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Dans ces derniers temps, cette digué a été regardée par le conseil des ponts et chaussées comme nuisible à la solidité du pont; il a été décidé qu'elle devait être détruite, sauf à la remplacer par une digue à l'aval; les travaux de cette dernière ont été commencés d'après les autorisations d'un des directeurs généraux des ponts et chaussées, prédécesseur du directeur actuel, avec des fonds pris dans la même caisse qui a payé les réparations du pont.

Une portion considérable des travaux de cette digue d'aval reste à faire; le conseil des ponts et chaussées pense aujourd'hui que les propriétaires d'usines doivent en supporter la dépense. Il se fonde sur ce qu'il est vraisemblable que la digue d'amont n'a pu être autorisée qu'autant qu'elle ne nuirait point à la solidité du pont, sur ce qu'il est vraisemblable que l'autorisation de construire cette digue est postérieure à l'existence du pont. Le directeur général des ponts et chaussées partage cette opinion.

Je ne saurais l'adopter, car telles en seraient les conséquences:

La digue en amont du pont de Souppes doit être détruite, sauf à la rétablir à l'aval.

Cette destruction n'entraîne aucune indemnité envers le propriétaire de l'usine qui, par là, se trouverait supprimée; si ce propriétaire juge à propos de conserver une usine, il transférera la digue à ses frais à l'aval du pont, sans même qu'il soit besoin d'examiner si son usine ne diminue pas de valeur par ce transférement.

Mais, dira-t-on, dans cette affaire, le préfet est en même temps le propriétaire d'usines et l'ordonnateur des fonds publics indûment employés ; il faut qu'il supporte les dépenses restant à faire.

Sans doute, si les directeurs généraux des ponts et chaussées ont été induits en erreur par ce magistrat,

parmi les mesures qui seront prises dans l'affaire principale, il pourra être trouvé juste de faire rendre au trésor public des fonds qu'auraient dû faire tous les intéressés, les communes de Souppes et de Château-Landon et les propriétaires d'usines. Mais, dans les décisions de ces directeurs généraux, il reste un point incontestable; c'est que la même caisse doit supporter les dépenses du pont et celles de la digue.

Les usines de Souppes sont une propriété dont il ne s'agit pas de discuter les titres sur des vraisemblances; les propriétaires ne sauraient être dépossédés sans indemnité.

Dans une circonstance bien moins favorable, puisqu'il s'agissait d'une rivière navigable, lors de la destruction des moulins de Charenton, qui, sans nul doute, ont été construits après le pont, puisqu'ils étaient établis sur le pont même, il a été reconnu juste d'indemniser les propriétaires.

Les propriétaires des usines de Souppes auraient donc bien plus de droits encore à une indemnité, si par la destruction de leur digue on supprimait leurs usines.

Dans le cas présent où on les conserve, la digue d'aval, faite aux frais des communes et des propriétaires de Souppes et Château-Landon, sera la juste indemnité due aux propriétaires d'usines; et tout ce que l'on peut demander à ces derniers, c'est leur part dans la dépense communale de la reconstruction du pont et de ses accessoires, comme à tous les propriétaires des deux com

munes.

Ces principes se retrouvent dans l'esprit de la loi du 8 mars dernier sur les expropriations pour cause d'utilité publique, et je crois devoir proposer d'en faire l'objet d'un avis interprétatif du Conseil d'État.

Projet d'avis du Ministre.

Le Conseil d'État, qui a entendu le rapport de la secs q tion de l'intérieur sur celui du ministre de ce départe ment, relatif à la question de savoir si un propriétaire ! d'usines anciennement existantes sur un cours d'eau qui T n'est ni navigable ni flottable, peut être dépossédé sans indemnité pour raison de dommages causés par ses usines à l'utilité publique ou communale, quand d'ailleurs les dommages ne sont reconnus qu'après une longue et paisible jouissance du propriétaire.

Vu l'article 545 du Code Civil et la loi du 8 mars 1810, sur les expropriations pour cause d'utilité publique, EST D'AVIS

Que, dans ce cas, un propriétaire d'usines ne peut être dépossédé ou éprouver des modifications dans sa pro- 9 priété, sans la juste indemnité à laquelle il a droit.

