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une révolte. L'Officier Chinois craignit effectivement qu'elle n'éclatat après fon départ; & pour la prévenir, il imagina un étrange moyen: ce fut de transférer ailleurs toutes les Familles Tartares de ce canton. Un détachement de fon escorte reçut ordre de fe répandre aux environs, d'y détruire les habitations réunies en villages ou difperfées dans la campagne, & de mettre en piéces fans exception tout ce qui pouvoit être de quelque ufage.

Il eft vrai qu'en agiffant ainsi, on avoit foin de faire entendre aux Mancheoux, qu'ils trouveroient tout en abondance dans le pays qu'on leur deftinoit. Mais ces pauvres bannis, comptant peut fur ces belles promeffes, ne pouvoient fe réfoudre à déloger. La jeuneffe & les plus robuftes d'entr'eux fe refugièrent dans des lieux inacceffibles, tandis qu'on enlevoit de force les enfans, les infirmes & les vieillards. Lé nombre de ces malheureux monta à plus

Les

cheoux

de fix mille, qui périrent pour la plûpart de misère ou de chagrin. Un traitement fi dur ne fit cependant qu'une médiocre impreffion fur le gros du peuple Mancheou on le regarda comme un effet paffager de la mauvaise volonté du Viceroi, que la Cour n'avoit garde d'approuver, & qu'elle puniroit même tôt ou tard. Dans cette idée, on fe raffura peu à peu; les fugitifs vinrent fe remettre en poffeffion du terrein qu'ils avoient abandonné; les établissemens s'y multiplièrent, & on s'y crut à l'abri de toute infulte. En 1610 la haine des Mandarins fe réveilla tout à coup. Lorsqu'on s'y attendoit le moins, de nouvelles Troupes Chinoises reparurent dans ces quartiers, & y firent un dégat affreux.

Les Mancheoux comprenant Man- alors ce qu'ils avoient à craindre, fe don- S'ils héfitoient à fe réunir en corps nent un d'armée, cette union fut enfin réRoi, folue; & par-là même il fut ›décidé qu'on donneroit à la nation

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un Chef abfolu c'eft-à-dire un véritable Roi. Le choix en étoit de conféquence; cependant pour le faire à propos, on n'eut pas long-temps à délibérer; une acclamation générale l'ayant fait tomber fubitement fur la perfonne de Taytfou (8), celui-là même que la maifon régnante aujourd'hui à la Chine reconnoît pour Fondateur de fa Dynastie.

(8) Ce Taytfou étoit un des Princes ou Chefs de Tribu de fa nation. Né dans un village de Tartarie, appellé Kioro, il s'étoit venu établir avec cinq de fes frares, en un lieu nommé à cette occafion Ninguta, qui en langage Mancheou fignifie les fix Chefs. Ninguta eft aujourd'hui une bonne Ville au 44 d. 24 m. de latitu de & environ au 147 d. 22 m. de longitude.

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On dit qu'après l'élévation de Taytfou, une autre branche de fa famille vint le joindre, & que pour

s'attacher toujours plus les perfonnes des deux branches de fa maifon, il leur donna la ceinture jaune & la ceinture rouge, comme une marque

d'honneur, qui devoit les diftinguer des autres Mancheoux. La ceinture jaune fut affectée à la branche régnante, & la ceinture rouge fut donnée à l'autre. Les defcendans de cette feconde branche portent encore aujourd'hui à la Chine le furnom de Kioro. On les appelle auffi fimplement ceintures rouges. ›

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L'élection de ce Prince fut fuivie d'un changement total parmi les Mancheoux; ils prirent avec les armes les vertus qui font les guerriers la patience dans le travail, la fubordination, la bravoure, un grand zéle pour l'honneur de la nation. C'étoit-là fans doute plus qu'il n'en falloit pour exciter dans toute leur jeunesse un violent defir de fe venger des Chinois; & Taytfou ne manqua pas de le feconder de fon mieux. Dès la première année de fon régne, il repréfenta aux différentes Tribus, << qu'il étoit honteux pour elles » de fe tenir plus long-temps fur » la défenfive; qu'il falloit fran» chir les limites de leur pays, » courir fur les terres de l'Empire, » & pour faciliter ces courfes » s'emparer d'abord de Fouchun. Cette Place étoit par fa fituation, une des plus fortes barrières de la domination Chinoife. Taytsou s'en approcha à la tête de trente mille hommes ; & l'ayant investie de tous côtés, il la prit en deux jours par efçalade,

A cette nouvelle le Viceroi du Leaotong fe crut perdu à la Cour, s'il n'éteignoit au plutôt cet incendie. Il raffembla donc promptement toutes les troupes de fa Province, & leur ayant donné pour Général un de fes Lieutenans homme de cœur & d'expérience, il les fit marcher contre les Mancheoux. La partie affurément n'étoit pas égale; Taytfou le comprit, & fe retira: mais à l'entrée de la Tartarie, il laiffa un détachement confidérable chargé d'obferver l'Armée Chinoife, & de l'inquiéter dans fes mouve

mens.

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Huft

à dix

? mille

cheoux

Cette fage précaution eut encore plus de fuccès qu'on n'en attendoit. Ce corps laiffé en arrière, étoit de huit à dix mille hommes qui, fans fe commettre impru- Mandemment, attendoit en paix l'oc- défont cafion d'agir. Ces braves la trou- l'Armée vèrent dans la mauvaise conduite Chinoi de l'ennemi. Les Chinois croyoient la guerre finie par la retraite des Mancheoux; & pleins de mépris

fe.

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