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TROISIÈME PARTIE.

Louis-Napoléon montre dans le choix de ses auxiliaires autant de discernement que de sagesse. Comme l'empereur Napoléon, il sait juger les hommes à leur valeur et reconnaître leurs dispositions applicables.

Trois personnes lui suffisent dans l'exécution d'un projet qui va changer les destinées d'un grand peuple.

Il les prénd jeunes, fermes, résolus; ce sont MM. de Saint-Arnaud, ministre de la guerre; de Morny, représentant du peuple, et M. de Maupas, préfet de police.

A l'exception de M. de Morny, qui avait déjà fait partie de la Chambre des députés sous Louis-Philippe, aucun d'eux n'a d'antécédents politiques connus; ce sont des hommes neufs et hardis comme la révolution qu'ils vont accomplir.

M. le général de Saint-Arnaud, simple lieutenant en 1831 au 6 de ligne, et général de division en 1851, s'est fait une réputation d'armée en Afrique pendant cette période de vingt ans. Mais, avant le 26 octobre, son nòm n'avait jamais été prononcé en France que dans les bulletins de l'armée de l'Algérie. Il était étranger à la politique et aux partis. Désigné au choix du Président de la République par M. le colonel Fleury, qui avait servi

sous ses ordres en Afrique, le prince lui donna d'abord le commandement en chef de l'expédition de la Kabylie, où le général de Saint-Arnaud fit preuve de talents militaires d'un ordre supérieur. Au retour de cette expédition si glorieuse pour nos armes, M. le général de Saint-Arnaud est appelé à Paris, et le Président de la République lui confie le portefeuille de la guerre. Initié un des premiers au secret du coup d'Etat qui se prépare, de Saint-Arnaud est chargé de composer l'armée de Paris de chefs et de soldats sûrs et dévoués; il s'acquitte avec le plus grand soin et la plus grande activité de cette mission difficile. En peu de temps l'armée de Paris, recrutée de régiments nouveaux, la plupart venus d'Afrique, fortement réorganisée commandée en sous-ordre par des officiers vigoureux et d'un dévouement éprouvé, l'armée de Paris appartient corps et âme au Président de la République.

Pour arriver à ce résultat rapide, le nouveau ministre de la guerre a groupé autour de lui toute cette pléiade de jeunes officiers généraux ou supérieurs qui se sont formés en Afrique depuis dix ans, et qui y ont si glorieusement continué l'œuvre des Changarnier, des Lamoricière, des Duvivier, des Cavaignac, etc., etc.

Après le ministre de la guerre, par lequel le Président de la République disposait de la force armée, il fallait choisir un homme capable de volonté et d'action qui s'emparât énergiquement des rênes de l'administration intérieure et qui sût imprimer à ses agents à Paris et dans les départements une direction rapide et intelligente. Ce fut M. de Morny que le Président désigna pour cette mission.

M. de Morny, ami devoué du prince, homme de mœurs élégantes, esprit brillant, mais caractère ferme et résolu, est un de ceux qui justifièrent le mieux la confiance du prince. Sa courte, mais ardente administration, depuis le 2 décembre, a exercé sur les événements une influence décisive. Là encore, le Président de la République avait fait preuve de discernement, car M. de Morny, qui, aux yeux du monde, n'était qu'un des brillants heureux du jour, était pour lui ce qu'il était en effet, un homme d'Etat habile, au caractère fort et au coup d'œil sûr.

Ce fut aussi un des plus jeunes fonctionnaires de la haute administration que le Président fit entrer dans la confidence de ses projets pour l'exécution de la partie la plus délicate et la plus dangereuse, la police politique. Il s'agissait ici de frapper avec la rapidité de la foudre. Un ordre mal donné ou mal interprété pouvait changer le caractère de l'acte auquel le Président de la République se préparait, et amener de sanglantes collisions.

Le prince ne fut pas moins heureux dans ce choix. que dans les deux précédents. M. de Maupas s'est montré constamment à la hauteur du rôle qui lui avait été attribué. Simple sous-préfet avant la fin de la révolution de Février, il gravit rapidement les degrés de la hiérarchie administrative; et, à peine âgé de trente-deux ans, il est appelé aux fonctions de préfet dans deux des départements les plus importants de la France, l'Allier et la Haute-Garonne. Ce n'est point la faveur, ainsi qu'on l'avait dit, qui l'avait poussé si vite à de si importants emplois, ce sont de rares qualités

d'esprit et de caractère; et l'on ne saurait en douter après les événements du 2 décembre..

A côté de ces trois hommes dépositaires de ce grand secret d'Etat, il en est un autre dont nous avons déjà parlé, et qui, comme ces confidents de la tragédie antique, n'avait cessé de partager la fortune politique de Louis - Napoléon Achate fidèle d'un autre

Enée, il l'avait suivi dans sa périlleuse tentative, deux fois renouvelée, de rapporter en France ses croyances et ses dieux, inferretque deos Latio. Nous avons nommé M. de Persigny,

Tels sont les hommes que le Président de la République avait choisis pour l'exécution de son projet.

Quelques entrevues, habilement dissimulées, avaient suffi pour arrêter les dispositions dernières. Chacun d'eux avait apporté et soumis ses moyens d'exécution; chacun d'eux avait rédigé les proclamations qui devaient annoncer et expliquer les événements afférents à leurs. diverses attributions; ces moyens, ces proclamations avaient été étudiés, commentés avec soin.

Deux jours avant le 2 décembre, dans la nuit du samedi au dimanche, le général de Saint-Arnaud, accompagné du colonel Espinasse commandant le 42o de ligne, vint visiter les postes occupés par ce régiment à l'Assemblée, et étudier par lui-mème les dispositions locales. Le ministre de la guerre, enveloppé d'un large manteau, et portant un képi, comme s'il opérait une ronde major, avait tout vu, tout examiné sans éveiller le moindre soupçon.

C'était le colonel Espinasse qui devait occuper l'Assemblée, empêcher les représentants de se réunir, et au

besoin les disperser. Le colonel Espinasse, un des plus jeunes colonels de l'armée et l'un des plus distingués, et le confident intime du ministre de la guerre, avait en outre reçu la mission, en cas de non réussite, de se porter à l'Elysée et de défendre le Président au péril de ses jours.

La veille du 2 décembré, le Président de la République reçut comme il avait coutume de le faire tous les lundis; rien n'était changé aux dispositions intérieures. Mais la foule y était plus nombreuse que de coutume; on sentait que l'autorité morale, qui abandonnait le pouvoir législatif, s'agrandissait de plus en plus du côté du pouvoir exécutif.

Le prince parut dans les salons avec son aménité habituelle. Le général Magnan, qui ne connaissait pas encore le dernier mot de l'événement, resta jusqu'à minuit à l'Elysée, ainsi que M. de Persigny et M. de Maupas. M. de Saint-Arnaud ne fit qu'y paraître un seul moment; quant à M. de Morny, il assistait à l'OpéraComique à la représentation d'une pièce nouvelle dans une loge voisine de celle où se trouvait le général Cavaignac.

A onze heures, M. de Beville, lieutenant-cololonel du génie, officier d'ordonnance du Président, quitta les salons de l'Elysée pour se rendre à l'imprimerie nationale, où devaient être imprimées, pendant la nuit, les proclamations qui allaient annoncer à la population parisienne le grand événement du jour.

Le directeur de l'imprimerie nationale, M. de SaintGeorges avait été averti dans la journée qu'un travail pressé, qui devait être exécuté pendant la nuit, lui se

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