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7.

propriétaires, ce ne doit jamais être aux dépens de la justice, ni en lésant l'État.

Au surplus, s'il est conforme au droit commun que le résultat d'une expertise ne lie point irrévocablement les tribunaux, c'est surtout dans la matière que nous discu tons qu'il importait de bien assigner ce caractère, et de le renfermer dans les termes d'un simple renseignement propre à éclairer les juges, mais non à leur faire la loi.

La procédure relative à l'évaluation des indemnités devra être sommaire; mais quelque célérité que l'on admette dans ses résultats, il pourra quelquefois être d'une grande importance que les travaux publics soient commencés avant la fin du litige; il convient donc que les tribunaux puissent y pourvoir par forme de provision; et cette disposition, dont l'exécution est confiée aux dispensateurs ordinaires de la justice, ne saurait présenter aucun inconvénient, lors surtout qu'elle n'est point applicable au cas où le débat porterait sur le point de savoir si les formes ont été remplies; car ce serait alors le fonds même de l'expropriation qui serait contesté, et la provision pourrait n'être pas réparable en définitive.

Ici, Messieurs, et dans l'ordre du projet, s'offrent les dispositions relatives au paiement des indemnités.

Tout propriétaire dépossédé devra être indemnisé conformément à l'article 545 du Code Civil.

Cependant, il peut se trouver de telles circonstances que le paiement éprouve du retard en tout ou en partie. Dans ce cas que la force des choses peut amener quelquefois, ce sera un nouvel hommage et à la propriété et au Code lui-même, que de faire courir les intérêts à dater de la dépossession, et d'en assurer le paiement, et même celui du capital de l'indemnité, dans des termes tels que les intérêts des propriétaires ne soient point sacrifiés aux besoins de l'administration publique, ni ces besoins à

une règle inflexible que la nécessité conduirait à enfreindre.

Ce double but est atteint par une disposition sage qui, prévoyant et ayant dû prévoir des exceptions, puisqu'elles sont dans la nature des choses, à pourvu néanmoins à ce qu'en aucun cas les propriétaires ne fussent privés de ce qui représente leurs revenus, ni contraints d'attendre le paiement de leurs capitaux au-delà d'un terme assez rapproché.

Le projet n'en reste point là; il a voulu que le paiement des créances échues, tant en principal qu'intérêts, fût garanti de la manière la plus formelle.

Il sera bien rare, sans doute, que l'administration spéciale, dans le ressort de laquelle se placeront les travaux entrepris, n'ait pas les moyens directs de remplir strictement, et à point nommé, des obligations réglées avec une sage prévoyance, et l'on doit croire que cette prévoyance naîtra des formalités même qu'introduit le nouveau système.

Toutefois, s'il était possible que les fonds manquassent dans la caisse de l'administration débitrice, il ne saurait être inutile d'ouvrir aux créanciers une action subsidiaire et récursoire sur une autre caisse, et spécialement sur l'une de celles qui ne s'ouvrent, pour ainsi dire, que pour recevoir, et sont, par ce motif, toujours abondamment pourvues.

Telle est la caisse des domaines et de l'enregistrement, et c'est celle que le projet désigne.

Ainsi, l'administration des domaines deviendra une vraie caution envers les propriétaires dépossédés pour cause d'utilité publique, et ce qu'elle prêtera ou avancera pour cet objet aux autres départemens, sera par elle recouvré administrativement.

Au surplus, cette action nouvelle, dirigée contre l'ad

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ministration des domaines, ne différera de toute autre action qu'en un seul point, c'est qu'on ne pourra l'engager qu'après la remise préalable d'un mémoire qui, examiné dans le délai d'un mois par l'administration des domaines, mettra celle-ci dans le cas d'obvier, par un paiement volontaire, à un procès également préjudiciable à toutes les parties.

Ce cautionnement, d'une espèce tout-à-fait nouvelle, tient un rang important dans la loi qui vous est proposée, et ne saurait manquer d'être reçu avec reconnaissance.

Le délaissement d'un fonds qu'on affectionne peut contrarier sans doute; mais c'est un sacrifice qui coûte beaucoup moins, quand on est sûr d'être bien payé, et l'infaillible garantie qu'offre, sur ce point, notre projet de loi, est une immense amélioration dans cette partie.

