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ment et sans faire entendre d'autres récriminations. Lorsque sa toilette fut achevée, il demanda au commissaire de police l'autorisation d'écrire une lettre à son futur beau-père, M. Odier, et la faveur d'être conduit par le commissaire de police seul à sa destination, qui lui fut accordé.

Le général Lamoricière habitait un petit hôtel dans la rue Lascases. M. Blanchet fut chargé de son arrestation. A la vue de ce magistrat et des agents qui l'accompagnaient, le domestique du général fut saisi de frayeur, et, soit par un mouvement de crainte, soit par une feinte habile, il se mit à crier au voleur pour donner l'éveil au général, et, fermant la porte de l'appartement derrière lui, il se précipita au milieu des agents.

Réveillé en sursaut, le général vint s'informer de la cause de ce tumulte. Au premier mot prononcé par le commissaire de police, il refusa d'ouvrir; mais, après quelques pourparlers, et sur la menace qui lui fut faite que les portes allaient être enfoncées, il les ouvrit lui-même.

Le commissaire donna communication de son mandat; le général, feignant de ne pas l'entendre ou de ne pas le comprendre, appela son domestique, qui venait de rentrer, et, d'un ton impertinent et injurieux pour les agents de la force publique, il lui ordonna de vérifier si l'argent qu'il avait mis sur sa cheminée n'avait pas été touché. A cette insulte trop directe et toute personnelle, le commissaire de police se récria. Le général ne répondit rien et commença à s'habiller, puis il suivit M. Blanchet et monta dans le fiacre qui l'attendait à la porte de son hôtel.

Arrivé devant le poste de la Légion-d'Honneur, il essaya de haranguer les soldats de service; sa voix se perdit, impuissante, sans réveiller de souvenir parmi eux. Il oubliait que dix ans s'étaient écoulés depuis qu'il avait quitté l'Afrique, et que plusieurs générations de jeunes soldats étaient passées pendant ce temps à l'ombre flottante de nos drapeaux. Sa gloire militaire, restée ineffaçable dans les traditions des régiments qui ont servi en Afrique. et dans les pages de notre histoire, n'existe plus qu'à l'état de souvenir déjà effacé par des gloires nouvelles dans l'esprit des jeunes soldats de notre époque,

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Le général Bedeau, arrêté à la même heure par le commissaire de police Hubaut jeune, fit beaucoup plus de difficultés pour se laisser emmener. L'appartement qu'il occupait dans un hôtel garni de la rue de l'Université, no 50, fut découvert difficilement à cause des fausses indications données par le concierge. Contraint par la menace, celui-ci se décida enfin à conduire les agents dans la chambre où le général était couché, car, en prévision de ce qui lui arrivait, le général, depuis quelque temps, ne couchait plus dans son propre appartement.

Eveillé en sursaut par les sommations du commissaire de police et par les cris de son domestique, il se présenta en chemise comme le général Changarnier; mais, au lieu de céder simplement à la force des circonstance, comme celui-ci, il engagea avec M. Hubaut une discussion sur son droit d'inviolabilité comme représentant du peuple et comme vice-président de l'Assemblée. Le commissaire de police avait beau n'opposer à

tous ces arguments que l'inflexibilité de son mandat, le général n'en tenait aucun compte, et se retranchait toujours derrière ses droits' constitutionnels. Fatigué de cette discussion oiseuse, et voyant le jour commencer à poindre, le commissaire de police lui ordonna impérieusement de s'habiller et de le suivre. Il obéit, mais avec une lenteur calculée. 'Impatienté de tous ces retards, M. Hubaut le sommía une dernière fois d'obéir. Le général refusa positivement, en disant qu'il voulait se laisser traîner comme un malfaiteur.

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Il n'y avait plus à hésiter; le commissaire de police fit un signe à ses hommes, et le général, appréhendé au corps, fut littéralement porté jusqu'au fiacre, qui l'attendait devant la porte. Ses cris, ceux de son domestique et ceux des gens de l'hôtel avaient déjà amené un attroupement devant la porte; la voiture partit au galop, et tout fut dit. Cet arrestation fut celle qui réussit lé moins bien.

