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L'ODYSSÉE d'Homere est, comme personne ne l'ignore, un poëme rempli de morale. Ulysse, aux prises avec les obstacles de tant de genres qui s'opposoient à son retourà Ithaque, ne trouvant que des dangers sur sa route, et triomphant de tout, principalement de la séduction de ses passions, par sa constance, par son amour pour sa patrie, pour sa chere Pénélope et pour le jeune Télémaque, enfin par le secours des dieux, qui, après l'avoir fait passer par des épreuves en apparence désespérantes, le conduisent enfin au terme de ses desirs: voilà sans doute ce qui fixa l'attention de Fénélon, ce qui peut-être lui donna l'idée du Télémaque; ouvrage immortel et digne d'être placé à côté de son modele.

Pour s'en pénétrer encore plus, pour s'échauffer, si j'ose m'exprimer ainsi, au feu du génie d'Homere, il ne se borna pas à le lire et à l'étudier; il crut devoir le traduire. Il commence au septieme chant, au moment où Ulysse arrive à l'isle de Calypso, et finit au treizième; ce qui fait en tout six chants. Il paroît qu'il y a travaillé rapidement, plus occupé de la chose de la maniere de la rendre, et sans songer que à donner à une traduction, qu'il ne faisoit que pour

lui, l'exactitude, l'élégance, la fraîcheur, qui font le

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PRÉFAC E.

caractere de son style. Aussi croyons-nous qu'elle n'auroit pas fait sa réputation; et nous ne la donnons au public que parcequ'on l'avoit annoncée avec une sorte d'enthousiasme qu'elle ne mérite pas, et que plusieurs littérateurs, que nous avons consultés, nous ont assurés que ce seroit nous exposer à de justes reproches que de ne pas la mettre à la suite de Télémaque, ne fût-ce que pour servir d'ombre à ce beau tableau. Pour la commodité des lecteurs et mettre sous leurs yeux le commencement et la suite des aventures d'Ulysse, nous avons cru devoir ajouter des extraits de tous les chants qui n'étoient pas traduits.

Mais pourquoi Fénélon a-t-il préféré l'Odyssée à l'Iliade? Ne semble-t-il pas que l'Iliade devoit l'emporter par la pompe des descriptions, par la magnificence du style, par la variété des caracteres, par la grandeur des héros qu'on y met en action? Un long siege, des combats fréquents, de brillants triomphes; quoi de plus propre à échauffer l'imagination, et à donner aux images ces couleurs vives et tranchantes qui attachent et qui étonnent? Ce n'est pas ce que pensoit Fénélon. Il dirigeoit tous ses travaux à l'éducation du prince qui lui étoit confié; et, regardant la guerre comme un mal quelquefois nécessaire, mais presque jamais desirable, il ne cherchoit pas à faire aimer, à faire souhaiter à son auguste éleve des suc

cès qu'on n'obtient que par des meurtres et des ravages.

Il n'aspiroit qu'à former un grand roi; et il n'y en avoit de grands, selon lui, que ceux qui, toujours prêts à faire la guerre, sont toujours occupés des moyens de l'éviter, et préferent la gloire de commander paisiblement à un peuple heureux, parcequ'il est soumis et contenu, à celle de le conduire à des victoires, qui coûtent tant de larmes et de sang aux vainqueurs et aux vaincus.

Il n'est donc pas étonnant que M. de Fénélon se soit attaché de préférence à un poëme qui nous présente un tableau si vrai de la vie humaine, des revers que les rois mêmes peuvent y éprouver, et du soin qu'ils doivent prendre de s'y préparer par la patience, la fermeté, la vigilance, et la confiance dans cette divine Providence toujours attentive à protéger, à seconder, à récompenser les ames fortes et vertueuses.

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