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On a déjà beaucoup parlé du Brésil en Europe. On admire la tranquillité dont il jouit et la marche modérée de son gouvernement: on compare le développement régulier de cet empire à la vie tumultueuse des républiques environnantes, toujours déchirées par la guerre civile. Tout ce qui a été publié jusqu'ici cependant ne donne pas une idée suffisamment exacte de ses institutions politiques, de son administration, de son commerce, de ses progrès, de ses rapports extérieurs, et surtout du rôle qu'il joue dans l'Amérique du Sud, rôle qui prépare et définit son influence future dans cette partie du monde.

Le caractère de cette influence se trouve déterminé par le génie même du peuple qui s'est assimilé ce beau pays. Comme le peuple espagnol, le peuple portugais était aventureux; mais il était moins poussé par l'ambition de la conquête que par ses aptitudes commerciales. Le système d'administration qu'il établit dans ses possessions n'avait aucune ressemblance avec celui des Anglais, ni avec celui des Espagnols. Par le fond des mœurs et des institutions qu'il introduisit dans sa nouvelle colonie, il se rapprocha plus des Français que de toute autre nation conquérante. Il combattit les Indiens pour prendre leurs terres et s'y établir. Les autochthones, refoulés d'abord à l'intérieur des terres et volontairement isolés, se mêlèrent bientôt aux envahisseurs, quand les jésuites et les autres commu

nautés religieuses parvinrent à se faire comprendre d'eux et à leur faire abandonner la vie nomade pour se déclarer sujets du roi de Portugal et former de nouveaux centres chrétiens. A côté des villes bâties par les Européens s'élevèrent des bourgades de Tupinambas, de Tupinimquins et de Carijos, qui se soumirent aux lois et au gouvernement des Portugais. La cupidité des conquérans les portait-elle à réduire quelques Indiens en captivité, les jésuites se présentaient aussitôt pour les délivrer et les secourir, et ils trouvaient toujours un appui dans la couronne et dans les gouverneurs de la colonie.

Les Espagnols suivirent une tout autre marche : ils traitèrent les Indiens comme des bêtes féroces; ils adoptèrent un système de tortures et de cruautés dont on ne trouve d'exemples dans les annales d'aucun autre peuple conquérant. Ils ne croyaient affermir leur puissance dans ces nouvelles contrées qu'en faisant disparaître les anciens habitans. C'est avec un profond sentiment de dégoût et d'horreur qu'on détourne les yeux des actes barbares que les Almagro, les Pizarro et les Bovadilla ont commis sans la moindre nécessité contre les malheureux indigènes, dont le seul tort était de posséder d'admirables pays et des îles magnifiques. Ces habitudes sanguinaires ne changèrent pas quand les conquérans espagnols eurent fait disparaître la race proscrite, et qu'ils ne rencontrèrent plus de résistance. Après les combats, après l'emploi des chiens furieux, après le gibet et les massacres, vint la guerre civile. Les conquérans tournèrent leurs armes les uns contre les autres, et les Almagro, les Balboa, les Pizarro tombèrent eux-mêmes sous les coups de leurs compatriotes. Telle est la triste histoire offerte par la conquête du Pérou, du Mexique, du Chili et des autres parties de l'Amérique où se sont introduits les Espagnols.

Au moment où ses vaisseaux débarquèrent au Brésil, le Portugal était loin de porter toutes ses vues vers cette nouvelle conquête. Les Indes orientales appelaient principalement son attention: il y avait là des richesses immenses, des marchés commerciaux très productifs. Les étoffes et les soieries de la Perse et de la Chine, les diamans, les perles et les rubis de Golconde et du Pégu, les épices de Bornéo, de Ceylan et du Malabar, transportées à Lisbonne sur de nombreux vaisseaux, faisaient de cette ville la capitale du monde commerçant, et donnaient une prospérité inouie au petit royaume du Portugal. Mais quand les Espagnols enveloppèrent le Brésil de leurs colonies et menacèrent de s'en rendre maîtres en l'étreignant entre le Pérou, le Paraguay et la Colombie, il fallut bien penser à cette nouvelle conquête, et le roi dom Juan III divisa le pays en capitaineries, qu'il donna comme récompenses à quelques-uns de ses plus dévoués serviteurs. A ces domaines féodaux étaient attachés tous les droits dont jouissait la couronne, excepté ceux de condamner

