Page images
PDF
EPUB

il y a cependant de la grandeur, on ne peut le nier, dans cette hospitalité désintéressée et généreuse dont les premiers exemples ont été donnés aux Orientaux par les patriarches. Il arrive aussi quelquefois qu'un savant en lunettes, aux allures excentriques, tout occupé à ramasser des cailloux et à interroger les rochers à coups de marteau, se voit entouré de mille soins affectueux. Qu'il ne se hâte point de voir dans le respect dont il est l'objet un hommage rendu à la science : c'est que tout simplement on l'a pris pour un fou, et les fous inspirent aux habitans des parties les plus reculées de la régence une vénération superstitieuse. Il leur semble que l'homme privé de sa raison s'élève au-dessus de la terre, et que Dieu pense et agit pour lui.

Mais ceci se passe dans l'intérieur du pays, chez les tribus berbères, qui vivent encore dans une profonde ignorance. Les principales villes de la régence, et particulièrement celles du littoral, sont si fréquemment visitées par des voyageurs de toutes les nations, que la présence d'un touriste, d'un dessinateur ou d'un géologue n'y cause ni étonnement ni méprise. Des ingénieurs français, appelés par Achmed-Bey, ont parcouru tous les états de ce prince pour dresser une grande carte qui a été publiée à Paris, en 1841, au dépôt de la guerre. L'année dernière, de nouveaux travaux du même genre ont été accomplis par les ordres du bey Mohammed, qui gouverne aujourd'hui la régence. Le pays, si riche en souvenirs, a été exploré et fouillé dans tous les sens par des savans qui, chaque jour encore, découvrent quelques monumens se rattachant aux époques punique, romaine et arabe. Le bey, qui aime les arts du dessin et les cultivait lui-même avant de monter sur le trône, encourage par un accueil bienveillant et par de généreuses récompenses les hommes de talent capables de le seconder dans ses goûts et dans ses vues. Sous l'administration éclairée de ce prince aux mœurs douces et paisibles, la petite colonie européenne mène une vie fort agréable à Tunis. Les consulats forment le centre d'une société choisie que la navigation à vapeur met presque chaque jour en rapport avec l'Europe. Des paquebots réguliers, venant de Marseille, de Malte et de Gênes, apportent sur ce point du littoral africain les nouvelles du monde entier et les journaux écrits en toutes les langues. La défense faite aux femmes étrangères de débarquer à Tunis sans une autorisation spéciale du bey est levée désormais, et à une époque où les voyages offrent plus d'agrémens que de périls, les dames ne se font pas faute de profiter de la permission. Elles peuvent d'ailleurs entreprendre sans fatigue de longues excursions, grâce aux calèches que des Maltais tiennent prètes pour le service des touristes. Quant aux sportsmen, ils trouvent dans la régence de Tunis le plus admirable pays de chasse. Dans les montagnes le lion, le tigre, la panthère, dans les forêts le lynx, le singe, le cerf, l'antilope, la gerboise, dans les plaines la gazelle et l'autruche, telles sont les variétés de gros gibier qui invitent le chasseur à se mettre en campagne. Si vous préférez aux émotions un peu vives de la grande chasse les promenades solitaires du touriste, parcourez les vallées dans lesquelles paissent les petites vaches et les moutons à grosse queue, et les coteaux que couvrent par milliers les chameaux paisibles. A travers les rochers, vous entendrez murmurer par centaines des essaims d'abeilles dont le miel aromatique coule parmi les pierres. Au pied des montagnes s'étendent les plantations d'oliviers; là aussi croissent le jujubier aux feuilles

étroites, le grenadier aux fruits écarlates, le cactus épineux, le mûrier et l'arbousier qui se plaît également sur les versans des Pyrénées. Dans les lieux plus frais, l'Européen retrouve le châtaignier et le noyer. Enfin au milieu des plaines, dans le voisinage de la mer, fleurissent le citronnier et l'oranger, dont la vue rappelle les pays privilégiés où il ne gèle pas, et par-dessus la tête arrondie des figuiers se dresse le vert panache du dattier, comme le minaret au-dessus du dôme de la pagode.

