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vint inamovible pour une nouvelle période semblable à la première. Et je crois que l'intervention du législateur ne serait pas inutile pour régler, d'une façon nette et précise, la véritable situation des juges d'instruction, qui n'est pas suffisamment indiquée par le texte actuel de l'art. 55, Cod. instr. crim.

Dans les arrondissements où le nombre des affaires exige l'institution de plusieurs juges d'instruction c'est au ministère public qu'il appartient de saisir à son gré tel ou tel des juges d'instruction institués. Personne ne paraît critiquer cet usage imposé par les nécessités du service. Mais quand l'un des juges d'instruction a été saisi, nul ne doit pouvoir le dépouiller de la mission dont il a été investi pour en charger un de ses collègues. Tel est le principe reconnu par tous les jurisconsultes: c'est la sauvegarde nécessaire de l'indépendance du juge d'instruction; c'est la garantie indispensable des justiciables, qui ont besoin de compter sur cette indépendance pour protéger leur droit de défense et leur liberté individuelle. Aussi le Sénat a-t-il, à diverses reprises, condamné par ses ordres du jour les agissements d'un garde des sceaux qui n'avait pas respecté cette règle fondamentale (séances du 11 et du 15 février 1896). Et si la Chambre des députés ne s'est pas associée à ce blâme, malgré les énergiques protestations de M. Dulau et de M. Clausel de Coussergues, cela tient assurément à des considérations politiques étrangères aux vrais principes qui doivent servir de base à l'œuvre du législateur.

Ces principes ont été affirmés à la tribune des deux Chambres avec une autorité qui ne permettra pas sans doute au gouvernement de s'en écarter désormais. Il serait pourtant préférable de traduire par un texte législatif précis cette règle professée par les jurisconsultes. Pourquoi ne pas insérer dans les nouveaux projets de loi qui tendent à modifier le Code d'instruction criminelle une disposition disant en termes formels qu'une procédure dévolue à un cabinet d'instruction ne pourra pas passer dans un autre cabinet? Je voudrais que l'interdiction fût prononcée par la loi d'une façon absolue; car des juges, trop scrupuleux pour faire eux-mêmes aucun acte contraire à leur conscience, pourraient être assez faibles pour consentir à abandonner volontairement l'instruction d'une affaire dans laquelle ils sont en désaccord avec le garde des sceaux.

Cette interdiction d'ailleurs serait sans aucun inconvénient au point de vue d'une bonne justice, car l'art. 235, Cod. instr. crim.,

permet à la Cour de prendre au besoin par voie d'évocation toutes les mesures que des situations spéciales pourraient rendre nécessaires. Le juge d'instruction saisi est bien alors dépouillé, mais il l'est par des magistrats inamovibles et indépendants comme luimême, qui sont guidés par des motifs d'ordre judiciaire et qui doivent se tenir avec soin à l'abri des influences politiques.

II. Mais un juge d'instruction peut être absent, malade ou autrement empêché. Il faut alors le remplacer pendant la durée de l'empêchement. L'art. 58, Cod. instr. crim., y pourvoit pour les villes où il n'y a qu'un juge d'instruction. Ce texte ne s'occupe pas des villes dans lesquelles le tribunal a plusieurs juges d'instruction, parce qu'il suppose que ces magistrats se remplaceront mutuellement. Cependant, dans la pratique, on a étendu l'art. 58, Cod. instr. crim., à des hypothèses qu'il ne prévoyait pas, et les débats du Sénat et de la Chambre des députés nous ont appris qu'au tribunal de la Seine on remplaçait les juges d'instruction empêchés en se conformant ou en croyant se conformer à ce texte législatif.

Or, c'est à une délibération du tribunal assemblé qu'est dévolu le soin de désigner le juge d'instruction provisoire.