à mort, de battre monnaie et de faire le commerce du bois du Brésil, dont les rois de Portugal voulaient garder le monopole. Les donataires devaient conquérir les terres sur les indigènes, les peupler et les coloniser, combattre les flibustiers qui paraîtraient sur les côtes, et payer à la couronne un droit de suzeraineté. Presque tous furent malheureux les uns perdirent leur fortune, d'autres la vie, dans leurs nouveaux domaines, qu'ils regardaient en quelque sorte comme des royaumes héréditaires. Un très petit nombre put garder les donations de Juan III. La couronne, obligée de reprendre possession de ces domaines en payant une indemnité aux propriétaires, dota le pays d'une administration générale et régulière, en mettant quelques hommes habiles à la tête du gouvernement.

Jusqu'en 1807, le système portugais resta invariablement le même. Quelquefois l'administration du Brésil tout entier était entre les mains d'un vice-roi; quelquefois il y avait autant de gouverneurs que de capitaineries, et chacun s'entendait directement avec le gouvernement de Lisbonne. Ces gouverneurs et ces vice-rois avaient presque toutes les attributions royales, et la couronne seule contrôlait leur autorité. Ils étaient à la tête de tous les pouvoirs, commandaient l'armée et la marine; ils avaient le droit de suspendre les jugemens, qui, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, ne se rendaient qu'en première instance, car ce fut seulement vers cette époque qu'un tribunal d'appel fut créé dans la ville de Bahia. A la fin du XVIIIe siècle, un autre tribunal possédant les mêmes attributions fut installé à Rio-Janeiro. Presque toutes les décisions de ces tribunaux devaient être confirmées par la cour supérieure qui siégeait à Lisbonne. Les gouverneurs connaissaient de toutes les affaires contentieuses et administratives; leur autorité s'étendait sur l'instruction (1), sur les travaux publics, les mines, le commerce, et jusque sur les succursales du tribunal de l'inquisition. Celui-ci du reste était plutôt une justice civile soumise aux rois qu'une justice ecclésiastique soumise à Rome, comme on le croyait généralement à cause du prétexte religieux dont l'inquisition se servait pour accomplir sa mission. Les gouverneurs et le vice-roi avaient aussi le droit d'emprisonnement préventif et de déportation contre tout habitant de la colonie dont ils jugeaient convenable de se défaire.

Pendant toute la période coloniale, on ne permit à la colonie que l'agriculture et l'exploitation des mines d'or et des pierres précieuses, découvertes vers la fin du XVIIe siècle et le commencement du XVIII; on ne permit le commerce qu'avec la métropole, encore avec certaines restrictions au profit des compagnies organisées en

(1) L'instruction publique n'était dans la colonie que du premier et deuxième degré, et presque tout ecclésiastique; les Brésiliens, pour suivre les études supérieures ou spéciales, étaient obligés d'aller en Portugal.

Portugal. Aucun navire ne sortait de la colonie, si ce n'est pour aborder aux plages portugaises, et l'entrée des ports coloniaux n'était permise qu'aux vaisseaux venant de Lisbonne, de Porto, de Vianna ou de Setubal. La fabrication industrielle était interdite, parce que le Portugal voulait en conserver le monopole. L'imprimerie était prohibée. On osa créer un établissement typographique à Rio-Janeiro, sous les auspices du comte de Bobadella, vers le milieu du XVIIIe siècle; mais la cour de Lisbonne censura le gouverneur et ordonna que l'imprimerie fût immédiatement et à jamais fermée.

Malgré ces prohibitions, les richesses du pays se développaient, la population s'accroissait, l'agriculture faisait de notables progrès outre le cacao, le manioc, l'indigo, le bois du Brésil, l'ipécacuana, la vanille, dont la production était intérieure, on y acclimatait la canne à sucre, importée de l'île de Madère, le café, le girofle et la cannelle, venant de l'Asie, et le riz, les fèves et le maïs de l'Europe. Les mines d'or et de diamant de Minas-Geraes, Goyaz et Matto-Grosso appelaient au centre du pays tous ceux qui ne cherchaient qu'à s'enrichir. Le Brésil offrait plus de ressources que le Portugal aux classes pauvres de la société, qui allaient y chercher une fortune qu'elles n'avaient pas d'espoir de rencontrer dans la métropole.

