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2o Le chauffage et l'éclairage. Quant au chauffage, nous avons déjà dit plusieurs fois qu'il ne coûtait presque rien dans le Bas-Armagnac. Les pauvres trouvaient dans le bois sec des grandes forêts le moyen d'entretenir leur foyer gratuitement. Il nous reste à parler de l'éclairage. Dans la campagne, généralement, et même dans la ville pour le service des cuisines, on se servait de chandelles de résine que chacun fabriquait chez soi sans aucun frais. Cette matière ne coûtait pas plus de 6 à 9 deniers la livre pendant le xvII et la première moitié du XVIIIe siècle. A partir de 1750 le prix s'éleva à un sou 6 deniers pris à pains entiers et à 2 sous au détail. Ces chandelles avaient environ 50 centimètres de long et pouvaient durer toute une longue soirée. Or avec une livre de résine on en faisait pour le moins une douzaine. Un piton en fer ou en bois enfoncé dans le mur à l'un des côtés de la cheminée, à la portée de la main, recevait cette chandelle ou dans un trou rond ou dans une bifurcation qu'il présentait à l'extérieur. Un couvercle placé quelquefois au-dessus à une certaine hauteur recevait le noir de fumée qui, détrempé dans un peu de saindoux ou de suif fondu, fournissait le cirage nécessaire à la famille. En y mêlant un blanc d'œuf, les souliers et les sabots devenaient luisants sans le secours de la brosse. Les habitants pouvaient ainsi, sans aucune dépense, se montrer convenablement chaussés, soit aux marchés du voisinage, soit surtout aux offices du dimanche.

Un autre éclairage plus cossu servait principalement aux repas du soir et à certains travaux incompatibles avec la fumée de la résine. Le sol en fournissant la matière première. Il s'agit de l'huile de graine de lin, qui jadis était très commune. Tous ceux qui avaient des champs à cultiver ne manquaient pas de réserver un des meilleurs coins pour la semaille du lin, qui alors était

absolument nécessaire à l'entretien d'un ménage. Après la récolte, on portait chez le presseur d'huile une quantité de graine suffisante pour l'éclairage de toute l'année. On avait généralement pour lampe un petit bassin en laiton peu profond et triangulaire, attaché par un des côtés à une petite tringle mobile terminée par un crochet, l'angle de devant présentait un bec ouvert pour recevoir une mèche. Cette lampe, appelée careil ou « épargne >>, pouvait être facilement suspendue par son crochet et était très utile aux nombreux tisserands de la contrée, qui s'en sont servis pour leur travail de nuit jusqu'à ces derniers temps. Les personnes d'une certaine aisance possédaient simultanément des lampes mieux confectionnées. Mais en général on brûlait le l'huile de graine de lin. Je n'ai rencontré que bien rarement la vente d'une autre huile pour l'éclairage; le prix en était un peu inférieur à celui de l'huile d'olive: ces achats étaient ordinairement pour la lampe du sanctuaire. Mais il y avait aussi les chandelles de suif, qui, à cause de leur cherté relative, devaient être à l'usage presque exclusif des familles riches. Le prix moyen de la livre me paraît avoir été de 4 à 5 sous au XVIIe siècle et d'environ 13 sous au XVIIIe siècle.

3o Le sucre était d'une cherté peut-être plus grande encore par rapport au temps. D'après les ventes que j'ai sous les yeux, le prix en était 10 sous la livre au XVII siècle et environ 20 sous au siècle suivant. La consommation devait en être fort restreinte. Heureusement on y suppléait ou avec du miel, surtout pour les tisanes, ou avec du vin cuit avant la fermentation pour certaines préparations culinaires.

4o Le café n'était guère connu que dans les familles très aisées. Le peu d'achats que l'on en trouve dans les comptes d'épicerie et leur faible importance prouvent la rareté de cette dépense. Son prix était en rapport avec

celui du sucre. Je ne l'ai vu mentionné sur aucun compte du xvire siècle; le prix moyen du xvIII est d'environ 24 sous la livre.

5o Le girofle et le poivre, dont la consommation a dû être fort réduite, semblent avoir conservé la même valeur pendant les deux derniers siècles. Le girofle est coté environ 11 livres argent et le poivre une livre 18 sous la livre.

6o Le savon, qui a toujours été fort utile pour entretenir la propreté dans un ménage, était à un prix excessivement élevé. Je n'ai pas de renseignements à ce sujet pour le xvIIe siècle; mais ceux que j'ai pu recueillir dans le siècle suivant démontrent qu'il était plus cher que dans ce moment, malgré la grande diminution de la valeur des monnaies. Le prix moyen paraît avoir été 11 sous la livre. Heureusement le genre de vêtements des personnes peu fortunées pouvait les dispenser le plus souvent d'y avoir recours; l'eau de lessive leur suffisait, et cette dernière était à la portée de tous.

