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2.

M. le MINISTRE DE L'INTÉRIEUR présente des observations générales sur ce projet.

Il dit que le système repose sur le principe que l'évaluation de l'indemnité due aux personnes expropriées doit être fixée par les tribunaux. Or, les formes judiciaires rendraient très difficile la réformation des évaluations forcées; avec les recours qui sont ouverts aux parties, chaque affaire deviendrait interminable.

On répugne à renvoyer ces estimations aux conseils de préfecture, parce que, dit-on, l'administration serait tout à la fois juge et partie. Cependant, jusqu'ici les particuliers expropriés ne se sont pas plaint des évaluations faites par cette autorité.

Dans tous les cas, si l'on persiste à vouloir saisir les tribunaux, il est indispensable d'établir des formes particulières.

Un autre point sur lequel le ministre fait porter ses observations, c'est la disposition de l'article 1er qui veut que chaque expropriation n'ait lieu qu'autant qu'elle aura été spécialement indiquée par le décret et par le plan qui s'y trouve annexé.

D'abord un plan qui, dans une très petite dimension, embrasse un espace de huit lieues, ne peut pas indiquer chacune des propriétés particulières qui se trouvent sur la ligne des travaux.

Ensuite, tout plan est nécessairement modifié quand on en vient à l'exécution. Aucun n'est assez exact pour ne pas varier de quelques arpens de plus ou de moins. On ne peut prévoir d'ailleurs les obstacles naturels qu'on rencontrera et qui forceront de s'écarter, ne fût-ce qu'un peu, de la direction qui a été tracée. Cependant, d'après le projet, il faudrait, dans ces cas, obtenir un nouveau décret, lequel serait aussi de nouveau vérifié par le le procureur du Roi, et donnerait lieu à de nouvelles expertises.

Il serait plus simple que l'administration attestât aux tribunaux que le plan est appliqué conformément au décret, sauf à ouvrir aux parties un recours contre ces sortes de décisions; et que ce ne fût pas le procureur du Roi qui vérifiât quelles propriétés il est nécessaire de prendre pour arriver à l'exécution des travaux ordonnés. Enfin, le ministre demande que l'expertise soit communiquée à l'administration, afin qu'elle puisse la débattre avant que le tribunal l'arrête.

M. le comte BERLIER dit que la section ne s'est pas dissimulé que l'administration pourrait éprouver quelque embarras, mais elle a dû chercher à remplir les vues du chef du gouvernement.

Quand l'administration a prononcé sur la nécessité des travaux, et qu'il est intervenu un décret, il faut qu'ensuite elle ne puisse point prendre les propriétés qu'il lui plaît. Aussi le ministre ne disconvient-il pas que l'expropriation ne doit s'opérer que par un acte public. Il faut, de plus, que cet acte ne fasse qu'appliquer soit une disposition spéciale, soit du moins une disposition générale du décret.

Mais ici l'on se divise : le ministre veut que cette application soit confiée à l'autorité administrative; la section pense, au contraire, que le rôle de l'administration doit se réduire à prononcer sur l'utilité des travaux et à contester les évaluations, et que les tribunaux doivent décider quelles expropriations sont nécessaires d'après le décret.

Ce qui effraie le ministre, c'est que, dans l'exécution, on peut être forcé de s'écarter du plan; et, en conséquence, il est d'avis de laisser de la latitude à l'administration.

Cependant, la propriété n'aurait plus de garantie, si l'administration pouvait exproprier qui il lui plaît.

Quant à l'évaluation, ou les parties la règlent de gré à gré, et alors tout est terminé; ou elles ne sont pas d'accord, et alors il est juste que les tribunaux, qui sont les conservateurs de la propriété et les arbitres des différens, interviennent et prononcent.

NAPOLÉON dit que personne en France ne doit être exproprié sans un jugement qui lui soit signifié et après avoir été entendu dans ses réclamations.

Mais ce n'est là qu'une observation incidente; Napoléon arrive au point où l'on se divise.

La section veut qu'aucune expropriation ne puisse s'opérer sans un décret qui la prononce, et conformement au plan arrêté.

