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Les liostilités, comme on le voit, prenaient un caráctère tout à fait direct; ce n'était plus seulement une lutte de prérogative entre les deux pouvoirs, c'était une guerre à mort.

Louis-Napoléon dut prendre et prit en effet des précautions pour sortir victorieux de cette lutte dont l'enjeu était l'avenir de la France.

Les fières paroles qu'il fit entendre aux exposants de Londres, que nous avons rapportées plus haut; les paroles plus directes encore qu'il adressa dans la matinée du 9 aux officiers nouvellement arrivés à Paris, prouvent que, dans sa pensée, la victoire ne pouvait être douteuse :

En recevant les officiers des divers régiments de l'armée, qui se succèdent dans la garnison de Paris, je me félicite de les voir animés de cet esprit militaire qui fit notre gloire et qui aujourd'hui fait notre sécurité. Je ne vous parlerai ni de vos devoirs ni de la discipline. Vos devoirs, vous les avez toujours remplis avec honneur, soit sur la terre d'Afrique, soit sur le sol de la France; et la discipline, vous l'avez toujours maintenue intacte à travers les épreuves les plus difficiles. J'espère que ces épreuves ne reviendront pas; mais si la gravité des circonstances les ramenait et m'obligeait de faire appel à votre dévouement, il ne me faillirait pas, j'en suis sûr, parce que, vous le savez, je ne vous demanderai rien qui ne soit d'accord avec mon droit, avec l'honneur militaire, avec les intérêts de la patrie; parce que j'ai mis à votre tête des hommes qui ont toute ma confiance et qui méritent la vôtre; parce que si jamais le jour du danger arrivait, je ne ferais pas comme les gouvernements qui m'ont précédé, et je ne vous dirais pas : Marchez, je vous suis; mais je vous dirais je marche, suivez-moi!

La proposition des questeurs fut portée à l'Assemblée dans la séance du 17 novembre, et souleva un de ces orages parlementaires scandaleux qui rappelaient les

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plus mauvais jours de la révolution; cette fois s ette fois seulement les rôles étaient intervertis. Ce n'était plus des bancs de la montagne que venaient les interruptions, les violences, mais des bancs de la majorité. La gauche tout entière, spectatrice silencieuse use de cette lutte des deux pouvoirs dont elle espérait profiter, était indécise sur le vote qu'elle devait émettre dans cette circonstance.

Un discours de Michel de Bourges entraîna ses suffrages en faveur du pouvoir exécutif. L'orateur montagnard démontra, de la manière la plus évidente, qu'en armant la majorité d'un pouvoir exorbitant, elle s'exposait, elle minorité, à en être frappée la première.

Au moment où les votes allaient être recueillis, le général Bedeau adressa aux ministres l'interpellation suivante: « Est-il vrai qu'on ait fait déchirer depuis quelques jours dans les casernes le décret de l'Assemblée constituante, du 12 mai 1848, qui autorisé le président de l'Assemblée à requérir la force armée pour la défense du Corps législatif? »

Le ministre de la guerre, après quelques instants d'hésitation, répondit franchement que c'était lui-même qui avait prescrit cette mesure.

A cette déclaration, un cri de surprise et d'indignation s'élève de toutes parts; les représentants quittent leurs bancs, se forment en groupes, et font entendre les menaces les plus violentes de mise en accusation du ministre et du Président de la République.

Cependant l'émotion se calme peu à peu; on fait courir le bruit que les troupes sont consignées et que des ordres sont donnés pour renouveler l'épisode du 18 bru

maire à Saint-Cloud (1), si l'Assemblée émet un vote hostile aux prérogatives du Président.

Quoi qu'il en soit, et contre l'attente de tout le monde, la proposition des questeurs est repoussée à la majorité de plus de 100 voix.

Les papiers saisis au domicile de l'un des questeurs ont prouvé que si la proposition eût été adoptée, on eût demandé, dans la même séance, que le commandement des troupes de l'armée de Paris et de la garde nationale fût confié immédiatement au général Changarnier, qui aurait été investi d'une dictature militaire.

Ce vote, en déjouant les projets des parlementaires, permit au Président de la République de mieux choisir son terrain pour les derniers coups qu'il allait porter au pouvoir législatif.

