diction correctionnelle : -- att. que le décret de 1870 a déclaré abrogés l'art. 75 de la Constitution du 22 frimaire an VIII, ainsi que toutes les dispositions corrélatives générales ou spéciales qui ont pour objet d'entraver les poursuites dirigées contre les fonctionnaires publics, qu'il est reconnu à bon droit par l'arrêt attaqué, que les art. 479 et s. du C. d'inst. cr ont pour objet, non pas d'entraver les poursuites contre les magistrats ou fonctionnaires y désignés, mais d'assurer dans l'intérêt de tous, par l'organisation de la juridiction élevée qu'ils instituent toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité que réclame une exacte justice et qui sont dues aux intérêts légitimes de la poursuite et de la défense; que le décret de 1870 n'a donc abrogé ni expressément, ni virtuellement lesdits articles; et att. qu'il est constaté, en fait, par l'arrêt, que le prétendu délit de dénonciation calomnieuse imputé à L..., commissaire de police à B..., aurait été commis par lui dans l'exercice de ses fonctions d'officier de police judiciaire, alors qu'il recevait la plainte de la fille B...; que dans ces circonstances, la juridiction correctionnelle a été avec raison déclarée incompétente pour connaître de ce délit; rejette le 1er moyen; mais sur le 2 moyen, pris d'un excès de pouvoir, de la violation des règles de la compétence et de la fausse application des art. 191 et 212 du C. d'inst. cr. : vu lesdits articles; att. qu'une demande de dommages-intérêts est une demande civile de sa nature dont les tribunaux correctionnels ne connaissent qu'en vertu d'une attribution spéciale de la loi, dans les cas qu'elle détermine; att. que si les art. 191 et 212 du C. d'inst. cr. autorisent les juges correctionnels, après avoir prononcé l'acquittement du prévenu, à statuer sur la demande de dommages-intérêts qu'il a formée, les dispositions desdits articles ne sauraient être étendues au cas où les juges se déclarent incompétents; qu'aucune disposition ne leur confère en ce cas le pouvoir d'allouer des dommages-intérêts au prévenu que la partie civile n'aurait traduit devant eux que dans un but de vexation, les sachant sans caractère pour connaître de la poursuite; - att. que, par suite, l'arrèt attaqué, en maintenant la condamnation à des dommages-intérêts prononcée par le tribunal à raison de la citation incompétemment donnée au prévenu devant la juridiction correctionnelle et en lui accordant de nouveaux dommages-intérêts à raison de l'appel interjeté par la partie civile, a commis un excès de pouvoir, violé les règles de sa compétence et faussement appliqué les dispositions ci-dessus visées; casse parte in qua du chef seulement des dommages-intérêts alloués à L... - prés. Le juge correctionnel ne peut statuer sur les dommages-intérêts dus à une partie lésée par un délit qu'après avoir préalablement reconnu l'existence de ce délit. Spécialement, le tribunal correctionnel ne peut, sans préjuger le fond et sous réserve de statuer ultérieurement sur le fond, commettre avant faire droit trois médecins à l'effet non de rechercher si le prévenu a commis une imprudence, mais de déterminer les conséquences dommageables du délit imputé. - ARRÊT (Planté c. Raudeynes). cons. LA COUR ; Cons. que par exploit du 4 fév. 1899, Planté, aujourd'hui décédé, a fait citer devant le tribunal correctionnel de la Seine Raudeynes, cocher au service de la Compagnie générale des PetitesVoitures, comme prévenu de lui avoir, le 29 nov. 1888, à Paris, par sa maladresse ou son imprudence, involontairement occasionné des blessures; qu'il a, en outre, conclu tant contre le prévenu que contre la Compagnie des Voitures, comme civilement responsable de son préposé, à l'allocation de 4,000 fr. de dommages-intérêts ; qu'à la suite du décès de Planté, survenu le 10 fév. 1889, la veuve Planté, agissant tant en son nom personnel que comme tutrice naturelle et légale de ses enfants mineurs, a, par exploit du 16 mars 1889, déclaré reprendre l'instance introduite par son défunt mari et a fait, en outre, citer Raudeynes comme prévenu d'homicide par imprudence; qu'elle a conclu contre Raudeynes et la Compagnie des Voitures à l'allocation d'une indemnité de 200,000 fr.; cons. que les premiers juges saisis de cette double demande ont, avant