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qu'on ne le connoît point : car, si on le connoissoit, on l'aimeroit. Dieu est amour, comme dit saint Jean : celui qui ne l'aime point ne le connoît point, car comment connoître l'amour sans l'aimer? Il faut donc conclure que tous les gens qui ne font encore que craindre Dieu ne le connoissent point.

Mais qui est-ce, ô mon Dieu, qui vous connoîtra? Celui qui cherchera de tout son cœur à vous connoître, qui ne se connoîtra plus soi-même pour s'es, timer, et à qui tout ce qui n'est point vous sera comme s'il n'étoit pas. Le monde seroit surpris d'entendre parler ainsi, parceque le monde est plein de lui-même, de la vanité, du mensonge, et vuide de Dieu. Mais j'espere qu'il y aura toujours des ames qui auront faim de Dieu et qui goûteront les vérités que je vais dire,

O mon Dieu ! avant que vous fissiez le ciel et la terre il n'y avoit que vous. Vous étiez; car vous n'avez jamais commencé d'être : mais vous étiez seul, Hors vous il n'y avoit rien ; vous jouissiez de vousmême dans cette solitude bienheureuse; vous vous suffisiez à vous-même, et vous n'aviez besoin de trou ver rien hors de vous, puisque c'est vous qui, bien loin de recevoir, donnez à tout ce qui n'est pas vous

(1) Jean, ép. I, chap. 4, v. 8 et 16.

même, par votre parole toute-puissante, c'est-à-dire par votre simple volonté, à qui rien ne coûte et qui fait tout ce qu'elle veut par son pur vouloir, sans succession de temps et sans aucun travail. Vous fites que ce monde, qui n'étoit point, commença à être. Vous ne fîtes point comme les ouvriers d'ici-bas, qui trouvent les matériaux de leurs ouvrages, qui ne font que les rassembler, et dont l'art consiste à ranger peu-àpeu avec beaucoup de peine ces matériaux qu'ils n'ont pas faits. Vous ne trouvâtes rien de fait, et vous fites vous-même tous les matériaux de votre ouvrage. C'est sur le néant que vous travaillâtes. Vous dîtes,' Que le monde soit ; et il fut. Vous n'eûtes qu'à dire,' et tout fut fait.

Mais pourquoi fites-vous toutes ces choses? Elles furent toutes faites pour l'homme, et l'homme fåt fait pour vous. Voilà l'ordre que vous établites : malheur à l'ame qui le renverse, qui veut que tout soit pour elle, et qui se renferme en soi! C'est là violer la loi fondamentale de la création.

Non, mon Dieu, vous ne pouvez céder vos droits essentiels de créateur; ce seroitvous dégrader vousmême. Vous pouvez pardonner à l'ame coupable qui vous a outragé, parceque vous pouvez la remplir de votre pur amour : mais vous ne pouvez cesser d'être contraire à l'ame qui rapporte tous vos dons à elleB

TOME VIII.

vous,

́même, et qui refuse de se rapporter elle-même par un amour sincere et désintéressé à son créateur. Ne faire que vous craindre, ce n'est pas se rapporter à c'est au contraire ne penser à vous que par rapport à soi. Vous aimer dans la seule vue des avantages qu'on trouve en vous, c'est vous rapporter à soi, au lieu de se rapporter à vous. Que faut-il donc pour se rapporter entièrement au créateur? Il faut se renoncer, s'oublier, se perdre, entrer dans vos intérêts, ô mon Dieu, contre les siens propres; n'avoir plus ni volonté, ni gloire, ni paix que la vôtre; en un mot, c'est vous aimer sans s'aimer soi-même autrement qu'en vous et pour vous.

O combien d'ames qui, sortant de cette vie chargées de vertus et de bonnes œuvres, n'auront point cette pureté sans laquelle on ne peut voir Dieu; et qui, faute d'être trouvées dans ce rapport simple et total de la créature à son créateur, auront besoin d'être purifiées par ce feu jaloux qui ne laisse rien dans l'autre vie à l'ame de tout ce qui l'attache à ellemême! Elles n'entreront en Dieu, ces ames, qu'après être pleinement sorties d'elles-mêmes. Dans cette épreuve d'une inexorable justice, ce qui est encors à soi est du domaine du purgatoire. Hélas! combien d'ames qui se reposent sur leurs vertus, et qui ne veulent point entendre le renoncement parfait à elles

mêmes! Cette parole leur est dure et les scandalise: mais qu'il leur en coûtera pour l'avoir négligée! Elles paieront au centuple les retours sur ellesmêmes et les vaines consolations dont elles n'auront pas eu le courage de se déprendre.

(1)

Revenons. Telle est donc la grandeur de Dieu, qu'il ne peut rien faire que pour lui-même et pour sa propre gloire. C'est cette gloire incommunicable dont il est nécessairement jaloux, et qu'il ne peut donner à personne, comme il le dit "") lui-même. Au contraire, telle est la bassesse de la créature et sa dépendance, qu'elle ne peut, sans s'ériger en fausse divinité et sans violer la loi immuable de sa création, rien faire, rien dire, rien penser, rien vouloir, pour elle-même et pour sa propre gloire.

O néant! tu veux te glorifier! Tu n'es qu'à condition de n'être jamais rien à tes propres yeux: tu n'es que pour celui qui te fait être. Il se doit tout à lui-même; tu te dois tout à lui: il ne peut en rien relâcher; tout ce qu'il te laisseroit à toi-même sortiroit des loix inviolables de sa sagesse et de sa bonté. Un seul instant, un seul soupir, donné uniquement à ton intérêt propre, blesseroit essentiellement la fin du créateur dans la création. Il n'a besoin de rien;

(1) Is. 42, v. 8.

un seul

pas

mais il veut tout, parceque tout lui est dû, et que tout n'est pas trop pour lui, tant il est grand: mais cette même grandeur fait qu'il ne peut rien produire hors de lui-même qui ne soit tout pour lui: c'est son bon plaisir qu'il veut dans sa créature. Il a fait pour moi le ciel et la terre; mais il ne peut souffrir que je fasse volontairement et par choix un pour autre fin que d'accomplir sa volonté. Avant qu'il eût produit ses créatures, il n'y avoit point d'autre volonté que la sienne. Croirons-nous qu'il ait créé des créatures raisonnables pour vouloir autrement que lui? Non; c'est la raison souve raine qui doit les éclairer et être leur raison; c'est sa volonté, regle de tout bien, qui doit vouloir en nous : toutes nos volontés n'en doivent faire qu'une seule avec la sienne; c'est pourquoi nous lui disons: Que votre regne vienne; que votre volonté soit faite.

Pour mieux comprendre tout ceci, il faut se repré senter que Dieu, qui nous a faits de rien, nous refait encore, pour ainsi dire, à chaque instant. De ce que nous étions hier, il ne s'ensuit pas que nous devions être encore aujourd'hui : nous pourrions cesser d'être, et nous retomberions effectivement dans le néant dont nous sommes sortis, si la même main toute-puissante qui nous en a tirés ne nous empêchoit d'y être

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