C'est là une disposition qui paraît excellente: elle semble en effet garantir un très bon choix. Mais elle est pratiquement difficile à exécuter et il en résulte qu'elle reçoit une application tellement imparfaite qu'elle devient plus dangereuse qu'utile. Nous savons aujourd'hui qu'à Paris les délibérations de ce genre existent seulement sur le papier, et que le tribunal n'est point en réalité assemblé. Il est à craindre qu'il en soit de même dans beaucoup de tribunaux importants. D'ailleurs, dans un article inséré dans le Journal du Ministère public de l'année 1878 (art.2264, p. 269), on signalait déjà les inconvénients graves de la loi en vigueur, dont l'application soulève des difficultés presque insurmontables. Quand une instruction s'impose, le moindre retard peut avoir des conséquences déplorables. Or si l'empêchement du juge survient pendant la nuit ou même à une heure de la journée où divers magistrats sont déjà occupés hors de leur résidence par des enquêtes ou par des transports sur les lieux, comment pourra-t-on réunir le tribunal et concilier le respect de la loi avec la nécessité d'agir sans aucun délai?

Frappé de ces inconvénients Mangin (Instr. crim., t. 1, n. 5, p. 6), pensait que les tribunaux agiraient sagement en désignant

à l'avance un juge d'instruction suppléant pour le cas où l'empêchement du juge d'instruction serait dû à des causes subites survenues dans un moment où il peut être difficile de réunir le tribunal et où cependant l'information judiciaire est urgente. Mais la Cour de cassation a décidé que la loi n'autorisait pas une semblable désignation antérieure à l'empêchement (Cass., 12 juillet 1836, S. 36.1.584; Dalloz, v° Instr. crim., n. 403). Cette interprétation est, en effet, plus conforme au texte de l'art. 58, Cod. instr. crim. Seulement ce texte doit être remanié afin de sauvegarder tous les intérêts. Le correspondant du Journal du Ministère public proposait en 1878 d'ajouter à cet article une disposition ainsi conçue:

<«< En cas d'extrême urgence, cette désignation sera faite par ordonnance du président ou de son dévolutaire rendue sur les réquisitions du ministère public et exécutoire sur minute.

Le tribunal pourra d'ailleurs désigner lui-même par avance un de ses membres pour remplacer le juge d'instruction en cas d'empêchement imprévu, et, dans cette hypothèse, le président n'interviendra qu'au cas d'empêchement du juge ainsi délégué. »

Le Journal du Ministère public s'était rangé à l'opinion de son correspondant.

On pourrait trouver assurément plusieurs combinaisons qui seraient de nature à concilier tous les intérêts. I importe surtout de renoncer à cette délibération du tribunal assemblé qui doit intervenir au moment où l'empêchement est déjà réalisé. Tandis que tous les magistrats ont des suppléants légaux désignés à l'avance, il est étrange que le juge d'instruction, dont le ministère est très souvent réclamé à l'improviste et dont l'action ne peut être alors différée sans un véritable péril social, soit le seul magistrat qui ne puisse être suppléé qu'après des formalités difficiles à remplir.

Je proposerais, pour ma part, de rédiger l'art. 58, Cod. instr. crim., dans les termes suivants :

«Chaque année le tribunal, réuni en assemblée générale, désignera le magistrat qui sera appelé, durant l'année judiciaire suivante, à remplacer le juge d'instruction si celui-ci est absent, malade ou autrement empêché. Cette assemblée aura lieu à l'époque où doit s'effectuer le roulement dans les tribunaux composés de plusieurs chambres.

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<«< S'il y a plusieurs juges d'instruction dans l'arrondissement, le tribunal désignera de la même façon un magistrat suppléant pour chacun des cabinets d'instruction.

<< Si les mesures ainsi prises par le tribunal étaient insuffisantes, on pourvoirait au remplacement du juge d'instruction et de son suppléant par ordonnance du président ou de son dévolutaire rendue sur les réquisitions du ministère public et exécutoire sur minute avant son enregistrement ».

Ainsi serait assurée la régularité du service. Tout remplacement arbitraire serait empêché et on ne mettrait plus les magistrats dans la pénible nécessité de retarder outre mesure l'intervention du juge d'instruction ou de commettre un véritable abus de pouvoir en devançant la délégation du tribunal, qui n'intervient que pour la forme et pour ratifier un choix imposé par l'urgence. Le président aurait rarement à rendre des ordonnances de délégation; mais je préférerais des ordonnances rendues par lui sous son entière responsabilité que des choix semblables à ceux qui sont faits actuellement par des délibérations de pure forme dont la responsabilité, en apparence divisée, n'est en réalité acceptée par per

sonne.