faire droit, ordonné une expertise par trois médecins à l'effet de rechercher si la mort de Planté devait être attribuée aux blessures qu'il avait reçues; qu'ils ont prescrit cette mesure sans avoir statué sur l'existence de l'imprudence ou de la maladresse constitutive des délits imputés à Raudeynes et sur le principe même de sa responsabilité; qu'il est dit en effet en termes exprès dans le jugement frappé d'appel que cette mesure est ordonnée « sans rien préjuger au fond et sous réserve de statuer ultérieurement sur le fond » ; cons. que d'après les principes généraux du droit consacrés par l'art. 3 du C. d'inst. cr., la juridiction correctionnelle n'est autorisée à statuer sur les dommages-intérêts qui peuvent être dus à une partie lésée par un délit qu'autant qu'elle a préalablement reconnu l'existence de ce délit ; - que dès lors, en ordonnant une mesure d'instruction qui a pour but de rechercher, non si Randeynes est l'auteur de l'accident ou a commis une imprudence, mais de déterminer les conséquences dommageables du délit que la citation lui impute d'avoir commis, le tribunal a excédé les limites de son droit et violé, par conséquent, les règles de sa compétence; qu'il y a donc lieu pour la Cour d'infirmer ledit jugement; cons. qu'aux termes de l'art. 215 du C. d'inst. cr., lorsque, sur l'appel d'un jugement rendu par un tribunal correctionnel, la Cour qui en est saisie annule le jugement pour violation de formes prescrites par la loi, à peine de nullité, les juges d'appel doivent retenir la cause et statuer eux-mêmes sur le fond; par ces motifs, reçoit Raudeynes et la Compagnie des Petites Voitures appelants du jugement susénoncé; iufirme ledit jugement et évoquant, etc. La loi du 18 avril 18861 sur l'espionnage, en employant les mots plans, écrits ou documents secrets, a entendu protéger non seulement les écrits, mais encore tous objets de nature à procurer un renseignement, et spécialement des échantillons de poudres de guerre. L'intention frauduleuse nécessaire pour l'application de l'art. 3 de cette loi résulte de la connaissance qu'a eue le prévenu du caractère secret du document dont il a obtenu ou tenté d'obtenir la remise, avec la circonstance que ce secret intéresse la défense nationale ou la sûreté extérieure de l'État. JUGEMENT (Salinié). LE TRIBUNAL; - Att. qu'il résulte de l'instruction et des débats : 1° qu'au commencement de novembre dernier, Salinié étant à sa fenêtre et voyant passer le caporal sapeur Michel, du 7e de ligne, le pria de l'attendre, et, l'ayant rejoint, lui demanda comme un service de lui procurer trois ou quatre charges de la poudre Lebel, et sur le 1. V. cette loi, J. cr art. 11451. ? refus de ce militaire, qui lui dit qu'il ne voulait pas s'exposer à être envoyé aux compagnies de discipline, ajouta : « Je compte sur vous pour m'en procurer »; 2o que le 2 déc. dernier, au moment où le sergent Cauton, du 7o de ligne, entrait avec deux de ses camarades, l'un caporal, l'autre soldat, dans la salle à manger de l'hôtel tenu par Salinié, celui-ci l'emmena dans une salle voisine, et, après avoir fermé la porte de communication, le pria de lui procurer un peu de poudre Lebel et l'engagea même à se concerter dans ce but avec le caporal sapeur; que cette proposition fut énergiquement repoussée par le sergent Cauton; att. qu'à raison de ces faits Salinié est poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir tenté de se procurer des plans, écrits ou documents secrets intéressant la défense nationale ou la sûreté extérieure de l'État, sans avoir qualité pour en prendre connaissance, tentative manifestée par un commencement d'exécution qui n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur; att. que le délit relevé à la charge de Salinié par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction est prévu et réprimé par les art. 1, 4 et 8 de la loi du 18 avril 1886 et 2 du C. P.; att. que les faits ci-dessus rapportés étant constants et n'étant point d'ailleurs contestés par Salinié, il y a lieu de rechercher si la poudre Lebel, dont il a tenté de se faire délivrer une petite quantité par le caporal sapeur Michel et par le sergent Cauton, rentre dans les qualifications de la loi ci-dessus visée et constitue un document secret intéressant la défense