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N° 2.- RAPPORT de la Section de l'intérieur.

En lisant le rapport présenté au nom du ministre de l'intérieur, on voit qu'il ne met point en doute que le propriétaire de l'aciérie de Souppes n'ait droit à un dédommagement pour le déplacement qu'on fait éprouver à ses moulins; et il pense que ce dédommagement ne doit rien coûter à l'État, mais qu'il doit être fourni par les propriétaires des communes de Souppes et de Châ teau-Landon, qui supporteraient alors la dépense de la digue qu'il est nécessaire de construire en aval du pont, pour remplacer celle qui était en amont, et dont la direc tion des ponts et chaussées a ordonné la destruction, comme nuisant à la solidité des piles du pont de Souppes.

Quand un ministre regarde comme juste une décision qu'il a droit de prendre, il n'est pas d'usage qu'il en provoque lui-même la discussion au Conseil d'Etat, et en

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core moins qu'il présente sous la forme d'un principe général à consacrer, ce qui est d'une application journalière, fondée sur toutes les lois de la France. Sans doute un propriétaire d'usines, comme tout autre propriétaire, ne peut être dépossédé ou éprouver des modifications dans sa propriété, sans une juste indemnité; et l'article 545 du Code Civil, et la loi du 8 mars 1810 sur les expropriations pour cause d'utilité publique, s'appliquent aux propriétaires d'usines comme à tous les autres propriétaires. Le ministre ne l'ignore pas. Cependant il croit avoir besoin d'une autorisation nouvelle pour agir conformément à ses lumières; et l'on voit, dans son rapport, qu'il est arrêté par la décision prise sur la même affaire par la direction des ponts et chaussées.

Cette décision est entièrement contraire à l'opinion du ministre. Loin de croire qu'il soit dû le moindre dédommagement au propriétaire de l'aciérie de Souppes, la direction des ponts et chaussées prétend que les dégradations qu'ont éprouvées les piles du pont, ayant été causées par la digue en amont de ce pont, digue qui n'était utile qu'à l'aciérie, c'est au propriétaire de cette aciérie à supporter la dépense de la reconstruction d'une digue en aval, puisque cette digue aura pour objet principal l'avantage de ses usines.

La section de l'intérieur ne se croit pas appelée à prononcer entre deux opinions contradictoires, sur un fait d'administration qui est entièrement du ressort ministériel. Si le Conseil d'État pouvait intervenir chaque fois qu'il y aurait sentiment contraire entre les autorités chargées d'assurer l'action du gouvernement, on sent trop combien la marche des affaires deviendrait tardive; l'esprit même de la monarchie en serait bientôt altéré. Le ministre de l'intérieur ne s'est point dissimulé cette vérité; aussi a-t-il essayé de présenter cette affaire particu

lière sous la forme d'un principe général. C'est donc uniquement sur le projet d'avis joint à son rapport, que la section a cru devoir délibérer. Elle propose la décision suivante : 16961

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Cette décision forme l'avis dont il est ici question, et qui est ainsi conçu :

N° 3. AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT du 19 février 1811, approuvé le 27.

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Nota. Cet avis n'a point été inséré au Bulletin des Lois.

Le Conseil d'État, qui a entendu le rapport de la section de l'intérieur sur le renvoi d'un rapport de son Exc. le ministre de l'intérieur, touchant une question de propriété relative aux usines de Souppes;

EST D'AVIS,

1°. Que les lois qui assurent de justes dédommagemens aux propriétaires dépossédés pour cause d'utilité publique étant applicables aux propriétaires qui, pour la même cause, éprouvent des modifications dans leurs propriétés, il n'est pas nécessaire d'établir par un principe qui paraîtrait nouvellement reconnu, ce qui est décidé par le Code Civil et par la loi du 8 mars 1810;

2o. Que, dans l'affaire présentement soumise à la délibération du Conseil, le ministre a droit de prononcer, sauf aux particuliers ou aux communes qui se croiraient lésés par sa décision, à se pourvoir dans les formes consacrées par les lois.

Voici un autre avis, accompagné du rapport présenté par le ministre, qui décide la question de savoir si la loi du 8 mars 1810 abroge ou maintient, par forme d'exception, celles qui lui sout antérieures.

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