er de la loi du 22 juin 1846. »

C'est la formule du moyen, dont voici les courts développements:

<< En effet, dit la requête, Arnal et la femme Laboric ont reconnu avoir acheté avec un rabais de 17 à 20 0/0 à Montpellier et dans d'autres villes, une certaine quantité de monnaies étrangères de cuivre et de billon, avoir transporté ou fait transporter ces monnaies à Lyon et en avoir vendu une partie dans cette ville avec un bénéfice de 12 à 15 0/0. Partant de ce fait, qui est constant, la requête vous dit : Les monnaies étrangères, de cuivre et de billon, sont des marchandises prohibées qui ne peuvent, aux termes de l'article 1er, § 1er,de la loi du 22 juin 1846, être intro

duites en France qu'après avoir été brisées et dénaturées, de manière à ne pouvoir servir qu'à la fonte ; les monnaies sur lesquelles Arnal et la femme Laboric ont spéculé sont des monnaies entières, destinées à la circulation comme monnaies, qui ont été introduites en France par Arnal et la femme Laboric ou par d'autres personnes en violation des dispositions de l'article 1er du décret du 11 mai 1807 et de l'article 1er, § 1, de la loi du 22 juin 1846.

<«< Les prévenus se sont donc, en achetant au rabais lesdites monnaies, en les transportant d'un lieu à un autre, en les vendant et mettant en vente avec bénéfices, c'est-à-dire en spéculant sur ces monnaies, introduites en France en fraude de la loi, intéressés à une entreprise de contrebande et se sont ainsi exposés aux peines portées contre toutes personnes s'étant intéressées pécuniairement à une entreprise de contrebande par l'article 2 du titre VI de la loi de germinal an II, et par les articles 41, 42, 51 et 53 de la loi du 28 avril 1816. ››

Voilà toute la requête. Elle pose très nettement la question de fait. Aussi nettement qu'elle est, sur la question de droit, sobre d'argumentation. On ne reprochait pas à Arnal et à sa compagne d'avoir introduit des monnaies étrangères en France, mais d'avoir fait une opération commerciale sur des monnaies étrangères introduites peut-être par eux, mais à coup sûr par quelqu'un ; et on tenait, vis-à-vis d'eux, pour équivalant à une introduction de ces monnaies, ou tout au moins pour constituant une complicité dans cette introduction, cette opération ainsi définie achat, transport et revente, le tout en France, de ces monnaies prohibées à l'importation.

C'est exactement là, Messieurs, la seconde des trois spéculations que j'ai définies au début.

En sorte qu'il faut entendre l'arrêt attaqué en ce sens, non qu'il a écarté, en fait, comme non prouvé, le délit dont la Cour de Lyon était saisie, mais qu'il a refusé de considérer ce fait d'achat, transport et revente en France de monnaies de cuivre ou de billon étrangères comme constituant en droit un délit d'introduction frauduleuse de ces mêmes monnaies, ou, tout au moins, complicité dans ce délit ; étant donné que cette triple opération intérieure n'était rattachée par la poursuite à aucun fait déterminé d'introduction par la frontière en fraude des lois rappelées par le pourvoi.

Vous avez maintenant, Messieurs, tout à la fois :

1o Le fait aussi nettement précisé que possible :

2o La question de droit que la poursuite donnait à juger à la Cour, qu'elle a jugée contre la poursuite et que le pourvoi vous demande de décider en sens contraire.

Mais votre tâche ne sera pas limitée à l'examen de cette seule question. Elle n'y pourrait être restreinte que si vous donniez sur ce point gain de cause au pourvoi. Si, au contraire, vous n'estimiez pas que le fait tel qu'il

vous est présenté tombât sous le coup des dispositions pénales qu'il invoque, vous auriez alors, comme je l'indiquais déjà, à rechercher, en plus, s'il ne tomberait pas sous le coup d'autres dispositions de la loi. Le rejet du pourvoi ne sera justifié que si, après avoir passé en revue toutes celles qui se présentent à l'esprit, qui ont été relevées, avec plus ou moins d'apparence de raison, comme applicables à la répression de cette spéculation des plus fâcheuses, et propres à y mettre fin, vous êtes amenés à reconnaître que, dans les termes de l'espèce, il n'y en a aucune dont il ait été légalement possible à la Cour de Lyon de faire application aux prévenus.

Nous n'avons plus maintenant, Messieurs, qu'à aller au fond de ces questions de droit.

III

Pour le pourvoi, il n'y en a qu'une, et d'une simplicité qui donne à réfléchir (Les questions de droit sont rarement simples, nous en aurons la preuve ici): « La monnaie de billon étrangère est une marchandise prohibée : introduire une marchandise prohibée est faire acte de contrebande; spéculer sur elle n'importe où, en France, n'importe quand et n'importe comment, c'est s'intéresser à une entreprise de contrebande, tombant sous le coup des art. 41, 42, 51 et 53 de la loi du 28 avril 1816 (surabondamment de l'art. 2 du titre VI de la loi du 4 germinal an II) ». Procédons, Messieurs, si vous le voulez bien, du certain à l'incertain. Il est certain que l'introduction du billon étranger en France est prohibée. Il n'y a pas longtemps, Messieurs, que vous avez eu à l'affirmer. Vous l'avez fait dans les termes les plus décisifs, par votre arrêt rendu le 26 décembre 1895 sur le remarquable rapport de M. le conseiller Roulier (Bull., p. 553). Et vous avez donné à la disposition législative qui ferme à ce billon la frontière (le décret du 11 mai 1807), cette énergie d'application, qu'étant, avant tout, mesure de police et d'ordre public, elle ferme aussi bien l'entrée de la zone franche de Gex et de Savoie que. toute autre. Vous retrouviez, d'ailleurs, cette prohibition d'entrée reproduite par les lois de douane en 1846, en 1881, en 1892 et formulée dans cette dernière loi (tarif annexe) en ces termes, qui, soit dit en passant, embrassent à la fois le billon étranger et le vieux billon national : Monnaies de cuivre et de billon hors cours, prohibées.

Il est, par suite, encore certain que, si le fait reproché aux prévenus consistait à avoir introduit personnellement en France du billon étranger, il tomberait, aux termes de l'art. 2 du décret de 1807 (qui, pour la sanction, renvoie aux lois de douane) comme aux termes de la loi de douane actuellement en vigueur (celle que je viens de citer à l'instant) sous le coup des lois répressives de la contrebande.

Mais il est encore certain, d'autre part, que ce n'est point là le fait reproché aux prévenus; le pourvoi ne retenant contre eux qu'un fait,

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