L'Assemblée venait de signer son arrêt de mort : les séances qui suivirent prouvent que le découragement s'était emparé des esprits les plus ardents. Ni le projet de loi sur la responsabilité, longuement élaboré par le conseil d'Etat comme une arme dangereuse pour le pouvoir exécutif, et qu'on venait d'exhumer à dessein dans cette circonstance, ni les intrigues de quelques hommes

(1) Dans la prévision d'un résultat contraire à celui qui eut lieu, le gouvernement avait fait prendre les mesures les plus énergiques pour repousser toute agression extra-parlementaire de la part du pouvoir législatif. Les troupes étaient prêtes à marcher, et, dès les commencements de la séance, tous les chefs de corps avaient reçu du ministère de la guerre l'ordre de se rendre à leur poste respectif. A l'Elysée, les officiers d'ordonnance étaient tous en tenue et les chevaux sellés et bridés depuis trois heures du soir.

impatients et irrités ne purent lui rendre la force morale qu'elle avait perdue (1).

Les chefs les plus influents, comprenant que la lutte était inégale, firent faire des ouvertures au Président de la République, et se mirent à sa disposition pour un

(1) Un coup d'Etat contre l'Assemblée était tellement attendu et prévu, qu'à la suite d'une réception de quelques officiers à l'Elysée, M. Dupin fut informé par les questeurs que, probablement, il serait enlevé pendant la nuit. Aussitôt des lettres de convocation sont envoyées aux représentants les plus hostiles au Président. Près de 150 représentants se rendent en toute hâte au palais de la présidence de l'Assemblée, résolus, disaient-ils, à mourir sur leurs siéges curules, comme les sénateurs romains, si les soldats consulaires se présentaient pour forcer l'enceinte.

Une partie de la nuit se passa dans la délibération et dans l'attente; vers deux heures du matin, M. Baze, accompagné de quelques-uns de ses collègues, poussa une reconnaissance jusqu'auprès de l'Elysée; tout y était tranquille depuis longtemps, et rien ne semblait annoncer des préparatifs de conjuration. Force fut donc aux représentants de rentrer à l'Assemblée comme ils en étaient sortis, et d'avouer qu'ils avaient été induits en erreur.

Le lendemain matin, 24 novembre, le Constitutionnel publiait, à ce sujet, l'article suivant : « Allez, chevaliers errants des princesses perdues, comme la femme d'Enée, dans la bagarre des trônes qui s'écroulent et qui brûlent; promenez dans les ténèbres vos faces blêmes que la peur agite, et signalez au pays les conjurations de l'Elysée pour masquer les vôtres. Personne ne se méprend sur vos projets et personne ne les redoute.

<< Aveuglés par vos passions, comme le taureau par le drap rouge, vous donnerez tête baissée sur la pointe de l'épée tendue et immobile qui vous attend. »

coup d'Etat qui se serait fait contre la partie socialiste de l'Assemblée (1).

Le drame touchait à son dénoûment; ce dénoûment était prévu; la forme seule restait ignorée.

C'est ici que se révèle dans tout son jour véritable la puissance de caractère et d'esprit du Président de la République.

Pendant que l'Assemblée s'agite, intrigue et perd son temps dans de stériles récriminations, lui, dans le silence du cabinet, prend des dispositions pour tuer d'un seul coup ce pouvoir issu comme lui du suffrage universel, mais dont les dissensions et les haines présentent un danger sérieux pour l'avenir. Il ne s'agit pas seulement pour lui de réussir dans ce nouveau 18 brumaire, il s'agit d'assurer le lendemain de la victoire par des institutions fortes et nationales. Son plan, mûrement réfléchi, est enfin arrêté; il ne lui reste plus qu'à choisir les hommes sur lesquels il s'appuiera pour le mettre à exécution; de ce choix dépend le succès.

(1) La veille même du 2 décembre, M. Heeckren se rendit à l'Elysée pour porter au Président de la République les propositions faites au nom de M. de Falloux. Il était six heures du soir, le Président de la République était à sa toilette, M. Heeckren lui exposa la cause de sa mission; le Président l'écouta sans lui répondre un seul mot, et, comme M. Heeckren insistait pour obtenir une réponse, il lui dit: « Vous le voyez, je suis pressé, revenez démain, nous causerons de cela longuement. » Le lendemain, l'Assemblée était dissoute.

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