C'est une si belle chose qu'une contrée chaude où l'hiver n'ose pas s'arrêter, tant il a peur du soleil! En lisant la Notice sur la Régence de Tunis, on se rend parfaitement compte du charme que peut exercer sur ceux qui l'ont habité longtemps ce pays favorisé du ciel, célèbre dès les temps anciens, chaque année plus florissant, et dans lequel les mœurs vont en s'adoucissant toujours. Écrit sans prétention littéraire et rempli de documens historiques et statistiques, ce livre porte la marque d'une vive sympathie pour la France. Peut-être ne fait-il que retracer en toute justice le grand et noble rôle que notre pays a joué à Tunis, comme dans d'autres états du Levant, depuis les croisades. Quoi qu'il en soit, l'important ouvrage publié sous le titre modeste de Notice se distingue par un mérite assez rare : il fait très bien comprendre et il fait aimer le pays dont il parle. Quel dommage qu'un dessinateur de Genève capable de rendre l'Orient comme Calame entend la puissante nature des Alpes, comme Topffer savait exprimer la sérénité des vallées de la Suisse, n'ait pas été chargé d'y joindre quelques illustrations!

TH. PAVIE.

On nous signale une inexactitude qui s'est glissée dans le récit d'un curieux épisode de la guerre d'Orient, la campagne de la Dévastation, publié récemment par la Revue des Deux Mondes (livraisons du 1er et du 15 février). L'auteur de ce récit parle du colonel Muller comme s'étant distingué, à la tête du 95° de ligne, dans les mémorables faits d'armes de Traktir et de Kinburn. Le nom de ce colonel est Danner, et le brave officier qui le porte est aujourd'hui maréchal de camp. D'autres passages du même récit ayant été interprétés d'une façon certainement contraire à la pensée de l'écrivain, nous croyons devoir répondre également aux observations qui nous ont été présentées à ce sujet. C'est à tort qu'on a prêté à l'auteur l'intention de faire ressortir le rôle de la Dévastation devant Kinburn aux dépens de celui des autres batteries flottantes, et des bâtimens de l'escadre en général. Dans cette partie du récit comme dans toutes les autres, la place qu'occupe la Dévastation s'explique par le cadre même où l'auteur s'est renfermé. S'il avait voulu raconter l'histoire de la flotte au lieu de recueillir simplement quelques souvenirs, il aurait reconnu que les trois batteries flottantes, se suivant à deux cents mètres de distance, avaient eu chacune sa part glorieuse soit au début, soit à la fin du combat de Kinburn. C'est là un fait que nous afmons à constater en expliquant les véritables intentions du

narrateur.

V. DE MARS.

DE

L'INFLUENCE SPIRITUALISTE

DE M. COUSIN

Fragmens et Souvenirs, par M. Victor Cousin.

Presque toutes les générations, en entrant dans la vie, ont commencé par une opinion exagérée de leur force et des destinées qu'elles se croyaient appelées à remplir. Les grandes générations sont celles qui, après bien des luttes, des mécomptes, des demi-victoires et des demi-défaites, arrivent sur leurs vieux jours à réaliser une partie de leurs rêves de jeunesse. C'est au contraire un des traits caractéristiques de celle qui depuis quelques années a pris possession d'elle-même que de débuter par la défiance et l'abandon. La génération qui nous a précédés, celle qui entra dans la carrière en 1815 et atteignit en 1830 la plénitude de sa virilité, apportait avec elle des espérances presque illimitées. En tout, elle se proclamait appelée à renouveler, et, comme si l'humanité fùt née une seconde fois avec elle, elle se croyait capable d'inaugurer en son siècle une littérature nouvelle, une philosophie nouvelle, une histoire nouvelle, un art nouveau. Elle n'a pas donné tout ce qu'elle promettait : elle promettait l'infini; elle n'a pas renouvelé l'esprit humain : cette œuvre est plus difficile qu'on ne le croit d'abord. Mais, en ne tenant qu'une très petite partie de son programme, elle a donné beaucoup; la génération qui a suivi, en tenant toutes ses promesses,

TOME XIV.

1er AVRIL 1858.

32

étroites, le grenadier aux fruits écarlates, le cactus épineux, le mûrier et l'arbousier qui se plaît également sur les versans des Pyrénées. Dans les lieux plus frais, l'Européen retrouve le châtaignier et le noyer. Enfin au milieu des plaines, dans le voisinage de la mer, fleurissent le citronnier et l'oranger, dont la vue rappelle les pays privilégiés où il ne gèle pas, et par-dessus la tête arrondie des figuiers se dresse le vert panache du dattier, comme le minaret au-dessus du dôme de la pagode.