En écrivant ces lignes, je ne me dissimule point que l'indépendance du magistrat est souvent soupçonnée en France à cause de l'influence que donnent au gouvernement les nominations judiciaires. Il y aurait à cet égard d'heureuses réformes à faire : mais le cadre restreint d'un article déjà trop long ne me permettait pas de les signaler. Ces réformes n'empêcheraient point d'ailleurs l'utilité des mesures que je voudrais voir adopter.

GEORGES SERVILLE,

Docteur en droit, ancien magistrat, avocat à St-Gaudens (Hte-Garonne).

Je n'hésite pas à joindre mes vœux à ceux qu'exprime avec tant de raison et d'à-propos l'honorable auteur de l'article qui précède. Il ne faut, dans l'intérêt d'une bonne et loyale administration de la justice, ni que le juge d'instruction puisse craindre de se voir retirer les attributions graves et délicates qui lui ont été conférées, si la marche qu'il a imprimée à la procédure ne plait pas au gouvernement, ni que,dans le cas d'empêchement du magistrat instructeur, une information urgente puisse rester en suspens, au grand détriment de l'intérêt public, faute de disposition légale qui permette un remplacement immédiat. Les modifications très simples que M. Serville propose d'apporter sur ces deux points au Code d'instruction criminelle sont d'une grande sagesse, et leur adop

tion ferait honneur au Parlement, qui ne saurait dédaigner cette occasion d'accroître un peu sa popularité.

A annoter au Mémorial du Ministère public, vò Juge d'instruction, n. 1.

ART. 3799.

1° COMPÉTENCE CRIMINELLE, MAGISTRAT, DÉLIT, COUR D'APPEL, CITATION DIRECTE, PROCUREUR GÉNÉRAL.

2o PRESCRIPTION CRIMINELLE, INFORMATION, MAGISTRATS INCOMPÉTENTS, ACTES DE POURSUITE, EFFET INTERRUPTIF.

3o JUGEMENTS ET ARRÊTS, CHEFS DE CONCLUSIONS, ARGUMENTS, DÉCISION, MO

TIFS.

1o Les principes de compétence posés dans les art. 63 et 69, Cod. instr. crim., doivent s'appliquer même dans les cas où l'art. 479 du même Code déclare exceptionnellement la Cour d'appel seule compétente pour connaître du délit et ne peut être saisie que par citation directe donnée à la requête du procureur général. En conséquence, la diversité des domiciles des prévenus, des lieux où ils ont participé au délit et des endroits où ils auraient été trouvés, peut avoir pour effet de donner compétence à plusieurs procureurs généraux et à plusieurs Cours d'appel.

Et, par suite, lorsque parmi les prévenus d'un délit se trouve une des personnes désignées en l'art.479,Cod. instr. crim.,que cette personne a son domicile dans un ressort de Cour d'appel autre que ceux dans lesquels ses coprévenus sont domiciliés, et que les faits qui lui sont imputés ont été commis dans le lieu de ce domicile, le procureur général devant lequel l'affaire est renvoyée par un arrêt de règlement de juges, n'en peut pas moins être le procureur général près d'une des Cours d'appel dont le ressort n'est pas celui où demeurent les autres prévenus.

2o Si le procureur de la République est incompétent pour requérir et le juge d'instruction pour informer contre les personnes soumises à la juridiction exceptionnelle établie par l'art. 479, Cod. instr. crim., cette incompétence n'est point absolue et, tenant seulement à la qualité des prévenus ou de l'un d'eux, elle n'existe légalement que du jour où cette qualité arrive à la connaissance desdits magistrats.

Dès lors, si, à partir de ce moment la poursuite, commencée selon le droit commun, ne peut être valablement continuée, les actes antérieurement faits ne cessent pas d'être valables et ne perdent pas leur caractère interruptif de prescription.

3o Les cours et tribunaux doivent bien statuer sur tous les chefs de conclusions qui leur sont soumis; mais ils ne sont nullement tenus de répondre à tous les arguments par lesquels ces divers chefs ont été soutenus.

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