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impérieusement commandée par les circonstances. M. Baze habitait le palais de l'Assemblée législative. M. le commissaire de police Primorin se présenta chez lui à cinq heures et demie; réveillé par les cris de sa bonne, il se présenta à peine vêtu; et, interpellant trèsvivement le magistrat chargé de l'arrêter, il le menaça de le mettre hors la loi, comme violateur en sa personne de la représentation nationale outragée. Le commissaire de police persista. M. Baze s'emporta plus vivement encore', et voulut faire résistance. Sa femme et ses deux jeunes enfants, accourus à ses cris, s'interposèrént entre lui, le commissaire et ses agents. La scène prit dès lors un caractère douloureux et dramatique. M. Primorin dut employer la force, et M. Baze fut emporté par les agents malgré les cris et les larmes de sa famille et ses propres vociférations jusque dans la cour où un fiacre l'attendait.

Malgré son costume plus que léger, il essaya de haranguer les troupes qui occupaient les cours de l'Assemblée; les soldats se mirent à rire de sa fureur épileptique; et, bon gré mal gré, l'avocat agénois alla rejoindre ses collègues à la prison Mazas.

Le colonel Charras opposa moins de résistance malgré l'emportement bien connu de son caractère et la violence de ses opinions..

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Le commissaire de police Courteilhe, homme énergique et sûr, se présenta à l'entrée de son appartement, et, après avoir vainement cherché à en faire ouvrir les portes de bonne volonté, se mit en disposition de les faire enfoncer. M. Charras ouvrit enfin, se doutant bien de quoi il s'agissait; car, au premier mot que lui dit le

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commissaire de police, il lui répondit : « Je m'y attendais et mon parti était pris. Mais, si vous étiez venu quelques jours plus tôt, je vous aurais brûlé la cervelle.»

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M. 'Courteilhe lui répondit fort spirituellement qu'il était enchanté de n'avoir pas fait plus tôt sa connais

sance.

L'arrestation de M. Roger du Nord présenta cette particularité te qu'il ne fit ni résistance ni observation; il se contenta de dire en se frottant les yeux lorsqu'on vint l'éveiller « Ah! ah! je suis arrêté; je m'y attendais, J'étais prévenu depuis deux jours; car on a des amis partout.

Joseph, dit-il après un moment de silence, servez du xérès à ces messieurs pendant que je vais m'habiller. »

Les représentants montagnards, Nadaud, Valentin, Lagrange, Miot, Chollat et Greppo, furent arrêtés sans incidents particuliers; presque tous montrèrent le plus déplorable abattement.

Nadaud, ouvrier maçon de la Creuse, le futur candidat à la présidence de la République, se contenta de dire qu'il ferait des interpellations à l'Assemblée sur son arrestation.

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Lagrange menaça de tirer par la croisée un coup de pistolet pour appeler le peuple aux armes, et qui, disait-il, aurait les mêmes conséquences que le coup de pistolet du boulevart des Capucines le 23 février 1848."

Valentin, le sous-lieutenant socialiste, l'impétueux interrupteur de l'Asseinblée, exigea que le commissaire de police prît connaissance de l'article de la Constitution

aux termes duquel les représentants du peuple étaient inviolables.

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Miot, l'ardent utopiste de la Nièvre, ne fit que protester contre les intentions qu'on lui prêtait d'être un ennemi de la famille et de la propriété.

Enfin Greppo, le disciple convaincu et fanatique de Proudhon, montra une faiblesse de caractère et une débilité de courage sans exemple. A la vue du magistrat chargé de l'arrêter, il fut saisi d'un tremblement nerveux et d'un dérangement subit tel, que le commissaire de police et ses agents ne purent s'empêcher de sourire, croyant assister à une scène du Malade imaginaire.

Toutes ces arrestations, ainsi que celles des 78 chefs de sociétés secrètes, avaient été opérées en moins de trois quarts d'heure. A sept heures, les différents commissaires et agents de police qui en avaient été chargés étaient tous réunis dans le cabinet du préfet de police, et lui rendaient compte eux-mêmes de la réussite de leurs mandats.

A la même heure, M. de Morny s'installait au ministère de l'intérieur aux lieu et place de M. de Thorigny, qui, nouvellement nommé ministre, n'habitait pas encore l'hôtel, et dictait au chef de cabinet de son prédécesseur sa circulaire aux préfets des départements.

M. de Thorigny apprit son remplacement et le nom de son successeur en lisant une des proclamations placardées dans les rues de Paris, dont un ami officieux vint lui donner connaissance chez lui. Sa surprise et sa stupéfaction furent au comble. M. de Thorigny ne croyait pas à un coup d'Etat. Appelé à faire partie du ministère de transition, il s'était expliqué catégorique

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ment avec le Président de la République sur ce sujet, et s'était attaché à lui démontrer les dangers d'une pareille tentative, qui, disait-il, pourrait aboutir à la guerre civile, conduire la France à sa ruine. Et nous à Vincennes, n'est-ce pas, Monsieur ? avait ajouté en souriant le Président de la République.Vous l'avez dit, prince, répondit M. de Thorigny.

Pendant ce temps, d'après les ordres du général en ⚫ chef de l'armée de Paris, tous les points principaux de la capitale se couvraient de troupes pour protéger l'ordre et veiller à l'exécution des décrets du Président de la République.

A huit heures du matin, les murs de Paris commencèrent à se couvrir d'affiches portant le décret du Président de la République, qui prononçait la dissolution de l'Assemblée et déclarait Paris en état de siége, son appel au peuple et sa proclamation à l'armée.

Des groupes de curieux se formaient de toutes parts; la surprise et l'étonnement firent aussitôt place à un mouvement prononcé de satisfaction publique. A part quelques protestations isolées, on n'entendait guère que ces mots: Le tour est bien joué. Il était temps que cela finît.

Jamais acte plus audacieux et plus important ne s'était accompli si rapidement et si ouvertement que celuilà. L'histoire a déjà enregistré la première page de cette révolution qui se révèle dans les décrets suivants :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

Lé Président de la République,

Décrète :

Art. 1er. L'Assemblée nationale est dissoute.

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Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est

abrogée.

Art. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant.

Art. 4. L'état de siége est décrété dans l'étendue de la 1re division militaire.

Art. 5. Le Conseil d'Etat est dissous.

Art. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE.

Le ministre de l'intérieur,
DE MORNY.

APPEL AU PEUPLE.

Français !

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre, est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile; elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple; elle encourage toutes les mauvaises passions; elle compromet le repos de la France; je l'ai dissoute, et je rends le peuple entier juge entre elle et moi.

La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'affaiblir d'avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n'est plus respecté de ceux-là même qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le juge

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