C'est une si belle chose qu'une contrée chaude où l'hiver n'ose pas s'arrêter, tant il a peur du soleil! En lisant la Notice sur la Régence de Tunis, on se rend parfaitement compte du charme que peut exercer sur ceux qui l'ont habité longtemps ce pays favorisé du ciel, célèbre dès les temps anciens, chaque année plus florissant, et dans lequel les mœurs vont en s'adoucissant toujours. Écrit sans prétention littéraire et rempli de documens historiques et statistiques, ce livre porte la marque d'une vive sympathie pour la France. Peut-être ne fait-il que retracer en toute justice le grand et noble rôle que notre pays a joué à Tunis, comme dans d'autres états du Levant, depuis les croisades. Quoi qu'il en soit, l'important ouvrage publié sous le titre modeste de Notice se distingue par un mérite assez rare : il fait très bien comprendre et il fait aimer le pays dont il parle. Quel.dommage qu'un dessinateur de Genève capable de rendre l'Orient comme Calame entend la puissante nature des Alpes, comme Topffer savait exprimer la sérénité des vallées de la Suisse, n'ait pas été chargé d'y joindre quelques illustrations!

TH. PAVIE.

On nous signale une inexactitude qui s'est glissée dans le récit d'un curieux épisode de la guerre d'Orient, · la campagne de la Dévastation, publié récemment par la Revue des Deux Mondes (livraisons du 1er et du 15 février). L'auteur de ce récit parle du colonel Muller comme s'étant distingué, à la tête du 95° de ligne, dans les mémorables faits d'armes de Traktir et de Kinburn. Le nom de ce colonel est Danner, et le brave officier qui le porte est aujourd'hui maréchal de camp. D'autres passages du même récit ayant été interprétés d'une façon certainement contraire à la pensée de l'écrivain, nous croyons devoir répondre également aux observations qui nous ont été présentées à ce sujet. C'est à tort qu'on a prêté à l'auteur l'intention de faire ressortir le rôle de la Dévastation devant Kinburn aux dépens de celui des autres batteries flottantes, et des bâtimens de l'escadre en général. Dans cette partie du récit comme dans toutes les autres, la place qu'occupe la Dévastation s'explique par le cadre même où l'auteur s'est renfermé. S'il avait voulu raconter l'histoire de la flotte au lieu de recueillir simplement quelques souvenirs, il aurait reconnu que les trois batteries flottantes, se suivant à deux cents mètres de distance, avaient eu chacune sa part glorieuse soit au début, soit à la fin du combat de Kinburn. C'est là un fait que nous afmons à constater en expliquant les véritables intentions du narrateur.

V. DE MARS.

DE

L'INFLUENCE SPIRITUALISTE

DE M. COUSIN

Fragmens et Souvenirs, par M. Victor Cousin.

Presque toutes les générations, en entrant dans la vie, ont commencé par une opinion exagérée de leur force et des destinées qu'elles se croyaient appelées à remplir. Les grandes générations sont celles qui, après bien des luttes, des mécomptes, des demi-victoires et des demi-défaites, arrivent sur leurs vieux jours à réaliser une partie de leurs rêves de jeunesse. C'est au contraire un des traits caractéristiques de celle qui depuis quelques années a pris possession d'elle-même que de débuter par la défiance et l'abandon. La génération qui nous a précédés, celle qui entra dans la carrière en 1815 et atteignit en 1830 la plénitude de sa virilité, apportait avec elle des espérances presque illimitées. En tout, elle se proclamait appelée à renouveler, et, comme si l'humanité fùt née une seconde fois avec elle, elle se croyait capable d'inaugurer en son siècle une littérature nouvelle, une philosophie nouvelle, une histoire nouvelle, un art nouveau. Elle n'a pas donné tout ce qu'elle promettait : elle promettait l'infini; elle n'a pas renouvelé l'esprit humain : cette œuvre est plus difficile qu'on ne le croit d'abord. Mais, en ne tenant qu'une très petite partie de son programme, elle a donné beaucoup; la génération qui a suivi, en tenant toutes ses promesses,

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]
« PreviousContinue »