Malgré ce système d'administration politique, le Brésil, dès sa découverte, fut représenté en Portugal par des hommes distingués qui avaient eu leur berceau dans la colonie, et qui prirent place parmi les célébrités de la métropole. Le sol ne produisait pas seulement des richesses matérielles : il donnait au Portugal des guerriers tels que Jorge d'Albuquerque, Salvador Correia, André Vidal de Negreiros, qui chassa les Hollandais du Brésil, Pinto do França, qui se fit remarquer pendant l'invasion du Portugal par les Français. Il lui donnait des historiens et des prédicateurs qui font le plus grand honneur à la littérature portugaise, des savans et des naturalistes tels que Bartholomeo Gusmao (1), les deux Camaras, Alexandre Rodriguez Ferreira, Leandro do Sacramento, auxquels on doit beaucoup de découvertes. Il lui donnait encore des hommes d'état et des économistes comme Alexandre de Gusmao, dom Francisco de Lemos, dom José Joaquim de Cunha Continho, Joao Pereira Ramos et le vicomte de Cayrù (2), d'éminens poètes tels que Souza Caldas, Sao

(1) Il est prouvé aujourd'hui que c'est à Bartholomeo Gusmao qu'on doit la découverte des aérostats. Son expérience a été faite à Lisbonne publiquement en 1709, et les papiers de ce temps en font foi. Ce n'est qu'en 1789 que les Montgolfier ont gonflé leur premier ballon.

(2) Alexandre de Gusmao a été ministre d'état de dom Juan V; Lemos s'est illustré par la réforme de l'université de Coïmbre, ainsi que son frère Ramos. Cunha Continho et Cayrù sont les deux économistes les plus distingués du Portugal et du Brésil.

Carlos, Antonio José, Basilio de Gama, Santa Ritta Durao, Claudio Manuel (1). Les Brésiliens ont toujours d'ailleurs excellé dans la poésie. Avant que M. de Lamartine charmât l'Europe par ses élans religieux et ses rêveries chrétiennes, Souza Caldas étonnait les peuples du Portugal et du Brésil par ses odes sacrées, ses mélancoliques et sublimes cantates. Bien avant que Fenimore Cooper fit connaître au monde les usages et les combats des indigènes de l'Amérique, Santa Ritta Durao et Basilio da Gama chantaient dans leurs beaux poèmes les combats des Guaranis et des Tupinambas, leurs mœurs, leurs luttes contre les conquérans européens, et leurs amours au milieu des forêts vierges, à l'ombre des palmiers, sur les bords heureux des rivières et au gazouillement harmonieux des brillans oiseaux des tropiques.

Jusqu'à l'indépendance du Brésil, toute cette gloire était la gloire du Portugal; la littérature était une, et les génies des deux mondes s'unissaient pour n'en former qu'un seul, le génie de la Lusitanie. Malheureusement cette gloire n'était pas connue de l'Europe, car le Portugal n'occupait qu'une petite place dans le monde, et sa langue ne retentissait pas au-delà de ses frontières.

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LE BRÉSIL MÉTROPOLE DE LA MAISON DE BRAGANGE (1808-1821).

En 1807, l'empereur Napoléon I envahit le Portugal pour le soumettre à sa domination et fermer ses ports à l'Angleterre. La reine dona Maria I, après une longue maladie, étant devenue folle, son fils le prince royal, dom Juan, nommé régent, gouvernait l'état. Il avait vu la déchéance des rois légitimes d'Espagne. Il craignit d'avoir le sort de Charles IV, qui avait été forcé d'abdiquer et vivait prisonnier en France avec toute sa famille. Il jugea prudent d'abandonner ses possessions d'Europe et d'aller s'établir dans sa colonie du Brésil, au-delà de l'Océan, que le vainqueur de Marengo et d'Austerlitz ne pouvait pas franchir.

La reine, le prince régent, toute la cour et un grand nombre de familles portugaises quittèrent Lisbonne, et arrivèrent au Brésil au commencement de l'année 1808. Rio-Janeiro fut choisi pour capitale et siége du gouvernement; l'ancienne métropole fut abandonnée à l'invasion des Français, et le Brésil devint la nouvelle métropole de la monarchie de la maison de Bragance. Tout fut changé. Il n'y eut plus de colonie, ou, s'il y en eut encore une, ce fut le Portugal eu

(1) Souza Caldas occupe la première place parmi les lyriques portugais. Santa Ritta Durao a écrit le beau poème Caramuru; Basilio da Gama s'est illustré par son excellent poème de l'Uruguay, et Sao Carlos par l'Assomption de la Vierge. Antonio José est encore le premier poète comique du Portugal.

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