Le général Le Flô, questeur de l'Assembléc, et l'un des ennemis les plus directs et les plus acharnés du Président de la République, fut surpris tout endormi dans son appartement par le commissaire de police Bertoglio. Sa fureur s'exhala en récriminations, en injures, en menaces envers Louis-Napoléon, qui, disait-il, serait bientôt fusillé dans les fossés de Vincennes, à la place même où était tombé le duc d'Enghien. Toutefois il s'habilla sans trop de résistance et voulut endosser son uniforme de général avec tous les insignes de son grade.

En passant devant le 42o de ligne, qui occupait la cour de l'Assemblée, il harangua les troupes, qui restèrent muettes à sa voix, et interpella vivement le colonel

Espinasse, qui avait servi sous ses ordres en Afrique ; le colonel ne daigna pas répondre à ses apostrophes, et le général Le Flô fut, comme ses collégues, conduit en voiture et au galop jusqu'à la prison Mazas, où ils arrivèrent presque tous en même temps.

L'arrestation la plus importante après celles des généraux, qui pouvaient, s'ils eussent été laissés en liberté, faire naître l'indécision parmi les troupes et amener la guerre civile, fut celle de M. Thiers; elle fut confiée à M. Hubaut aîné.

M. Thiers, comme on le sait, habite un des plus élégants hôtels de Paris, situé sur la place Saint-Georges, Le commissaire de police se présenta à cinq heures et quelques minutes chez le célèbre historien. Le concierge ne fit aucune difficulté pour l'introduire, et le valet de chambre, réveillé le premier, le conduisit, lui et ses agents, jusqu'à l'appartement où reposait M. Thiers.

L'auteur de l'Histoire de la Révolution paraissait dormir d'un sommeil paisible. Une petite lampe était allumée dans un coin de l'appartement; un feu ardent brûlait dans le foyer, ce qui fait supposer qu'il avait veillé fort avant dans la nuit.

Eveillé par son domestique, il se leva brusquement sur son séant, et, se voyant entouré d'agents, il leur demanda : « Que me voulez-vous? » Le commissaire de police lui fit part de son mandat. « Mais savez-vous, Messieurs, répondit-il, que je suis représentant du peuple, qu'à ce titre ma personne est inviolable et que vous assumez sur vous la plus grave responsabilité?» M. Hubaut lui répondit qu'il n'avait pas à examiner la ques

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tion de légalité, mais à exécuter l'ordre qu'il avait reçu. «Savez-vous, Monsieur, lui dit alors M. Thiers, que si je vous brûlais la cervelle je serais dans mon droit? Savez-vous que yous violez la Constitution et que vous vous exposez à porter votre tête sur l'échafaud?» Le commissaire sourit et persista dans l'exécution de son mandat.

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M. Thiers s'habilla alors, et s'apprêta à suivre le commissaire. Toutefois, avant de quitter son appartement, il demanda à faire ses adieux à sa femme. Madame Thiers, prévenue de ce qui se passait dans l'appartement de son mari, s'était habillée en toute hâte; elle arriva au moment même où celui-ci exprimait le désir de la voir. M. Thiers la rassura de son mieux en lui disant qu'il était mandé chez le préfet de police, mais qu'il reviendrait bientôt. Arrivé à la prison Mazas, dont le colonel Thirion, commandant du palais de Fontainebleau et ami dévoué du prince, avait pris le commandement pendant la nuit, il refusa de constater son écrou et de signer le procès-verbal d'arrestation. Puis, s'adressant au colonel Thirion, il le pria de lui faire donner du café au lait, disant qu'il avait l'habitude d'en prendre tous les matins, et il ajouta en souriant: Est-ce que vous n'avez jamais conspiré, Monsieur? Le colonel ne répondit pas à cette question, n'en comprenant pas sans doute le sens et la portée; et M. Thiers dit en poussant un profond soupir: Vous êtes bien heureux! ! A 1 1

M. Baze, l'irascible questeur de l'Assemblée, le bouc émissaire des haines et des vengeances de la majorité de l'Assemblée contre le Président de la République, était aussi au nombre de ceux dont l'arrestation était

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