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replongés. Nous ne sommes rien par nous-mêmes : nous ne sommes que ce que Dieu nous fait être, et seulement 'pour le temps qu'il lui plaît: il n'a qu'à retirer la main qui nous porte, pour nous renfoncer dans l'abyme de notré néant, comme une pierre, que l'on tient en l'air, tombe de son propre poids dès qu'on ne la tient plus. Nous n'avons donc l'être et la vie que par le don de Dieupitni e de

De plus il y a d'autres biens d'un ordre encore plus pur et plus élevé la bonne vie vaut encore mieux que la vie : la vertu est d'un plus grand prix qué la santé : la droiture de cœur et l'amour de Dieu sont plus au-dessus des dons temporels que le ciel ne l'est au-dessus de la terre. Si donc nous sommes incapables de posséder un seul moment ces dons vils et grossiers sans le secours de Dieu, à combien plus forte raison faut-il qu'il nous donne ces autres dons sublimes de son amour!

C'est donc, ô mon Dieu, ne vous point connoître, que de vous regarder hors de nous comme un Etre tout-puissant qui donne des loix à toute la nature et qui a fait tout ce que nous voyons : c'est ne connoître encore qu'une partie de ce que vous êtes : c'est ignorer ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus touchant pour vos créatures raisonnables. Ce qui m'enleve et ce qui m'attendrit, c'est que vous êtes

le Dieu de mon cœur ; vous y faites tout ce qu'il vous plaît. Quand je suis bon, c'est vous qui me rendez tel: non seulement vous tournez mon cœur comme il vous plaît, mais encore vous me donnez un cœur selon le vôtre. C'est vous qui vous aimez vous-même en moi : c'est vous qui animez mon ame, comme mon ame anime mon corps; vous m'êtes plus présent et plus intime que je ne le suis à moi-même: ce moi, auquel je suis si sensible et que j'ai tant aimé, me doit être étranger en comparaison de vous : c'est vous qui me l'avez donné ; sans vous il ne seroit rien: voilà pourquoi vous voulez que je vous aime plus que lui.

O puissance incompréhensible de mon créateur! O droit du créateur sur la créature, que jamais la créature ne comprendra assez! O prodige d'amour, que Dieu seul peut faire! Dieu se met, pour ainsi dire, entre moi et moi; il me sépare d'avec moi-même; il veut être plus près de moi par son pur amour que je ne le suis de moi-même; il veut que je regarde ce moi comme je regarderois un être étranger ; il veut que je sorte des bornes de ce moi, que je le lui sacrifie sans retour, et que je le rapporte tout entier et sans condition au créateur de qui je le tiens ce que je suis me doit être bien moins cher que celui par qui je suis. Il m'a fait pour lui et non pour

moi-même ; c'est-à-dire pour l'aimer, pour vouloir ce qu'il veut, et non pour m'aimer en cherchant ma propre volonté. Si quelqu'un sent son cœur révolté contre ce sacrifice entier de moi à celui qui nous a créés, je déplore son aveuglement, j'ai compassion. de le voir esclave de lui-même, et je prie Dieu de l'en délivrer en lui enseignant à l'aimer plus que tout ce qui existe.

O mon Dieu! je vois, dans ces personnes scandalisées de votre pur amour, les ténebres et la rebellion causées par le péché originel. Vous n'avez point fait le cœur de l'homme avec cette pente de propriété si monstrueuse. Cette rectitude où l'écriture nous apprend que vous l'avez créé ne consistoit qu'à n'être point à soi, mais à celui qui nous a faits pour lui. O pere! ô pere! vos enfants sont tout défigurés et ne vous ressemblent plus! Ils s'irritent, ils se découragent quand on leur parle d'être à vous comme vous êtes à vous-même. En renversant cet ordre si juste, ils veulent follement s'ériger en divinités : ils veulent être à eux-mêmes, faire tout pour eux, ou du moins ne se donner à vous qu'avec des réserves, à certaines conditions et pour leur propre intérêt. Omonstrueuse propriété ! ô droits de Dieu inconnus! ô ingratitude et insolence de la créature! Misérable néant! qu'as-tu à garder pour toi? Qu'as-tu qui t'appartienne? Qu'as

tu qui ne vienne d'en haut et qui ne doive y retour ner? Tout (jusqu'à ce moi si injuste qui veut partager avec Dieu ses dons) est un don de Dieu qui n'est fait que pour lui: tout ce qui est en toi crie contre toi pour le créateur. Tais-toi donc, créature, qui te dérobes à ton créateur, et rends-toi toute à lui.

Mais hélas! ô mon Dieu! quelle consolation de penser que tout est votre ouvrage, autant au dedans de moi qu'au dehors! vous êtes toujours avec moi, Quand je fais mal, vous êtes au dedans de moi, me reprochant le mal que je fais, m'inspirant le regret du bien que j'abandonne, et me montrant une miséricorde qui me tend les bras. Quand je fais le bien, c'est vous qui m'en inspirez le desir et qui le faites en moi et avec moi : c'est vous qui aimez le bien, qui haïssez le mal dans mon cœur, qui souffrez, qui priez, qui édifiez le prochain, qui faites l'aumône : je fais toutes ces choses, mais c'est par vous; vous me les faites faire; vous les mettez en moi. Ces bonnes œuvres, qui sont vos dons, deviennent mes œuvres; mais elles sont toujours vos dons; et elles cessent d'être bonnes œuvres dès que je les regarde comme uniquement miennes, et que votre don, qui en fait tout le prix, s'échappe à ma vue,

Vous êtes donc (et je suis ravi de le pouvoir penser)

:

opérant sans cesse dans le fond de moi-même: vous y travaillez invisiblement comme un ouvrier qui travaille aux mines dans les entrailles de la terre : vous faites tout, et le monde ne vous voit pas ; il ne vous attribue rien moi-même je m'égarois en vous cherchant par de vains efforts bien loin de moi; je rassemblois dans mon esprit toutes les merveilles de la nature pour me former quelque image de votre grandeur; j'allois vous demander à vos créatures; et je ne pensois pas à vous trouver au fond de mon cœur, vous ne cessiez d'être. Non, mon Dieu, il ne faut point creuser au fond de la terre ni passer au-delà des mers; il ne faut point voler jusques dans les cieux,' (1) disent vos saints oracles, pour vous trouver : vous êtes plus près de nous que nous-mêmes. O Dieu si grand et si familier tout ensemble, si élevé au-dessus des cieux et si proportionné à la bassesse de sa créature, si immense et si intimement renfermé dans le fond de mon cœur, si terrible et si aimable, si jaloux et si facile pour ceux qui vous traitent avec la familiarité du pur amour, quand estce que vos propres enfants cesseront de vous ignorer? Qui me donnera une voix assez forte pour reprocher au monde entier son aveuglement et pour lui an

comme

(1) Deut. 30, v. 11; Rom. 10, v. 6.4.

TOME VIII.

C

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