nationale; att., à cet égard, qu'il a été soutenu à tort que la poudre Lebel ne saurait être considérée comme un document, ce mot ne pouvant s'appliquer qu'à des titres ou pièces écrites destinées à servir de preuves relativement à une convention ou à un fait quelconque; att. que cette interprétation est erronée parce qu'elle est trop spéciale et que le mot « document » a un sens beaucoup plus large, beaucoup plus compréhensif; qu'il s'applique à toutes sortes de choses ou d'objets qui sont de nature à enseigner ou à renseigner sur un fait ou une circonstance quelconque, et que cela ressort de son étymologie aussi bien que de l'usage constant qu'il en est fait, soit dans les sciences, soit même dans le langage courant; - att. qu'à ce point de vue la poudre Lebel est évidemment un document, puisqu'elle est de nature à renseigner complètement sur la rapidité et la sûreté du fusil Lebel, en un mot sur les avantages et la supériorité incontestable de cette arme; qu'elle est donc le document par excellence; att., d'ailleurs, que le sens du mot «< document » employé par la loi du 18 avril 1886, doit être recherché dans cette loi elle-même, et qu'il est évident que le législateur, en employant les termes, plans, écrits ou documents secrets, a manifesté son intention J. cr. NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1889. 19 d'attribuer au dernier de ces termes, non le sens restreint qui en ferait un simple écrit, mais le sens le plus large, et que, loin de tomber dans une répétition inutile, il a entendu donner une énumération assez générale et assez large pour comprendre toutes choses secrètes qu'il voulait mettre à l'abri d'une divulgation aussi dangereuse que coupable; - qu'il est donc certain que la poudre Lebel, dont la composition, tenue secrète, intéresse à un si haut degré la défense nationale, rentre dans l'énumération de la loi de 1886, sous le terme générique de document; att., à un autre point de vue, que Salinié prétend qu'il n'y a pas de délit sans intention criminelle; que cette intention, dont la preuve, comme celle du fait lui-même, incombe au ministère public, ne saurait résulter que d'un concert établi entre le prévenu et une autre personne pour le compte de laquelle il aurait opéré, ou tout au moins d'un dessein mauvais auquel il aurait obéi, et que cette preuve n'est point faite; att., il est vrai, qu'aucun concert n'a été établi; — att., quant au but poursuivi par le prévenu, que des circonstances graves ont été révélées à sa charge par l'instruction et par les débats; qu'interrogé sur l'emploi de la poudre demandée, il a répondu qu'il voulait s'en servir pour chasser, alors qu'il a reconnu lui-même qu'il n'est point chasseur et qu'il est établi par la déclaration de l'armurier Landrevie que son fusil n'a pas servi depuis longtemps; que, d'ailleurs, la petite quantité de poudre demandée, ainsi que le danger qu'il pouvait y avoir à s'en servir, démontrent que l'explication donnée par le prévenu sur ses intentions est mensongère; qu'enfin il a prétendu avoir donné cette explication au caporal sapeur et au sergent, ce qui n'était point vrai, et qu'il a ajouté qu'il avait suivi les conseils de certains chasseurs de ses amis, qu'il n'a pu donner leurs noms et qu'il ne les a point fait entendre; att., toutefois, qu'il faut reconnaître que la preuve certaine d'un dessein criminel parfaitement arrêté n'a pu être faite à l'encontre du prévenu, mais que cette preuve n'était point nécessaire pour arriver à l'application de la loi de 1886; att., en effet, que cette loi n'a pas eu pour but de réprimer les complots contre la sûreté de l'État, mais simplement la divulgation de secrets intéressant la défense nationale; qu'elle n'a point subordonné l'application des pénalités qu'elle édicte à la preuve d'un concert frauduleux ou d'un dessein formé de faire servir le document secret obtenu à des actes d'hostilité contre la France; que la volonté du législateur à cet égard résulte clairement du texte des art. 1 et 2, qui, prévoyant le cas de la communication à un tiers du document secret, exige simplement que ce tiers n'eût point qualité pour en prendre connaissance; qu'elle résulte aussi de l'art. 4, qui punit de peines sévères celui qui, étant chargé de la garde de ces plans, écrits |