Vous connaissez maintenant, Messieurs, les principales vues de ce projet.

On n'y a négligé aucuns intérêts, pas même ceux des tiers qui auraient des actions à faire valoir sur les sommes dues, à raison de l'expropriation ou cession ; mais il a paru inutile de fixer spécialement votre attention sur des dispositions qui n'ont rien que de conforme au droit commun.

Au surplus, en réglant ce qui est relatif aux expropriations pour cause d'utilité publique, l'on n'a pas dû comprendre dans ce cadre déjà assez vaste des objets qui lui sont étrangers.

De ce genre sont les occupations de terrain que commanderaient des circonstances fortuites, telles que la rupture d'une digue, la submersion d'une route, ou d'autres accidens de cette nature. Là, les mesures doivent être promptes, et l'on ne saurait prescrire l'emploi de beaucoup de formalités pour des cas aussi urgens.

Mais ce ne sont pas des mesures de cette espèce, for

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tuites et momentanées, que l'on peut assimiler aux expropriations, objet de votre délibération actuelle.

A l'égard de celles-ci, je vous ai exposé toutes les vues qui s'y rapportent.

Empêcher, par l'établissement de formes solennelles, qu'on n'abuse d'une cause respectable et sacrée; écarter, par l'influence d'une commission paternelle, les griefs que pourraient faire naître de fausses et mauvaises applications dans les détails; établir les tribunaux gardiens de ces formes protectrices, et juges de tous les intérêts pécuniaires; enfin assurer le paiement par les plus infaillibles voies; tel est le but du nouveau système, tels sont les avantages qu'il promet et qu'il tiendra.

C'en est dès à présent un bien grand que de donner des règles à une partie qui, dans beaucoup de points es-sentiels, n'en avait pas de positivement tracées par la législation, et où tant de mal eût pu se faire, si les vues justes et sages de l'administration n'eussent ordinairement tempéré les fâcheux effets de cette immense lacune: il ne convenait pas moins de sortir d'une position aussi précaire; car la justice des hommes a besoin elle-même d'être soutenue et éclairée par la justice des lois.

En examinant, Messieurs, dans son ensemble et dans ses détails le projet de loi qui vous est soumis, vous jugerez sans doute qu'il ne pouvait faire davantage pour la sécurité des propriétaires, et vous l'accueillerez comme digne de tenir sa place parmi les institutions données à un grand peuple par un grand prince.

X.

RAPPORT

Fait au nom de la commission, par M. RIBOUD, dans la séance du Corps Législatif du 8 mars 1810.

SOMMAIRE ANALYTIQUE.

1. But du projet, et notions préliminaires sur l'inviolabilité de la propriété et sur l'obligation de la sacrifier néanmoins à l'utilité publique; de la marrière dont ce dernier principe a été mis en action chez les différens peuples; sur la législation de l'Assemblée Constituante, et sur la législation actuelle qui en a remis l'application à l'administration exclusivement; sur les inconvéniens de ce système, qu'on ne peut corriger qu'en faisant intervenir les tribunaux.

2. Plan et division du projet.

3. A défaut de consentement, l'expropriation ne peut avoir lieu que par l'autorité des tribunaux; leurs attributions et celles de l'administration sont réglées de manière que chacun des deux pouvoirs a celles qui lui sont propres, et qu'il n'y confusion entre eux.

a pas

4. Sagesse et simplicité des formes qui garantissent les droits des intéressés.—Action de l'administration. -Action des tribunaux.

5. Procédure devant les tribunaux. - Pourquoi l'expropriation peut être ordonnée sans la présence du propriétaire et avant le réglement de l'indemnité; et garanties que la loi ménage au propriétaire.

6. D'après quels documens le tribunal fixera l'indemnité. 7. Garanties données aux tiers qui ont des droits.-Dépossession provisoire quand les circonstances l'exigent.—Elle ne blesse pas l'art. 545 du Code Civil et y est au contraire très conforme. Comment il faut entendre l'expression préalable qu'emploie cet article.

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