7° Je n'ai trouvé aucune mention locale de tabac à priser avant le xvIIIe siècle. Mais dans ce dernier il coûtait invariablement 4 livres argent la livre poids. Une vente à 3 livres en 1773 devait être du tabac de contrebande. On voit que ce produit a conservé à peu près le même prix dans notre siècle.

8° La plupart des petits propriétaires du Bas-Armagnac, sauf les accidents de gelée ou de grêle, récoltaient quelque peu de vin dès le XVIII° siècle. Nous pouvons ajouter que les plus pauvres, comme les simples journaliers, n'en étaient pas absolument privés, attendu qu'on en ajoutait généralement une petite quantité au prix de la journée, du moins dans le dernier siècle. Aussi dans les pensions viagères, même chez les gens peu aisés, trouvons-nous une ou deux barriques de vin et d'arrière-vin.

Je n'en citerai que deux exemples. En 1708, un tout petit propriétaire laisse à sa veuve jouissance d'une partie de la maison et du jardin, quelques sacs de grain, puis une barrique de vin et une de piquette appelée binot dans le pays, un habit complet tous les trois ans, un quartier de cochon et deux oisons gras. En 1769, Pierre Rousseau, également petit tenancier de Cazaubon, laisse à son épouse deux sacs méture, deux oisons gras, 10 livres argent, un habillement complet tous les trois ans, puis une barrique de vin et une de binot.

Il ne faut pas s'étonner qu'on attachât une certaine importance à cette dernière boisson à une époque où la culture de la vigne n'avait pas encore pris tout son développement. J'ai connu plusieurs personnes jouissant d'une grande aisance qui par goût s'abreuvaient de piquette ou binot pendant tous les mois d'hiver. Depuis la grande cherté du vin causée par les fléaux qui se sont abattus sur nos vignes, on se dispute en quelque sorte le marc des raisins pressés, que certaines personnes aisées abandonnent généreusement aux familles pauvres. Ces dernières peuvent ainsi se désaltérer sainement jusqu'aux premières chaleurs du printemps.

Nous voyons par les détails qui précèdent que les habitants du Bas-Armagnac trouvaient sur leur territoire tout ce qui est absolument nécessaire à un honnête entretien : pain, vin, viande, poisson, légumes, graisse, lait, bois et éclairage.

B. DUCRUC,

curé-doyen de Cazaubon.

Tome XXXVII.

15

CHATEAUX GASCONS

DE LA FIN DU XIII SIÈCLE

LE CHATEAU DE LÉBERON
(Suite et fin)

Lysander de Gélas fut le digne fils de son père. Sa bravoure à toute épreuve, le courage et le sang-froid qu'il montra en maintes occasions, son dévouement absolu à la cause du roi de France et de la religion catholique, iui valurent l'amitié d'Henri III d'abord, puis du duc d'Anjou son frère, et plus tard, après la pacification générale, celle d'Henri IV. Lysander de Gélas porte à leur faîte la gloire et la grandeur de sa maison.

Entre autres faits d'armes, si nombreux dans sa longue carrière, citons ici ceux que nous raconte son compatriote Scipion Dupleix, dans son Histoire d'Henri III:

Ce ne sont pas ces actions-là que je veux recommander à la postérité, mais tant seulement celles qui sont dignes des âmes généreuses; comme ces deux, faites en ce temps par Lysander de Gélas, marquis de Léberon, desquelles aiant ouy souvent faire le récit en ma jeunesse, j'en ay bonne mémoire. Aussy l'une fut faite à une lieue de chez moy et l'autre à deux journées.

Ce gentilhomme, âgé tant seulement de xxIII ans, estoit arrivé naguères de la Cour, où il s'estoit arresté quelque temps après le trespas du duc d'Anjou, son maistre, soubs lequel il avoit fait de très bonnes et hardies actions, et notamment en une retraicte devant Cambray, aiant aux trousses, luy deuxiesme, une compagnie de gendarmes. Or, le sieur d'Estignoz, du parti contraire, aiant eu advis qu'il se divertissoit ordinairement à la chasse, se mit en embusche prez de sa maison, accompagné de trois gendarmes et trois arcbusiers à cheval, espérant le surprendre. Mais aiant esté descouvert, Léberon monte promptement à

(*) Voir le numéro de février, p. 86.

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