Le Ministre répond qu'un plan n'éclaire pas assez sur ces détails, et que, quand il pourrait les embrasser, il n'en serait pas moins impossible de l'arrêter définitivement à l'avance, parce que les obstacles qu'on rencontre dans l'exécution obligent presque toujours à le modifier.

Ce que le Ministre dit est vrai; mais il ne s'en suit pas qu'il faille laisser subsister les abus qui existent aujourd'hui.

Dans l'état actuel des choses, un simple officier des ponts et chaussées est seul juge de la nécessité d'exproprier. Il a donc le pouvoir immense de prendre la propriété de qui il lui plaît; et cependant, sous le rapport de la propriété, il faut que le citoyen ne dépende que de ses magistrats. L'officier des ponts et chaussées n'est pas de ce nombre. On ne doit pas mettre les citoyens dans la position de le solliciter à se le rendre favorable par des courtoisies, peut-être par des présens.

Que l'officier des ponts et chaussées rentre donc dans le cercle des fonctions qui lui sont propres. Elles consistent à dresser le plan des travaux, à en tracer la ligne, à indiquer les fonds qu'il sera nécessaire de prendre, les

édifices qu'il faudra abattre. Mais tout doit s'arrêter là; il ne convient pas de souffrir plus long-temps que l'expropriation s'opère d'après la seule décision d'un ingénieur. Napoléon voudrait que le plan arrêté en jury formé sur les lieux, en déterminât l'application, après avoir entendu les propriétaires. On pourrait charger de ces fonctions les auditeurs attachés aux ponts et chaussées, auxquels on adjoindrait les autorités locales: on pourrait aussi en charger le conseil de préfecture.

M. le MINISTRE DE L'INTÉRIEUR dit que, si quelques dépossessions ont été opérées d'après la seule décision de l'ingénieur, ce n'est que par abus: elles ne doivent l'être qu'avec l'attache du magistrat qui dirige les ponts et

chaussées.

NAPOLÉON dit que le mode qu'il propose est assurément préférable.

D'un côté, il empêche les réclamations d'intervenir pendant le cours des travaux.

De l'autre, il assure mieux la justice qui est due aux propriétaires. L'intervention du préfet n'est pas pour eux une véritable garantie, car le préfet se borne à viser; c'est réellement l'officier des ponts et chaussées qui décide, tandis qu'il ne devrait influer que comme homme de l'art. Et il ne faut pas croire que, dans cette matière, les propositions d'un ingénieur ne puissent pas être jugées par ceux qui n'ont pas les mêmes connaissances que lui : il n'est besoin que des lumières communes pour reconnaître sur quels points la ligne des travaux doit passer. Nul obstacle donc à déposer entre les mains des magistrats le pouvoir immense dont les ingénieurs sont maintenant investis.

Quand ce jury a prononcé sur les propriétés qu'il est nécessaire de prendre pour exécuter les travaux, et que la décision a été visée par le préfet, elle est adressée au

des saisies-arrêts ou oppositions formées par des tiers au versement des deniers entre les mains, soit du propriétaire dépossédé, soit des usufruitiers ou locataires évincés, les sommes dues seront consignées à mesure qu'elles écherront, pour être ultérieurement pourvu à leur emploi ou distribution dans l'ordre et selon les règles du droit commun.

ART. 26.

Toutes les fois qu'il y aura lieu de recourir au tribunal, soit pour faire ordonner la dépossession ou s'y opposer, soit pour le réglement des indemnités, soit pour en obtenir le paiement, soit pour reporter l'hypothèque sur des fonds autres que ceux cédés, la procédure s'instruira sommairement : l'enregistrement des actes qui y sont sujets, aura lieu gratis.

Le procureur du Roi sera toujours entendu avant les jugemens tant préparatoires que définitifs.

ART. 27.

Les dispositions de la loi du 16 septembre 1807, ou de toutes autres lois qui se trouveraient contraires aux présentes, sont rapportées.

Exposé de ces articles. Rapport par M. RIBOUD, X,

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